Celle aux décisions douteuses

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  • Si je comprends bien, vous étiez treize, en comptant mon grand-père ?
  • Oui. C’est lui qui nous a ordonné de quitter le pays.
  • Si vous possédiez de tels pouvoirs, pourquoi fuir ?
  • Pour survivre. En restant ici, on risquait la mort et la perte d’Irathen. Sa majesté Maël de Val avait peur pour nous tous, il devait décider du moindre mal.
  • Et mettre vos vies en danger était la solution ?
  • C’était un mal pour un bien. De la sorte, Irathen n’a pas beaucoup perdu.
  • La guerre a été déclarée quelque temps après votre disparition et Irathen a vraisemblablement perdu.
  • A-t-elle tout perdu ?

Amaël de Val se tut. Les sous-entendus de Lila insinuaient la disparition de l’empire en lui-même. Certes, la puissance d’Irathen, politiquement, industriellement et économiquement, était minime. Elle aurait été rayée de la carte en un claquement de doigt. Sa survie le devait à sa position géographique ; entourée de montagnes et d’eau, les ennemis avaient eu du mal à l’atteindre. Mais une fois réussi, les plaines typiques irathiennes leur donnaient libre cours à leur volonté. Un fait qui les avait conduits à la perte de la guerre des Cinq Nations.

Des heures s’écoulèrent depuis le départ de ses sujets et Lila donna tellement d’informations qu’il crut sa tête explosée. Silencieuse, Luna attendit le bon moment. Ses doigts entrelacés, sa tête légèrement penchée vers le côté, elle écouta leur échange avec attention.

  • Revenons à cette histoire de gène, enchaîna-t-il d’un geste de la main, tu as dit qu’il se propage vers le cadet du clan. Comment cela fonctionne-t-il ?
  • Je l’ignore. On l’ignore tous. Sa majesté Maël de Val n’a pas eu le temps de le découvrir… Ni Yorrick d’ailleurs.
  • Il se pourrait donc que je porte celui de mon grand-père… Comment l’obtenir ?
  • Il faut verser du sang. La première fois le réveille et plus on tue, plus on gagne en force.
  • Bien étrange, en effet… Son origine ?
  • Rozen. Un citoyen de la Terre Blanche. Un talent inné, époustouflant et terrifiant à la fois. Il possédait les treize pouvoirs, mais son corps les supportait mal. Il a dû s’en débarrasser.
  • Tu veux dire que ce Rozen est un vieux de cent ans ?
  • Cent mille ans, plus exactement.

Le silence s’installa en une fraction de seconde avant qu’Amaël n’éclate de rire.

  • Crois-tu sincèrement que je vais croire tes sornettes ?
  • Mon seigneur, s’interposa Luna, je peux comprendre que ça puisse paraître curieux. Mais je sollicite votre ouverture d’esprit. Rien n’est ordinaire dans cette histoire.
  • Amaël la toisa quelques minutes, il détourna son attention vers Lila.
  • Tu as de la chance que Luna soit là pour te plaider.
  • Je ne m’en plains pas, sourit-elle légèrement.
  • Continue, avec cet homme de cent mille ans.
  • Il n’y a pas grand-chose à dire sur lui. Il était plutôt réservé sur le sujet.
  • Un immortel mystérieux, alors. En quoi consistait son pouvoir ?
  • Il avait gardé le plus puissant ; la maîtrise du sang.
  • N’est-ce pas un pouvoir à effrayer les enfants ?
  • S’il était encore en vie, vous ne serez qu’un vulgaire pantin pour lui-
  • Lila ! rappela à l’ordre Luna.
  • Je ne dis que la vérité. Rozen peut tuer qui il veut et quand il veut. La grâce ne fait pas partie de son registre. Un homme effrayant au combat, nos ennemis haïssaient sa puissance et le redoutaient au plus haut point !
  • Comment se fait-il qu’un homme de cet augure soit mort ? Après cent mille ans qui plus est.
  • Il est tombé d’une falaise et s’est transpercé le thorax par un rocher…

Plus il l’écoutait, plus il croyait entendre des excuses d’un enfant de dix ans. Amaël se redressa sur son trône, se gratta la barbe, puis râcla la gorge. Il était dans l’obligation d’avouer que cette histoire ne tenait pas debout. Pire encore, elle ressemblait à une pièce théâtrale, jouée dans le centre-ville.

La silhouette de Luna s’avança de quelques pas et ploya le genou.

  • Votre majesté, sous votre permission, je peux vous garantir la véracité de ses propos.
  • Et comment comptes-tu t’y prendre ? Rappeler les morts ?
  • Non, mais j’ai de bien plus efficace.

Doucement, sa main se posa sur son front, tandis que la seconde fit signe à Lila de lui donner la sienne. Elle abdiqua sans hésitation. Puis, alors que la surprise à l’égard de l’audace de Luna prit forme, il perdit vite connaissance et se retrouva dans un abîme infini. Des images embuées et des voix étouffées l’enveloppèrent. Une sensation de légèreté, douceur et sérénité ; Amaël crut rêver. Comme si son âme s’était séparée de son corps, voguant dans les souvenirs de Lila. Une Lila petite, une Lila jeune, une Lila heureuse, une Lila triste… Les images s’enchainèrent jusqu’à ce qu’il tombe sur la silhouette de Maël de Val.

Un écho choisi minutieusement par Luna.

Agenouillés devant Maël de Val, douze soldats gardaient la tête baissée. Il observait tour à tour ses sujets. Une lueur de chagrin dans son regard, il arrêta un instant, puis reprit pour s’interrompre une nouvelle fois. En dépit du son réprimé, Amaël devina l’échange de par l’ambiance angoissante.

  • […] Je vous le demande avec difficulté […] Votre survie est primordiale […] Cela vous paraît peut-être injuste mais […] Gardez le secret […] Allez-vous-en, tout de suite ! […]

La scène disparut en poussière. Amaël émergea de son sommeil, ses paupières toujours closes. Le parfum de Luna, discret et citronné, chatouilla son nez. Encouragé par son inconscience, il en inspira une grande bouffée.

  • Votre majesté… rappela-t-elle d’une voix hésitante.

Amaël ouvrit brusquement les paupières et découvrit l’expression de Lila en premier. Les sourcils remontés, les yeux plissés, son regard fixa sa main sur la nuque de Luna, tirée vers son visage et humant son parfum. Il se râcla la gorge, chassant la sensation d’humiliation dans son estomac.

  • Je comprends mieux maintenant, ton insistance à la défendre. Tu es aussi une porteuse de gène.
  • Oui, mon seigneur. Si Lila n’avait pas eu la chance de parler, alors j’aurais fini sûrement châtiée comme elle.
  • Cela n’excuse en rien ses actes ! Tu seras punie pour tes crimes quoi qu’il arrive !
  • Je ne m'enfuirai pas. J’ai simplement besoin de temps. Une fois ma mission terminée, ce serait un plaisir de rejoindre mes compagnons.
  • Lila, ne dis pas ça-
  • Qu’il en soit ainsi, la coupa-t-il d’un revers de la main. Lila de Glasmartre, je t’ordonne de finir ce que mon grand-père a commencé. Trouve les porteurs et apaise le fardeau d’Irathen. Néanmoins, chasse de suite l’idée de me tromper, de fuir ou de me trahir ! Une fois la quête terminée, tu reviendras payer les conséquences de tes actes. Est-ce bien clair ?

Son cœur chavira à la vue de cet homme. Et dire qu’elle était la première à s’approcher de lui, à sympathiser avec lui, à lui enseigner l’histoire. Il devint un homme de pouvoir et de puissance. De par l’autorité de sa voix, de son regard de braise et sa détermination, Lila ne put que ployer le genou devant Amaël de Val. Elle baissa la tête et prononça des mots qu’elle crut ne jamais lui attribuer, un jour.

  • Vos désirs sont des ordres, votre majesté.
  • Relève la tête et réponds-moi. Qui as-tu tué ?

Son regard trembla, tandis que sa bouche devint sèche. Chassant la pointe d’hésitation et d’amertume enfouie au fond de sa gorge, Lila répondit :

  • Fiona Foscor.

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