Brivel de Crerr

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La pièce manquait d'air frais. Une silhouette s'avança, alluma une chandelle et s'assit, un livre à la main. Elle arborait la mine renfrognée de celle qui accomplit une corvée, mais ce mit à lire avec douceur et emphase. Je connaissais ce visage, sans savoir d'où. Sur le lit, devant elle, le garçon malade avait détourné le regard. Était-ce une larme ? Il fit volte-face et se mit à hurler. Tout s'effaça, et je me précipitai sur le briquet, allumai la lampe, pour constater que j'étais bien au sommet du Fjall Crerr, sous la mansarde de l'écurie.

Hildrine n'était toujours pas là. Dehors, des voix étouffées braillaient joyeusement. Quelle heure pouvait-il être ? Il me fallait chasser les sensations laissées par la vision de ce garçon, et surtout éviter d'activer la vue d'Azrac'h. La lampe à la main, je descendis prudemment l'échelle et entrepris de faire le tour des stalles de l'écurie. Certaines des bêtes n'arrivaient pas à dormir non plus, alertées par le tapage festif. J'ouvris mon autre regard, à dessein, et entrai en propos avec les insomniaques, pour les rassurer. L'énorme cheval de Larik était là, aussi, qui dormait dans une tranquille indifférence. Plus loin, une tête se montra, comme un appel sans paroles.

C'était une jument toute grise et pommelée, la crinière blanche abondante. J'écoutai ce qu'elle avait à me dire, observai son attitude. Il y avait quelque chose de plus, chez elle. Elle m'autorisa à entrer dans son box. Mes mains couraient sur ses flancs : elle attendait un poulain. Elle m'indiqua quelques endroits douloureux. Je commençai à doucement la masser, et manipuler ses articulations. C'était sa première grossesse. Elle avait un peu peur de ce qui allait advenir. Je lui racontai tout ce que j'avais déjà vu naître : les poussins et les oisons brisant leur coquille, les veaux dans les prairies fleuries, et les lapins, si nombreux, dans les clapiers garnis de paille. Ce faisant, j'arrivai à plonger mon autre regard en elle si loin que son petit devint clair à ma vue, et que les battements de leurs cœurs, à l'unisson, s'imposèrent comme les seuls sons dans la nuit.

Soudain, le lien se coupa, et mon regard fut attiré ailleurs, vers la porte de la stalle où quelqu'un accrochait une lanterne. De surprise, je m'éloignai de la jument, prête à me justifier, mais le visiteur semblait tout aussi surpris de me trouver là. Je m'inclinai dans l'instant en reconnaissant le jeune seigneur de Crerr, délesté de son manteau de velours. "Bonsoir, dit-il simplement. Vous aussi, vous visitez les chevaux, à cette heure tardive ?

- Pardon, Messire, je ne voulais pas... J'ai cru... Certains chevaux semblaient nerveux, bafouillai-je. Je voulais juste les réconforter.

- Vous faites bien, m'est avis. Quel est votre nom ?"

Je me redressai pour lui répondre. Son visage était marqué de fatigue, les boucles brunes de ses cheveux dérangées par l'agitation provoquée par son retour, mais ses yeux répondaient à son sourire de façon peu commune. Mon nom ?

"Sylverine. Je me nomme Sylverine.

- Je suis Brivel de Crerr. Et voici Erell. Le cadeau de ma sœur pour marquer le jour où j'ai été invité comme page à Har Mooin.

- Elle est magnifique, et très douce.

- Malheureusement, elle ne pouvait m'accompagner. Un jour prochain, peut-être.

- Peut-être, en effet, après ce premier poulain.

- Un poulain ? Est-elle grosse, en ce moment ?"

Brivel ouvrit la porte du box, et passa sa main sur le flanc de l'animal, lui chuchotant d'aimables paroles. "Je vais vous laisser, Messire, profiter de ces retrouvailles.

- J'ai eu assez de retrouvailles pour ce soir, répondit-il sèchement. Il est plaisant de faire une nouvelle rencontre. Dites-moi, vous êtes en pèlerinage ?

- Non pas, Messire. Je viens d'arriver, et Dame Azilys votre sœur m'a proposé un emploi, dont nous devons nous entretenir demain.

- Laissez-moi deviner. La bibliothèque ?"

Je ne pus réprimer un sourire et lui décrivis poliment la conversation à laquelle j'avais assisté la veille. Là, quelque chose d'inattendu advint. Un rire trancha le calme des écuries. Je laissai Brivel me raconter sa sœur, son frère et ses parents. Il m'apparut qu’ils seraient de bons maîtres pour moi. Puis, il se rembrunit. "Je ne peux vous souhaiter que de trouver en eux des bienfaiteurs.

- Mon jugement est-il biaisé ?

- Mes parents sont des plus généreux, vous le constatez vous-même. Azilys est une travailleuse acharnée, et je ne m'étonnerais pas de voir le domaine s'étendre dans les dix prochaines années. Mais je viens de passer plusieurs années au palais, parmi la cour et les chevaliers... loin d’ici, dans le difficile métier des armes..."

Il passa une main lasse dans ses cheveux et m'adressa un pauvre sourire. "Pardonnez-moi, dit-il. Je ne devrais pas vous inquiéter avec ces histoires.

- Pas de mal, Messire. J'ai deux oreilles pour écouter.

- J'aurais aimé... Il est dommage que vous ne soyez en pèlerinage. Je crois, en vérité, que je serais parti avec vous."

Imperceptiblement, mon corps se ramassa sur lui-même. Mon souffle, même, se fit plus ténu. Je restai interdite face à son discours. Rien d'autre ne me vint aux lèvres : "Je crois, Messire, que vous devriez prendre du repos, et vous imprégner de tout ce qui vous auras manqué." Nous restâmes un moment en silence, à nous considérer, et timidement j'ouvris mon autre regard, pour prendre en plein visage son besoin de réconfort. "Bonne nuit, alors, conclut-il."

La lumière de sa lampe s'évanouit dans la nuit maintenant silencieuse. Je retrouvai ma paillasse, à la fois épuisée et échauffée par cette rencontre tardive. La vieille n'était toujours pas couchée, et je sombrai sans attendre.

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