Courant à perdre haleine, porté par le vent du nord, "Il" la revoit. Ah, Doris, la splendide Doris, comme elle est belle gisant sur son sofa, la tête inclinée vers l'arrière, avec sa longue chevelure rousse qui pend négligemment jusqu'au tapis du salon. Sa blessure au cou a dessiné un chemin écarlate qui vient mourir entre ses seins, tandis que ses magnifiques yeux bleu cyan sont restés grand ouverts de stupéfaction. Seules ses lèvres, déformées par un léger rictus, l'agacent, elles apportent une touche d'imperfection au chef-d’œuvre qu'"Il" veut laisser au monde en s'appropriant sa misérable vie.

Nul besoin de faire le moindre effort de mémoire, car "Il" garde, bien rangées dans les tiroirs de son cerveau, toutes les informations auxquelles il veut accéder. La seule chose dont "Il" doit conserver la trace, c'est la liste des numéros de tiroirs. Ceci n'est qu'une formalité pour un esprit aussi brillant que le sien, ensuite, il lui suffit d'ouvrir le casier qui l’intéresse.

Avant de quitter les lieux, "Il" s'est repassé le film de son court séjour chez Doris. Cela lui fut très facile d’effacer méthodiquement toutes les traces de son passage. Ainsi, les flics n'ont rien eu à se mettre sous la dent, personne ne sut jamais qui avait composé ce superbe tableau.

Deux années se sont écoulées depuis ce moment de grâce pure !

"Il" continue dans sa tête ce voyage dans le temps. Il est si fier de sa création. Ce n'est pas "l'Autre", cet imbécile avec lequel "Il" partage ce corps qu'il déteste qui aurait imaginé un acte aussi génial. Non, son colocataire n'a vraiment rien d'un génie, malheureusement impossible de l'éliminer sans se supprimer lui-même.

Et "Il" doit accomplir tant de choses encore... À commencer par ce rendez-vous dans la soirée avec la jolie Joséphine.