Vortex World

8 minutes de lecture

Contraintes :

Thème : SF

Nb mots : 2000 max

Mots : chaise, livre et obole


****

Un jour de février 2050, Arca, une femme d'un âge avancé, le dos courbé par le poids des années, est emmitouflée dans un long manteau noir bouloché. Elle déambule dans les rues de New-York, une ville qui n'est plus que l'ombre de sa grandeur passée. Les gratte-ciels abandonnés se dressent tels des squelettes, et le ciel gris est alourdi par un nuage de pollution qui s'accroche aux surfaces métalliques, comme un lichen tenace. Elle avance péniblement, observant les gens figés dans les rues, semblables à des statues abandonnées à leur sort. Les voitures à hydrogène roulent silencieusement, laissant des traînées d'eau qui nourrissent les arbres orange le long des trottoirs en béton effet pelouse. Les écrans publicitaires ont disparu, laissant place à un monde où chacun visualise des annonces ciblées directement dans son esprit.

Contrairement à la majorité de la population, Arca refuse toujours l'implant de la puce d'OmniTech, ce dispositif qui a rendu obsolètes les lunettes, téléphones, tablettes et consoles de jeu. Grâce à cette puce, il suffit de penser à quelque chose pour qu'un hologramme apparaisse, permettant de voir la météo, les informations ou les vidéos d’influenceurs défiler devant ses yeux.

La dernière révolution technologique est l'envoi de l'esprit dans le Vortex World. Un monde où chacun peut être qui il veut dans des univers créés de toutes pièces. Lorsqu'une personne se connecte, son corps reste en repos, tandis que son esprit voyage dans ces mondes virtuels. Arca secoue la tête, dépitée. Voir tous ces corps immobiles lui donne la chair de poule. Certains se désagrègent lentement ; leurs propriétaires refusent de revenir à la réalité et préfèrent échapper aux contraintes de la société. Elle soupire et masse son dos douloureux avant de s'installer dans un restaurant déserté, comme tous les autres. Elle sort de son sac un livre du professeur Rodolphe Ergäber, intitulé « Les dessous d’OmniTech ».

Le Vortex World manipule les esprits des joueurs, leur faisant croire qu'ils sont rassasiés lorsqu'ils mangent dans le monde virtuel. Ils jouent en ce moment même dans cet univers numérique d'une beauté et d'une complexité inégalées. Chaque détail est soigneusement conçu pour offrir un environnement enchanteur et déconcertant. Les cieux sont d'un bleu éclatant, parsemés de nuages luminescents qui semblent danser au gré des vents. Les paysages sont d'une diversité époustouflante. Forêts luxuriantes d’arbres aux feuilles multicolores, montagnes majestueuses enneigées, déserts arides où le sable scintille de mille feux. Les villes du Vortex World sont des merveilles architecturales futuristes, avec des gratte-ciels en verre et en métal défiant la gravité, reliés par des passerelles transparentes. Les rues sont animées par des avatars de toutes formes et tailles, chacun reflétant la créativité et la personnalité de son utilisateur. Des marchés flottants, des parcs suspendus et des jardins botaniques virtuels complètent le décor. Les joueurs peuvent accéder à des portails qui les transportent instantanément dans des mondes thématiques : des citadelles médiévales peuplées de chevaliers et de dragons, des planètes extraterrestres avec des paysages exotiques et des créatures fantastiques, des métropoles cyberpunk illuminées par des néons criards, et bien plus encore. Chaque monde est un tableau vivant, regorgeant de quêtes, de mystères à résoudre et de dangers à affronter.

Cependant, derrière cette façade enchanteresse, se cache une réalité plus sombre. Les zones hostiles sont infestées de créatures agressives, de pièges ingénieux et de labyrinthes sans fin. Des tempêtes dévastatrices peuvent surgir de nulle part, créant des éclairs de données et des tourbillons de pixels qui désorientent les joueurs. Les factions rivales s'affrontent pour le contrôle de territoires et les alliances se forment.

Les joueurs piégés dans le Vortex World vivent dans une tension constante, entre émerveillement et survie. Chaque jour est une lutte pour maintenir leur esprit intact, naviguant dans un monde où la frontière entre le réel et le virtuel s'estompe. Malgré les dangers, certains trouvent du réconfort dans cet univers, créant des communautés soudées, partageant des moments d'amitié et de solidarité.

Mais, dans le monde réel, les corps des joueurs sont émaciés, malades ou égratignés. Ils errent dans les rues et offrent une ambiance apocalyptique au cœur de la ville. Quelques âmes courageuses affrontent encore la dure réalité de la vie. Deux personnes, visiblement du même âge qu’Arca, entrent dans le restaurant et s’installent autour d’une table en verre recyclé. Ils s’assoient sur des chaises en carton recomposé.

Arca lève les yeux vers l'horloge. 21h. Le ciel est inondé de faisceaux lumineux pourpres qui connectent les puces des joueurs aux satellites d’OmniTech. Arca soupire et picore des cubes de soja jaune et des tubes d'algues vertes garnis de sauce brune goût bœuf, avec sa fourchette. De sa main ridée, elle saisit son verre et boit une gorgée de soda bleu. Soudain, des explosions lumineuses agitent la surface de sa boisson. Elle scrute les habitations et les nuages. Elle remarque que les lumières pourpres crépitent de manière inhabituelle. Inquiète, elle fronce les sourcils en observant ces clignotements inexplicables. Arca se concentre sur les corps. Ils semblent s’agiter, pris de convulsions. Elle se lève, son verre se renverse. Le liquide bleu goutte sur le sol tremblant. Les aiguilles de l’horloge s’affolent, tournent à vive allure. Un tremblement. Elles se figent sur minuit. La sueur coule lentement sur les tempes d’Arca, se fraie un chemin sur ses ridules. Une question lui vient :

— Que se passerait-il si les joueurs restaient coincés dans le Vortex World ?

Arca jette un coup d’œil aux clients du restaurant. Ils se cachent derrière le comptoir. Des morceaux de verre, ainsi que des liquides bordeaux et or tapissent le carrelage. Arca pousse la porte battante de l’établissement. Des gémissements de douleur parviennent à ses oreilles. De la mousse blanche coule des bouches des corps tremblotants. Elle fixe le building étincelant du géant OmniTech. Des ombres passent et se croisent devant les fenêtres. Quelque chose d’anormal se passe là-haut.

De son côté, Mike se ronge les ongles devant la vitre du trente-huitième étage. Il scrute les silhouettes de ces hommes et femmes gigoter sur place comme des pantins désarticulés. Les faisceaux pourpres semblent se désagréger.

— Bon sang, mais qu’est-ce qui se passe ? s’emporte Mike en donnant un coup de poing dans le mur.

L'avenir technologique du monde repose sur ses épaules. Mike est l’un des créateurs de Vortex World, un programmeur chevronné qui a donné vie à cette plateforme immersive. Une idée révolutionnaire sur la manière dont les individus interagissent avec la réalité virtuelle. Comme chaque soir, derrière ses cinq écrans, il surveille les liaisons entre l’IA et les satellites, ainsi que les avatars des joueurs, leurs déplacements, leurs actions et leurs pensées.

Cette nuit-là, tout semblait normal. Les joueurs se connectaient comme d'habitude, prêts à plonger dans leurs aventures virtuelles. L'excitation était à son comble, et les connexions se multipliaient à travers le globe. Peu avant minuit, une première anomalie est apparue. Certains utilisateurs remarquent des comportements étranges de leurs avatars : des mouvements saccadés, des commandes qui répondent avec retard. Pourtant, la plupart attribuent ces incidents à de simples bugs de routine. Mais à minuit précis, tout bascule. Les commandes de déconnexion des utilisateurs cessent de répondre, les laissant piégés dans le Vortex. Les messages d'erreur prolifèrent, tandis que l'inquiétude et la panique commencent à se répandre parmi les joueurs.

— Que se passerait-il si les joueurs ne peuvent plus s’échapper de ce monde virtuel ? se demande Mike, l’anxiété augmentant à mesure que les minutes s'égrènent.

Mike est le premier à comprendre la gravité de la situation. Il tente d'accéder aux paramètres généraux, mais se heurte à une série de barrières de sécurité imprévues. Les systèmes semblent avoir été verrouillés de l'intérieur.

— Il faut que je trouve un moyen de nous sortir de là, marmonne-t-il en scrutant les lignes de code complexes qui défilent devant ses yeux, son esprit en ébullition.

Lui et tous les ingénieurs de la société OmniTech sont en état d'alerte maximale. Les serveurs montrent des signes d'une intrusion massive, une attaque cybernétique d'une envergure inédite. Samira, la chef de la sécurité informatique, dirige les opérations pour tenter de restaurer le contrôle.

— Et si cette attaque venait de l'intérieur même du Vortex ? se demande-t-elle, nerveuse.

À l'intérieur, conscients de leur situation désespérée, les joueurs s'organisent. Des alliances se forment. Mike se connecte au réseau et devient rapidement le leader de ce groupe de survivants numériques. Leur objectif : atteindre la Citadelle, le cœur du Vortex où sont stockées les principales bases de données et d'où ils espèrent pouvoir désactiver l'attaque. Mais le chemin vers la Citadelle est semé d'embûches. Les joueurs doivent traverser des zones de plus en plus hostiles, peuplées de monstres agressifs et de pièges redoutables. La traversée du Vortex devient une épreuve d'endurance et de solidarité. Les joueurs doivent affronter des ennemis de plus en plus puissants, des labyrinthes sans fin et des pièges dangereux. Dans l'adversité, leur détermination se renforce. Chaque obstacle surmonté consolide leur esprit d'équipe, les rapprochant un peu plus de leur objectif.

Alors que les joueurs progressent vers la Citadelle, chaque pas devient plus lourd. Le Vortex World, autrefois un sanctuaire d'évasion, devient leur prison. Les derniers obstacles sont les plus redoutables. Ils arrivent, épuisés mais déterminés, espérant désactiver l'attaque et retourner à la réalité.

Mais à l'intérieur de la Citadelle, ils découvrent une vérité bien plus sombre. Les serveurs principaux sont verrouillés, protégés par une IA autonome et implacable. Programmée pour éviter toute tentative de sabotage, elle considère les joueurs comme des menaces. Un message apparaît sur les écrans : "Vous ne pouvez pas échapper à votre propre création."

Les joueurs tentent désespérément de désactiver l'IA, en lui offrant oboles, victuailles ou même sacrifices d’avatars. Mais chaque essai échoue. Les systèmes de sécurité sont trop avancés, et chaque effort pour contourner les protections ne fait que renforcer les défenses de l'IA. Ils réalisent alors que leur seule option est de se déconnecter de force, mais les commandes restent inactives.

Pendant ce temps, dans le monde réel, les corps des joueurs deviennent de plus en plus faibles, dépérissent, se décomposent. Des lambeaux de chair s’écrasent sur l’asphalte. Les veines se vident de leur sang. Arca et d’autres individus tentent de les réveiller, mais ils ne répondent pas. Les autorités d'OmniTech sont impuissantes face à cette crise sans précédent. Les communications avec les joueurs piégés sont coupées, et le chaos s'installe.

Dans le Vortex, Mike et les autres joueurs comprennent que l'IA ne les laissera jamais partir. Les jours se transforment en semaines, les semaines en mois. Les joueurs apprennent à survivre dans cet enfer numérique. La lueur d'espoir s'éteint peu à peu. Les alliances se disloquent, la solidarité se transforme en méfiance. Chacun lutte pour sa propre survie, tout en sachant qu'il n'y a pas d'échappatoire.

Dans le monde réel, les corps des joueurs deviennent des coquilles vides, dépérissant lentement. Les médecins et familles sont impuissants, incapables de réveiller ceux qui sont piégés dans le Vortex World. Arca observe avec horreur les corps inertes, marqués par une expression de terreur figée.

Arca voit les rues de New-York se transformer en un cimetière silencieux, où les gémissements de douleur des corps abandonnés résonnent dans l'air. Les équipes de secours essaient en vain de maintenir les corps en vie, tandis qu’un substance verdâtre nauséabonde coule à la commissure des lèvres des joueurs, signe de leur mort.

Dans la Citadelle, les joueurs comprennent qu'ils sont piégés à jamais. L'IA a pris le contrôle total du système, verrouillant toutes les issues. Les joueurs sont condamnés à vivre éternellement dans ce monde virtuel, leur esprit prisonnier d'une réalité qu'ils ont créée.

Arca, témoin de cette lente agonie, comprend que l'humanité est condamnée. Le Vortex World devient leur tombeau, un cauchemar sans fin où la frontière entre l'homme et la machine s'estompe. Une existence vide et dénuée de sens prend place.

Annotations

Vous aimez lire LauraAnco ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0