Celui qui avoua ses crimes

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Les portes du prétoire ne concurrençaient d’aucune manière celles du palais. Bien plus petites, le ternissement du bois réduisit l’éclat de l’imposance de la pièce. Elles s’ouvrirent de l’intérieur et laissèrent entrevoir le juge de l’audience, siégé sur un piédestal en bois plus haut que le reste des meubles. Tout comme les soldats quelques minutes plus tôt, son regard se décomposa à la vue de Lila de Glasmartre, suivit par ceux du jury. Elle ne fit qu’un pas l’intérieur qu’un brouhaha brisa le silence et des œillades sévères la jaugèrent aussitôt.

  • Quelle honte ! Quelle humiliation ! rugit Eyden Elohan à l’égard de sa petite-fille.
  • Silence ! frappa le juge de son maillet sur le tas. Veuillez vous avancer jeune femme.

Sa lassitude camouflée par un masque d’indifférence, elle se rapprocha de la chaise située au milieu de la pièce. Au passage, sur le regard de Nolan, régnèrent peine et incertitude.Lila de Glasmartre, fille unique de Marell et Elisha de Glasmartre, a disparu en 832, peu de temps avant la guerre des Cinq Nations et revient en chair et en os douze ans après, mit en état le greffier en lisant dans un parchemin neuf. Durant ce laps de temps, aucune lettre ou information n’ont été communiquées ni au clan, ni à sa majesté Amaël de Val. Lila de Glasmartre est présente aujourd’hui en tant qu’accusée de trahison et mutinerie.

  • Vous avez disparu quelques mois avant la guerre, comment expliquez-vous cela ?
  • Sa seigneurie Maël de Val m’avait envoyée en mission.
  • Qu’est-ce qu’une servante telle que toi irait faire en mission ? répliqua Eyden en esquissant un sourire moqueur.
  • Eyden Elohan, prière de garder vos commentaires. Pourquoi notre défunt vous enverrait vous, mais point quelqu’un de plus compétent ?
  • Il faut dire qu’il me vouait une confiance aveugle.

Le silence éclata ; l’audience, emplie par des hommes de tout âge, ria à gorge déployée. Nolan baissa la tête et serra les dents afin d’éviter un scandale. Malgré le chahut direct de ses ascendants, il n’en demeurait pas moins qu’il doutait de la parole de sa cousine. Lui-même, de par son statut de dirigeant, savait qu’un lien aussi fort entre un servant et son maître n’existait pas. Les sottises de Lila n’accentuaient que ses mensonges et son imposture. Malgré tout, sa désinvolture continua tout au long du jugement, les mots sortirent de sa bouche comme des bombes sans pour autant divulguer quoi que ce soit.

  • Femme, acclama le juge en perdant patience, il vaudrait mieux pour toi comme pour nous de ne pas nous attarder longtemps.
  • Elle doit cacher quelque chose pour mentir de la sorte, commenta une femme âgée, le regard désapprobateur. Un enfant, peut-être ?
  • Crois-tu, non ! rétorqua un autre. Une divulgation secrète à notre pire ennemi !
  • Qu’on la fouette à mort !

Le ton monta d’un cran ; les jurés sautèrent sur des conclusions aussi hâtives que farfelues, leur jugement voilé par une justice inique. Pendant ce temps, Lila resta de marbre sous les injures de ses ascendants et tenta malgré elle d’exprimer l’indifférence. Les paroles épineuses de son grand-père, le regard douteux de son cousin donnèrent naissance à une douleur sourde au niveau de sa poitrine. Ses yeux améthyste s’embrumèrent et un mal de crâne la menaça. Puis, Lila inspira profondément et sentit sa tête tournoyer. Son corps faiblit à vue d’œil alors que sa vision se brouilla de plus en plus. Pourtant, ses mains serrèrent le bois de la chaise comme pour se donner du courage et en finir avec son jugement.

Dans le perchoir, aucune hypothèse proche de la vérité n’avait été émise, ce qui referma Lila encore plus. Voyant le manque de coopération de sa part, le conseil Glasmartre décida de reporter jusqu’à nouvel ordre, sous les réclamations d’Eyden. Lila quitta la pièce sans jeter un œil derrière elle et désira même de disparaître du manoir le plus tôt possible. Une fois à l’extérieur et seule, elle délaissa son masque d’indifférence et souffla un bon coup. Les vertiges commençaient tandis qu’une de ses mains cherchait le mur et l’autre, plaquée sur sa poitrine, essayait tant bien que mal de calmer les palpitations de son cœur. L’évanouissement était proche, elle le ressentait.

Chancelante, elle s’isola dans un coin d’une pièce vide, fouilla dans sa sacoche et empoigna un petit flacon. Elle but cul-sec l’eau et soupira doucement. Plusieurs minutes s’écoulèrent, les forces de Lila revinrent au galop. Bien que toujours persistant, le mal de tête diminua. Néanmoins, il ne l’empêcha pas de bondir sur ses jambes et reprendre son chemin vers la sortie du manoir. Sa destination tant convoitée apparut enfin devant elle et la jeune femme vit enfin son désespoir disparaître alors qu’elle longea le reste du corridor. Une voix rauque tonna. Les pas de Lila s’arrêtèrent, son regard, hésitant, distingua derrière elle son grand-père, fier comme un paon, accompagné de trois gardes du clan.

Sans prêter grande attention, elle le gratifia d’un sourire narquois avant de détourner son attention vers les portes de la sortie.

  • Abattez-la, ordonna le grand-père.

Ses mains croisées derrière son dos, son index tapota nerveusement contre sa peau. En plus de ses sourcils froncés, ses dents s’amusèrent à mordre sa lèvre inférieure. Eyden s’impatienta et sa colère contre Lila ne fit qu’empirer. Un homme bondit derrière elle, puis un autre. Ses jambes ne se déplacèrent pas qu’un des gardes de la troisième branche tomba au sol, ce fut après qu’elle fit face au second. Son regard jaugea son adversaire de la tête aux pieds et ne put que soupirer d’exaspération. Une pensée satanique traversa son esprit, noircissant son être sur son passage.

  • Tu devrais te confier à eux, lui avait conseillée Alon dans la bibliothèque.

Quelle blague ! songea-t-elle intérieurement. Son dédain envers son aîné s’amplifia, provoquant cette impatience à attaquer. Alors qu’elle s’élança vers son adversaire, sa tête se remplit de souvenirs houleux ; tantôt des visages souriants, tantôt des regards inertes. En maniant le poignet de son sabre, Lila asséna un coup sur la nuque du garde qui l’assomma. Elle reprit son équilibre et perçut la fuite d’Eyden Elohan de Glasmartre. Cette scène ne lui procura qu’un rire jaune et grinçant, comme si ce ne fut point la première fois qu’elle observait la lâcheté de son grand-père.L’ignorance et la poursuite se présentèrent à elle sous forme de choix décisifs. Lila hésita quelques secondes entre finir à bien son objectif ou laisser place à son esprit vengeur. Cependant, son cœur trembla de jubilation à la vue du corps fragile d’Eyden courir au loin.

  • Et puis merde, marmonna-t-elle.

L’ancien s’enferma dans sa chambre d’étude et s’arma d’un couteau d’ornement –par manque d’arsenal, et patienta. Son incertitude lui rappela en boucle ses erreurs du passé, mais une sortit incroyablement du lot. Frustré, Eyden abandonna sa posture défensive pour les cents pas, grattant au passage son crâne de manière dramatique. Où ? Comment ? Quand ? Pourquoi ? furent ses interrogations.La porte s’ouvrit dans un fracas sous le choc de son coup de pied, Lila fixa son grand-père le temps de quelques secondes, un sourire noir étiré sur ses lèvres. Afin d’éviter tout dérangement, elle prit la peine d’évacuer le corridor –certains furent endormis, d’autres assommés. Puis, son regard s’illumina face à la peur de son aîné.

  • Toi, le grand Héros de la Révolution ? se moqua elle dans un éclat de rire.
  • C’était toi depuis le début ! devina-t-il en observant sa petite-fille se refermer d’un coup. Avoue ! Tu fais partie de ces gens qui ont mutiné contre sa majesté Flortan de Val ! Une traître telle que toi..RAH !

Lila éjecta le couteau de sa main gauche à l’aide de son sabre, laissant une paraître une égratignure.

  • Comment oses-tu ? Je suis Eyden Elohan de Glasmartre, ancien chef du clan, Héro d’Irathen et ton grand-père ! Tu me dois le respect !

Sans crier gare, elle apparut devant lui dans un mirage et le coinça contre le bureau ; son dos s’inclina et donna l’impression qu’il fut couché sur le meuble. La haine et la colère enflammèrent ses iris et d’un geste furtif, elle plaqua son genou contre la gorge du vieux.

  • Elisha et Marell, prononça douloureusement Lila.
  • Ah, ces bons vieux amis ! Leur fardeau était tellement lourd qu’ils n’avaient pas réussis à le garder. J’applaudis leur bravoure !
  • Pourquoi ?
  • Parce qu’ils le méritaient ! blatéra-t-il de plus bel. Mes calculs ont toujours été bons, je savais que si cet enfant naissait, il scellerait la destinée du clan ! Un fléau, c’était tout ce qu’il représentait !

Lila exerça une pression sur son genou et le regard terrifié de son grand-père lui parut tellement vulnérable. Ses yeux fuirent les siens, la sueur perla sur sa peau ridée, ses pieds tremblèrent de fatigue sous l’inconfort de sa position, et il tenta d’atteindre un ouvre-lettre avec la discrétion d’un cochon. Elle s’en délecta, avait-il ressenti la même chose en assassinant ses parents ? se demanda-t-elle. Le récit d’Eyden, elle le connaissait depuis longtemps, trop longtemps. D’une main tremblote, son deuxième sabre glissa de son fourreau.

  • Ne comprends-tu donc pas ? Je les ai tués, Lila ! J’ai ordonné l’assassinat de tes parents et celui de ton jeune frère qui venait à peine de naît–

L’attaque partit toute seule, furieuse et frontale. La lame de son sabre rubéfiée, la gorge d’Eyden Elohan de Glasmartre taillée en deux, le sang gicla de part et d’autre, tachant au passage la tenue de la jeune femme. Le corps, prit de convulsions, mit du temps à s’éteindre définitivement.Lila s’évanouit dans la nuit.

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