Jolie poupée russe

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Sur la rue arborée de Studencheskaya Street, un homme d’une quarantaine d’années à la mâchoire carrée recouverte d’une barbe grise de trois jours, entre dans une boutique de céramiques, de magnifiques objets estampillés Limoges. Ce magasin à la décoration provençale le fait sourire. Ce mélange des régions est inapproprié pour une personne comme Anatoly, historien et linguiste reconnu, spécialisé dans les langues celtiques, connu pour ses travaux sur les tombes anciennes et la mythologie.

Il soupire, emmitouflé dans sa parka kaki, il contemple les figurines de femmes, d’enfants et d’animaux. Il observe attentivement le visage d’une jeune fille, lisse et blanc nacré, aux yeux peints en bleu azur, à la bouche couverte de rouge rubis et aux cheveux dorés. La pose allongée est élégante et élancée. Sur son corps nu sont dessinés de jolies azalées royales roses et de somptueux crocus de Bieberstein mauves. Il jette son dévolu sur cette représentation féminine, la prend délicatement dans sa main gercée et aux doigts carrés.

Il sort du magasin en arborant un large sourire satisfait. Il se dirige sur Okskiy Syezd Street. Figurine à la main, levée à hauteur de ses yeux, il la compare avec les femmes qu’il croise. Ah, il en a trouvé une, blonde aux yeux bleus, mince et ravissante dans son tailleur bordeaux, portant un manteau en bison sur les épaules. Sa chapka blanche en poils de renard met en valeur ses longs cheveux blonds qui tombent dans le creux de ses reins.

Il l’aborde, joue de son charme pour lui proposer une Sbitegne, dans le café situé en face de la cathédrale de l’exaltation de la Sainte Croix. Cette boisson chaude au miel et aux épices est excellente pour affronter les rudes mois d'hiver. La jeune femme semble à l’aise. Le flux de paroles sans suite qu’elle déverse commence à le fatiguer. Il l’invite chez lui.

Elle le suit jusqu’à son appartement situé au centre de Nijni Novgorod, cette grande ville de la partie centrale de la Russie européenne présente au confluent de la Volga et de l’Oka. En entrant dans son appartement, il lui retire son manteau, le pose sur la chaise en bois, puis lui apporte des pryaniks. Elle se sert, et tout en dégustant ce délicieux pain d’épice sucré en forme d’étoile, elle se balade dans le salon et découvre des poupées grandeur nature, allant de la taille d’un enfant de trois ans à celle d’une femme de vingt ans, assises sur le sofa et un fauteuil en osier.

Un frisson lui parcourt le corps. Une étrange odeur de formol flotte dans l’air. Anastasia ne se sent plus rassurée dans cette pièce dégageant une atmosphère sinistre.

Sur le point de mettre fin à ce rendez-vous, Anatoly lui attrape la main, lui caresse sa peau, puis la guide vers son garage. Là encore, elle tombe sur des poupées plus vraies que nature, entassées les unes à côté des autres. Elle se plaque une main sur le nez et la bouche, l’odeur pestilentielle lui fouette les narines. Elle ne saurait comment l’expliquer, mais le doute n’est plus permis, elle doit fuir.

Lorsqu’elle tente de sortir du garage, elle sent une lame la transpercer dans le dos. Elle se retourne et voit Anatoly la poignarder avec force et vigueur, le sourire aux lèvres. Il enfonce et retire son couteau dans le thorax, la poitrine et la jugulaire d’Anastasia. Elle tente de stopper l’hémorragie en se plaquant une main sur sa poitrine et l’autre sur son cou. Le sang ne se laisse pas amadouer, il se faufile telle une anguille entre ses doigts. Elle ferme les yeux lentement sur ces poupées de cadavres humains.

C’est la première personne vivante à être la victime d’Anatoly. Mais cet acte le dégoûte. Il n’aime pas la chair fraîche. En général, il cible les défuntes. Rien ne vaut les cimetières pour chasser.

***

En 2011, la police a perquisitionné l’appartement de Anatoly Yuryevich Moskvin après avoir été informée de vols dans les cimetières locaux. Ce qu’ils ont trouvé fut bien au-delà de ce à quoi ils s’attendaient : 29 corps de jeunes filles et femmes, certaines âgées de seulement trois ans, étaient entassés dans son appartement. Les corps avaient été soigneusement momifiés et transformés en poupées grandeur nature, habillées avec des vêtements récupérés sur leurs tombes ou achetés spécialement pour elles.

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