Celle qui choisit d'y croire
La pièce où se déroulerait l’interrogatoire d’Alon Elric fut plus petite, plus étroite et moins humide. Les mains moites, Luna Lund les essuya rapidement sur sa tunique et son échange avec Lila lui revint à l’esprit.
- Si tu me donnais le temps de tout expliquer, tu comprendrais sûrement.
- Parle, qu’on en finisse avec ces énigmes.
Luna acquiesça.
Tout au long de son récit, le vide des yeux de Lila fut profond et intense. Par moment, ses doigts tremblaient, sa jambe gauche sursautait et ses dents claquaient entre elles. L’histoire sortait avec anarchie, comme confuse. Les évènements répétés encore et encore, Lila basculait d’une action à une autre avant d’y revenir une nouvelle fois.
Jorik en faisait partie, de sa vie. Bien que leur relation ne fût point aussi solide qu’avec celle de Yorrick, il restait tout de même une personne à qui la confiance était indestructible.
- A mon retour, je m’étais jurée de ne pas croiser votre chemin, à toi et aux autres, avoua-t-elle en détournant le regard.
- Avais-tu peur ? Mais de quoi ?
- De tout. Ma disparition juste avant la guerre des Cinq Nations est loin d’être une coïncidence. Maël de Val nous a tous ordonnés de quitter le pays et de trouver paix et prospérité.
- Il vous a cachés, devina Luna après un court silence.
- Survivre, tel était son dernier commandement. Il nous a fait fuir parce que nous étions la source de cette guerre. Le monde voulait nous anéantir, nous enterrer six pieds sous terre.
- Vous… Depuis tout à l’heure tu parles de plusieurs personnes. Mis à part Jorik, ce fameux Yorrik et toi, combien étiez-vous ?
Lila plongea son regard dans le sien et chercha un quelconque piège. Malgré l’histoire achevée, elle n’oublia pas que Luna restait un membre de la onzième garde. Un petit sourire se forma sur ses lèvres par la suite.
- Treize.
- Et tu les as tous perdus…Quelle horreur !
- Nous étions treize et on faisait tous partie d’une même garde, son sourire devint nostalgique tandis que ses yeux rougirent.
- Que veux-tu dire ?
- Le régiment comporte officiellement douze gardes. Il y en avait une autre qui exécutait les missions de sa majesté les plus secrètes.
Elle reprit son souffle, inconsciemment perdu dans sa révélation.
- La garde treize. Treize personnes, treize gènes, treize puissances. La garde Mordare-
- Lila…, la coupa-t-elle dans son élan. J’ai été affiliée à la onzième division pour une bonne raison. Mon rôle n’a qu’un seul but ; trouver la vérité. Qu’elle soit importante ou non. Mon cœur te croie, mais ma raison ne boira pas tes paroles sans preuves. Je peux essayer de te protéger, seulement, ma tentative sera vaine sans tangibilité.
Haussant les sourcils, Lila l’observa quelques secondes durant lesquelles sa surprise se lut facilement sur son visage.
Les capacités de Luna Lund l’aidèrent à graver les échelons à l’âge de dix-sept ans, pêchée par l’œil experte de Maël de Val. La fillette qui lui courrait après devint une femme de logique et de raison. Une observation que Lila s’abstint à évoquer.
- Il faut que je sache si tu as des complices à Irathen, d’abord. Peut-être que les Anakrits l’ont déjà intercepté.
- Alon Elric est emprisonné dans une salle d’interrogatoire, annonça Lila nonchalamment.
- Alon Elric ? Le bibliothécaire ?
- Ne fais pas cette tête, il est bien plus utile que tu ne le croies.
- Est-ce la seule personne ?
- Oui. Tu t’y prendras comment ?
- Un bon investigateur ne dévoile pas ses secrets. Je ferai mon possible pour obtenir l’interrogation d’Alon et je ne sollicite que ta confiance et ta patience. Par contre, ça donnera naissance aux soupçons, sa majesté Amaël de Val viendra sûrement te chercher. En ce moment, rien na va au Conseil, ton retour est un chamboulement drastique. Il enverra les Anakrits et c’est là que tout se jouera. Patiente le temps que j’en finisse avec Alon.
- Tu sembles très sûre de toi, comment Amaël pourrait te faire confiance ?
- Elle s’est bâtie au cours de plusieurs années, il ne doutera pas de moi. Enfin, je l’espère…
Luna se leva et ouvrit la porte, prête à prendre congé.
- Merci pour les fleurs, dit Lila avec un sourire gêné, son regard sur le vase.
- Ce n’est pas moi qui te les ai apportées.
Ce fut ainsi qu’elle se retrouva devant Alon Elric. Ce dernier, surpris, l’observa sans prononcer un mot.
- Je m’attendais à voir une personne plus… Robuste ?
- Dites plutôt que vous imaginiez un homme.
- Oui, c’est ça. Je m’attendais à un homme plus robuste, fort et intimidant.
- Etes-vous au courant que cette situation vous met dans une mauvaise posture ?
- Ha ! De ma vie, j’ai vécu pire ! Ce ne sont pas des menaces d’une enfant qui me feront pisser dessus.
- Alors je demande votre coopération, Alon Elric. Je me bats pour une bonne cause, enfin je l’espère. Lila m’a tout racontée et il est possible que…Que je sois comme vous.
- Pourquoi hésiter ?
Luna se tut et détourna les yeux – ce qui lui en restait.
Alon était assez vieux pour paraître amical au regard des autres. Toutefois, à ce moment précis, la froideur de sa voix fit tressaillir la jeune femme. Puis, un doute s’installa dans son esprit. Ses doigts se triturèrent alors que sa gorge devint encore plus sèche.
Un rictus formé au coin de ses lèvres, Alon ne rajouta rien et abdiqua à la requête de Luna.
- J’avais conseillé à Lila de s’ouvrir à quelqu’un, commença-t-il, car ses blessures sont tellement profondes qu’elles pourraient la conduire à sa perte. Elles la conduiront à sa perte.
- … Je suis là pour prévenir un tel risque.
- Qu’attends-tu de moi ?
- Votre coopération, seulement. Je ferai le reste.
Luna tendit le bras et sa main frôla ses cheveux grisonnants d’abord, puis la posa à plat. Perplexe, Alon n’eut pas le temps de demander quoi que ce soit qu’il sombra dans l’inconscience. Les paupières fermées, une respiration sereine, le sommeil le vainc.
Et Luna nagea dans les profondeurs de sa mémoire.
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