Rencontre enflammée
Depuis que Tsuki a fêté ses vingt ans, elle désire une seule chose : quitter Tokyo, la bouillonnante capitale aux mille facettes, lieu de la démesure, des effusions électriques et du rythme effréné des habitants.
Depuis qu’Asahi est majeure, elle espère une seule chose : partir d’Okayama, la ville côtière aux trésors ancestraux préservés, véritable musée et poids des traditions insufflé aux résidents.
Toutes les deux imaginent une vie meilleure, un avenir plus joyeux et prometteur. Elles achètent chacune un billet de train, un aller simple pour les emmener à l’autre bout du Japon. Direction Fukuoka, au sud de l’archipel pour Tsuki et destination Sapporo, au nord, pour Asahi. La route est longue, elles le savent, mais ce jour, elles en rêvent depuis des lustres. Elles n’attendent qu’un unique événement, s’évader loin des carcans imposés par la société et leur famille. Guidées par l’espoir de découvrir un nouvel endroit, étonnant et merveilleux, elles empruntent le trajet de leur avenir.
Confortablement installées dans le Shinkansen, elles s’endorment à mi-chemin dans les bras de Morphée. À cet instant, elles ne devinent pas le choc sur le point de se produire. Les deux convois circulent à vive allure. La ville de Kyoto est en vue. Prêts à entrer en gare, les deux conducteurs se rendent compte qu’ils occupent la même voie, l’un en face de l’autre. Le problème d’aiguillage est annoncé dans les haut-parleurs. Trop tard, le train dans lequel se trouve Tsuki, en provenance de Tokyo, a passé le point de non-retour. Celui dans lequel est Asahi, parti d’Okayama, roule à une vitesse trop élevée pour s’arrêter à temps. Comme poussées par un esprit protecteur, leurs sens s’éveillent, Tsuki et Asahi ouvrent brusquement les yeux, un éclair lumineux les éblouit, des cris s’élèvent dans leur compartiment. La seconde suivante, elles sont projetées dans les airs et l’espace d’un instant, elles semblent flotter en apesanteur au-dessus des passagers paniqués. Une étincelle les plonge chacune dans un flou le plus total.
***
À son réveil, Tsuki est allongée sur un sol duveteux et moelleux vert mousse. Elle se redresse sur des bras tremblants ; sa tête la lance, une vive douleur traverse son corps. Une brise s’échoue sur son visage, son mal disparait comme balayé par un souffle apaisant. Elle admire le paysage ; une forêt de bambous couleur émeraude cache le ciel brumeux. Une mélodie enchanteresse parvient à ses oreilles. Elle décide de se lever et de suivre cette voix douce et chantante qui la guide sur les sentiers battus en direction du Nord.
Asahi, elle, est assise sur un lit de pétales de Sakura. Elle se lève sur des jambes flageolantes. Son corps est parcouru d’un léger frisson glacial. Un mouvement d’air s’engouffre dans sa chevelure scintillante. Un sentiment de bien-être l’envahit. Elle inspecte les lieux, constate qu’elle se trouve à Arashiyama. Elle connait cet endroit, la bambouseraie située près du pont Togetsukyo. Elle s’y rendait avec ses parents et son petit frère chaque année pour fêter le renouveau du printemps et rendre visite à sa grand-mère dans sa maison traditionnelle située à Sagano. Un son enjôleur l’attire. Elle suit la musique qui la conduit vers le Sud.
Le bruissement de l’air glisse entre les bambous, fait plier délicatement les hautes cimes flottant au gré du vent. Au cœur de ces centaines d’arbres immenses, le soleil se fraye un chemin entre les denses plantations. Les deux jeunes femmes émerveillées avancent sur ce chemin sinueux et passent sous une porte Torii immense, rouge et noir. Ces entrées marquent la transition entre le quotidien et le sacré.
À cet instant, des Kodamas apparaissent, ces petits esprits humanoïdes à l’air espiègle, au visage lisse et aux yeux noirs, signe de bonne santé de la forêt. Ils secouent frénétiquement la tête dans un bruit de Hyōshigi, un instrument à percussion faite de deux pièces en bambou. Le rythme s’accélère, une bourrasque de vent enveloppe Tsuki et Asahi. Soudain, les bambous s’embrasent de flammes à la fois pourpre et or. Le feu semble dévorer la moindre parcelle de terre sur son passage. Les filles paniquent et se mettent à courir en direction du temple de Tenryu-ji au foyer de la forêt. L’incendie se rapproche, léchant les semelles de leurs ballerines à chaque foulée. Passées les portes du sanctuaire, elles reprennent leur souffle.
Tsuki jette un coup d’œil à la fenêtre. Les flammes semblent s’être arrêtées aux abords du jardin de sable, danser dans un ballet incandescent, et teinter le ciel d’une brume orangée et ocre. L’incendie ne semble pas naturel. Asahi s’agenouille, elle contemple ce mur de feu rougeoyant.
Toutes les deux sont perdues au coeur d’Arashiyama, encerclées par l’incendie qui fait rage. Asahi se lève, époussette son pantalon, et décide de chercher de l’aide. Elle appelle, crie « au secours », aucune réponse. Elle accélère le pas, son rythme cardiaque augmente, son souffle est saccadé. Au détour d’un couloir de tatamis, elle se cogne et tombe à la renverse. Elle secoue la tête et attrape la main tendue, délicate, blanche et douce qui s’offre à elle. Asahi lève le visage vers cet être lumineux, aux yeux en amande, aux cheveux longs ébène et aux pointes teintes en bleu azur. Ses joues s’empourprent.
– Qui… qui es-tu ?
– Je m’appelle Tsuki, qui signifie « lune ». Et toi ?
Asahi se redresse, et reste quelques secondes sans voix, subjuguée par cette beauté angélique tout droit tombée du ciel. Tsuki la transperce de son regard de braise, contemple les cheveux de jais aux pointes teintées de fuchsia et les lèvres voluptueuses de la demoiselle. Une chaleur agréable réchauffe sa peau nacrée.
– Mon nom est Asahi. Il veut dire « soleil levant ».
Les deux jeunes femmes s’admirent et un sourire se dessine sur leur visage, pas celui de l’amitié, mais d’un sentiment plus profond, plus attractif et enchanteur.
Occupées à se dévisager, elles n’entendent pas le Kitsune approcher. Un halo argenté révèle sa présence. Tsuki et Asahi se retournent et s’inclinent pour saluer cet esprit puissant à l’apparence d’un renard à neuf queues, doté de grands pouvoirs magiques comme l’illusion, l’art de la séduction et de la métamorphose. Celui qui se tient devant elle est la créature de feu, à la fourrure flamboyante.
– Comment pouvons-nous sortir d’ici ? demande Tsuki poliment, mains jointes.
Le Yokai fixe les demoiselles de ses yeux rubis. Une lueur rouge encercle Tsuki et Asahi, leurs souvenirs remontent à la surface. Elles doivent trouver la clé enfouie dans leur passé pour leur permettre d’avancer vers l’avenir. L’objectif est de résoudre le puzzle de leurs sentiments entremêlés. Seule la prise de conscience de bonheur et de plénitude les sauvera de la tragédie qui se joue en ce moment même dans le monde extérieur.
Tsuki ferme les yeux. Elle y voit son passé, le rejet de ses camarades lorsqu’elle s’est teintée les cheveux pour la première fois, son mal-être face à sa mère insensible à son désarroi, sa tristesse au départ de son père, et son attirance inavouée pour les femmes. Quitter Tokyo a été la meilleure décision qu’elle ait prise depuis longtemps. Elle cherche à vivre comme elle l’entend, à se sentir « elle ». Une perle argentée roule sur sa joue gauche.
Asahi laisse ses paupières recouvrir son regard. Son passé surgit telle une tornade amère. Elle ressent à nouveau le chagrin qui la submerge lors du suicide de sa mère, la peine de ne pas pouvoir consoler son petit frère en larmes et le dégoût de son père lors de l’annonce de sa préférence pour les filles. Quitter Okayama a été un soulagement. Elle est libre de prendre le chemin qu’elle a choisi, de s’épanouir enfin. Une perle dorée glisse sur sa joue droite.
Lorsqu’elles ouvrent les yeux, les pièces de leurs souvenirs se matérialisent en cristaux de jade et se rassemblent devant elles pour former un tout, une étoile unique, splendide et scintillante. Elles comprennent le chemin qui leur est destiné. Asahi et Tsuki se fixent intensément.
Le désir charnel, l’excitation, l’attachement, la tendresse s’emparent des cœurs des deux jeunes femmes. Des papillons chatouillent l’intérieur de leur ventre, la passion naissante intensifie la force des flammes qui les entourent. Toutes les deux se projettent dans un avenir commun, un futur à bâtir ensemble. La nostalgie du passé s’évapore en une myriade de pétales de fleurs dorées et argentées pour laisser place à une relation de confiance et d’amour sincère. Le Kitsune, au regard espiègle, se retire un instant pour laisser ces deux humaines s’apprivoiser.
Guidée par son cœur, Asahi pose délicatement ses mains sur les joues rosées de Tsuki. Elle approche doucement son visage du sien, effleure ses lèvres sur celles de sa partenaire. Tsuki laisse ses paupières recouvrirent ses yeux nuit, enivrée par le doux parfum d’encens de l’île d’Awaji. Elle entrouvre ses lèvres et invite la langue de son élue à y pénétrer. Leurs organes allongés et mobiles se cherchent, se caressent, s’enlacent, au rythme d’une valse sensuelle. Tsuki serre la taille fine d’Asahi, comme Hachiko accroché à son maître sauveur et salvateur. Ses mains glissent telle une étole de soie sur ses hanches, pour finir leur course sur ses fesses fermes. La chaleur s’empare de son corps. Leurs baisers deviennent de plus en plus intenses, leurs ardeurs plus fougueuses.
Asahi ose balader ses doigts sous la jupe de Tsuki. De son index, elle décale sur le côté le tissu de sa culotte en dentelle, libérant ses lèvres et son bijou. Elle caresse délicatement le sexe de Tsuki. Cette dernière gémit, émet des râles jouissifs. Elle devient humide, le signal qui guide Asahi vers l’antre de la convoitise. Elle plonge deux doigts dans cet espace soyeux et chaud, puis commence des mouvements de va-et-vient. Tsuki s’agrippe aux épaules de sa compagne, emportée par le désir et l’excitation de cet instant somptueux et agréable. Asahi déboutonne d’une main son chemisier à rayures bleues, ainsi que son soutien-gorge. Elle quitte sa bouche pour gober le téton de ce sein en forme de mochi. Tsuki plaque une main sur sa bouche pour retenir ses petits cris. Elle se cambre en arrière, offrant ainsi encore plus sa vulve à sa dulcinée. Asahi entraine Tsuki à s’allonger sur le tatami.
Elles s’effeuillent, retirent un à un leurs vêtements, jusqu’à se retrouver nues. Elles se découvrent, s’admirent, s’émerveillent devant le corps svelte de l’une et athlétique de l’autre. Elles se lèchent, se goûtent, s’emportent dans leur soif d’appétit.
La peau de Tsuki a le goût des dango, ces petites boulettes de couleurs fabriquées à base de pâte de riz, alors que celle d’Asahi a celui des taiyaki, de petites brioches en forme de poisson garnies de pâte de haricots rouges.
Côte à côte, Asahi et Tsuki explorent le corps de leur promise. Des fleurs blanches appelées Tsubaki virevoltent et s’agitent au rythme de leur passion. Une lueur étincelante entoure les deux femmes. Elles s’embrassent avec fougue, le monde extérieur semble s’arrêter, disparaitre autour d’elles, à tel point qu’elles ne se préoccupent pas du feu qui embrase et dévaste les murs du Temple. Leur amour se consume, leurs corps et leurs esprits ne font plus qu’un. Elles s’enlacent et se cramponnent à la chair de l’autre, leurs lèvres se touchent, elles le savent, elles ne se quitteront plus jamais.
Les flammes ravagent la forêt de bambous ; elles s’endorment dans les bras l’une de l’autre, libérées de leurs tourments…
***
À leur réveil, Tuski et Asahi sont assises, dos contre le froid et austère mur bétonné de la gare de Kyoto. Une couverture de survie est posée sur leurs épaules. Tsuki observe le visage de son amie, parsemé de cendres anthracite. Asahi inspire et expire fortement, elle tient fermement la main de Tsuki. Celle-ci caresse délicatement sa peau. Asahi semble s’apaiser, un sourire apparaît sur son doux visage. Elle se tourne vers Tsuki, plonge son regard dans ses yeux brillants. Leurs cœurs battent à l’unisson. Elles le savent, elles sont faites l’une pour l’autre.
Un vent chaud s’engouffre dans leurs vêtements. Elles ferment un instant les yeux et entendent le chant lointain des Kodamas. Le brouhaha environnant a disparu, les cris de peur et d’angoisse des passagers ne les atteignent plus. L’amour les a réunies. Tsuki se blottit dans le creux de l’épaule d’Asahi.
Était-ce la réalité ? Un mirage ? Une illusion ? Un tour des esprits de la forêt ? Ou une imagination due au choc de l’accident ?
Quelle que soit la réponse, elles sont en vie. Elles ont trouvé leur âme sœur. Elles le savent, elles sont nées pour être ensemble, cet accident les a rapprochées. Elles vivront un amour éternel dans cette ville qui les a choisies, Kyoto. Rien ne les séparera, car elles sont une partie de l’autre, elles sont le soleil et la lune, l’obscur et la lumière, le In et le Yô. À elles deux, elles représentent l’équilibre, l’onmyô-dô.
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