Celle qui s'impatienta

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Son ciblage n’avait jamais été parfait, toutefois, Corry savait immédiatement que son coup se porterait sur le milieu de son crâne. Ce ne fut pas le cas. Tout se déroula à une telle vitesse que le soldat ne réussit point à distinguer quand et comment Lila para son attaque. La dague, brisée en deux, perdit sa lame qui s’enfonça dans un tronc d’arbre. Quant à lui, ses jambes fléchirent tandis que sa force se dissipa lentement. Corry Arthus tomba à terre ; une sensation de brûlure enflamma son cerveau. Il cria et tint sa tête comme pour estomper l’intensité de la douleur. Alors que sa raison disparaissait, une voix fluette le menaça de bien se tenir.

Son erreur fut des plus étranges ; croiser les yeux de Lila de Glasmartre.

Son regard, relevé à la dernière seconde, provoqua le changement de trajectoire de l’arme, tandis qu’il brilla d’une lueur anodine. Pure fut l’éclat, mais sa dangerosité plongea dans les iris de jade de Corry. Ce ne fut que l’ombre d’un instant qui lui dépouilla le contrôle de son esprit et son corps. Sa tête bouillonna de plus bel quand Lila souffla un « désolée » discret. Alors que ses yeux perdirent leur brillance, elle s’échappa.

  • Arthus !

La voix de Luna tonna en rejoignant le soldat encore à terre. La douleur au niveau de son crâne s’estompa après dix minutes, mais une fatigue sans nom s’abattit sur lui. Sa conscience devint floue pour s’évanouir entièrement. De son côté, en raison de son titre d’investigatrice, sa participation aux combats était strictement interdite sauf autorisation contraire du chef de la division. Luna observait et analysait, en retrait, le style de combat de Lila de Glasmartre. Elle reconnaissait certaines attaques des soldats irathiens, d’autres lui semblaient étranges, voire inconnues. La jeune femme crut dur comme fer que Corry prendrait le dessus, toutefois, les tables s’étaient retournées au dernier moment. Le comment et le pourquoi du retournement de la situation lui parurent inexplicables, mystérieux et énigmatiques.

  • Que s’est-il passé ? chuchota Luna plus pour elle-même, couchant délicatement la tête de Corry sur ses cuisses, attendant patiemment son réveil.

Deux jours s’écoulèrent depuis ce combat, Corry Arthus ne reprit ses esprits que le lendemain et ne perdit la moindre seconde pour tout rapporter à l’empereur. Ce dernier, doutant que la situation ne lui échappe, convoqua son conseil pour lui procurer leurs lumières. Une tâche plus ou moins complexe ; la guillotine fut la première solution évoquée par certains, contre-argumentée par d’autres, la jugeant trop tôt. Puis, de fil en aiguille, un débat houleux les noya dans leurs propres bulles.

Il était à peine sept heures du matin que le chef du clan Glasmartre grogna son mécontentement. Les rideaux grands ouverts, oubliés de les tirer la veille, laissèrent pénétrer les rayons de soleil, réveillant au passage Nolan. Il avait mal dormi, les poches en-dessous de ses yeux en témoignaient. Le débat mouvementé de la veille n’arrangeait en rien ses interrogations. De plus, la source de tout ce conflit demeura absente ; Lila disparut et les Zashitens ne retrouvaient point sa trace. Le tumulte de la situation lui enflamma le cerveau à trop réfléchir à des solutions plausibles afin de calmer le conseil impérial. Où était-elle ? fut la première pensée de Nolan de Glasmartre une fois réveillé, grincheux.

Des gémissements brisèrent le silence de sa chambre alors qu’il étira ses membres ensommeillés. Dénudé, il s’habilla de son peignoir de soie blanc et arpenta la pièce. Il glissa ses doigts dans sa chevelure ébène, similaire à celle de Lila, et remarqua avec dégoût qu’un lavage s’imposait. Toutefois, à l’instant où l’eau coula, un courant d’air le fit frissonner. Nolan se retourna et tomba sur sa fenêtre entre-ouverte. Perplexe, il ne quitta pas la salle de bain et observa silencieusement ses rideaux nacrés virevolter au rythme de la brise. Le doute, omniprésent depuis quelques secondes déjà, le poussa à tenter :

  • Lila ?
  • Ta perspicacité m’étonnera toujours, sa voix s’éleva légèrement, apportant douceur aux oreilles de Nolan.
  • Comment es-tu entrée ?
  • La fenêtre, c’était plus rapide pour te parler.

Lila de Glasmartre sourit naïvement comme si son acte ne fut que plaisanterie. Pourtant, l’expression arborée sur le visage de son cousin épancha la désapprobation. Elle n’en prit pas rigueur et s’assit sur le lit. Les draps à moitié retirés, l’idée que Nolan ait un sommeil mouvementé traversa son esprit. Avait-il mal dormi ? se demanda-t-elle tandis que son regard balaya la chambre. Les goûts de son cousin ne changeaient pas ; la sobriété restait son style phare. Mis à part les meubles nécessaires, aucune décoration n’ornait les murs crème de la pièce. Puis, ses iris rencontrèrent une nouvelle fois le regard de Nolan de Glasmartre.

  • Ne me regarde pas comme ça, souffla-t-elle d’un air las.
  • J’ignore si tu es au courant, mais sa majesté te cherche partout. La huitième division remue ciel et terre pour te trouver.
  • Je lui rendrai visite prochainement. Là n’est pas le plus important.

Elle s’approcha de lui d’une lenteur exaspérante alors que sa main tendit vers son visage. Ses doigts effleurèrent sa joue droite et Nolan ne put que distinguer sa peau calleuse et sèche.

  • Tes traits ont changé, tu ressembles beaucoup à mon oncle.
  • Où étais-tu passé pendant tout ce temps ? son intonation défaillit, témoignant de sa faiblesse envers Lila.
  • Tu me poses cette question sachant pertinemment que tu ne recevras pas de réponse. Pourquoi t’obstines-tu ?
  • J’espère seulement des explications, tu ne peux pas disparaître durant douze ans et réapparaître sans rien dire–
  • Qui est le plus jeune du clan ? interrompit Lila, s’approchant rapidement de la fenêtre.
  • En quoi ça t’avancera ?
  • Répond seulement à ma question, Nolan.
  • Je ne dirai rien tant que–

Il ne termina pas sa phrase que Lila bondit de la fenêtre, encore, l’abandonnant à ses songes et troubles.

Disparaître encore et toujours, son comportement excéda toutes les attentes de son cousin tandis que ses cachoteries l’horripilèrent. A croire que la jeune fille douce et gentille d’autrefois n’existait plus, remplacée par un caractère distant, impatient avec un soupçon de tendresse, aussi infime soit il. Nolan l’avait aperçu le jour de son arrivée, juste avant que leur grand-père ne les interrompe. Sa prise de conscience éveilla en Lila quelque chose de perdu, d’oublié ; l’espoir d’un changement. Cependant, malgré cette étincelle éphémère, ses yeux gardaient une insipidité sans nom. Que lui est-il arrivé ? se demanda-t-il en grattant l’arrière de sa tête de façon frustrée.

Suite à sa soi-disant mort, la prospérité de Nolan de Glasmartre avait chuté considérablement. L’annonce de son décès avait été comme un coup de poignard au cœur : brusque, douloureux et insoutenable. Ses nuits ne se résumaient qu’aux cauchemars et pleures. Jamais il n’avait souhaité s’en remettre, étouffant sa souffrance dans le coin de sa chambre. Puis, doucement et grâce à ses compagnons, gravir la pente était une réussite. Puis, il se décida enfin à se reprendre en main ; sa routine se résumait entre les terrains d’entraînements et la bibliothèque impériale. Enfin, de fil en aiguille, Nolan devint le chef du clan Glasmartre et se jura qu’aucun malheur ne s’abattra sur lui une nouvelle fois.

Couchée sur son lit baldaquin et vêtue d’une simple robe de chambre, son sommeil agité fit que ses formes volumineuses soient à découvert. Ciara Foscor ne s’en gênait jamais, au contraire, son arrogance la poussait à en être fier. Toutefois, elle ne s’imaginait pas un tel réveil ; Lila de Glasmartre assise sur la chaise de sa commode, humant son parfum favori. Un cri de surprise s’étouffa au fond de sa gorge.

  • Qu’est-ce que tu fous-là ? grogna Ciara en se levant d’un bond.

Elle ne détourna pas son regard des bijoux luxueux éparpillés sur le meuble : la boucle topaze attira son attention. Elle la prit entre ses doigts et l’observa concisément avant de rencontrer l’expression fermée de son ancienne rivale. Ciara s’approcha, mais ne put atteindre Lila qu’un sabre effleura sa joue.

  • Qu’est-ce que tu me veux ? rétorqua Ciara d’un ton qui se voulait menaçant.
  • Je ne tarderai pas.

Sa réponse fut brève tandis que son regard descendit vers la bague sur son annulaire gauche. Jusqu’à présent, Lila de Glasmartre se demandait quand et comment l’union entre clan était accordée. Dans ses souvenirs, l’idée de s’unir à une personne en dehors de la famille n’était qu’inconcevable ; elle-même avait vu son destin lié à celui de Nolan de force.

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