3. Sans désir
Garance tira la porte de l'immeuble et se faufila dans le hall. Elle pressa le bouton de l'ascenseur et, comme souvent, celui-ci ne descendit pas. Elle attendrait le matin pour prévenir le réparateur qu'il était encore tombé en panne. Luttant contre la fatigue, elle dut se résoudre à emprunter les escaliers pour gravir les quatre étages qui la séparaient de son pallier. Elle introduisit ses clés dans la serrure, rentra, referma la porte, balança son manteau sur l'accoudoir du canapé et se précipita dans la chambre. Là, elle retira ses vêtements d'une seule traite et se glissa dans le lit. Nate remua à côté d'elle et se redressa. Garance s'empressa de fermer les yeux, feignant de s'être endormie. Mais déjà Nate s'était penché sur elle et avait murmuré à son oreille, avec une neutralité glaçante, qu'il avait envie d'elle. Elle savait que c'était faux, mais elle le laissa docilement prendre les devants. Il la baisa, et elle le regarda faire sans rien ressentir. Aucune étincelle, aucun désir. Faire l'amour – si on pouvait encore employer le terme – n'était plus qu'une convention pour eux. Dans les bras de Nate, elle n'était plus qu'un corps en libre service, une enveloppe charnelle destinée à assouvir les pulsions de cet encombrant colocataire. Tandis qu'il se mouvait en elle, la seule et unique chose à laquelle Garance aspirait, c'était de pouvoir enfin céder à la fatigue.
03:53 Connexion à la Salle des Suicides...
03:53 DarkSoul est connectée.
03:53 Moi :
Toujours debout ?
03:54 DarkSoul :
Je te retourne la question.
03:54 Moi :
Je bosse la nuit, je rentre tard. J'avais envie de discuter.
03:54 DarkSoul :
On peut discuter, si tu veux. J'ai toute la nuit.
Où est-ce que tu travailles ?
03:55 Moi :
Dans un bar, et pas le mieux fréquenté !
03:55 DarkSoul :
Un bar mal fréquenté, voyez-vous ça ! Quels genre de clients tu dois te coltiner ?
03:58 Moi :
Eh bien, ce soir, j'ai manqué de me faire assommé par le verre d'un type bourré à la carrure d'un viking. Je me suis fait insulter trois fois de salope en moins de trois minutes par le même type pour avoir refusé de lui servir un troisième scotch, parce qu'il venait d'avouer qu'il était interdit bancaire et qu'il ne pourrait pas me régler les deux premiers. En somme, c'était une soirée plutôt calme !
03:59 DarkSoul :
Plutôt calme ? Je me demande ce que c'est les autres soirs, alors ! Excuse-moi mais je ne viendrai jamais prendre un verre par chez toi !
04:00 Moi :
Et toi, tu fais quoi comme boulot ?
04:00 DarkSoul :
Je ne travaille pas.
04:02 Moi :
Tu ne travailles pas ? Si tu te nourris dans les poubelles, je suppose que tu ne vis pas de tes rentes.
Tu es toujours étudiante ?
04:02 DarkSoul :
Non, je n'étudie pas non plus.
04:03 Moi :
Alors quoi, tu es retraitée ?
04:03 DarkSoul :
Oh, non, loin de là ! J'ai tout juste vingt-cinq ans, ça serait prématuré !
Et toi au fait, tu as quel âge ?
04:03 Moi :
Vingt et un. Mais je me sens tellement usée que parfois j'ai l'impression d'en avoir le triple !
04:04 DarkSoul :
Avec un travail si éprouvant, ça m'étonne que tu ne dormes pas à une heure pareille. Tu avais vraiment besoin de parler, pas vrai ?
04:06 Moi :
J'ai envie de mourir.
04:06 DarkSoul :
Il y en a beaucoup des gens, sur ce salon, qui ont ce genre d'envie. Pourquoi est-ce que toi tu penses que c'est la seule issue ?
04:07 Moi :
Je vis la vie d'une autre, dans le corps d'une autre, et au final je suis toujours restée spectatrice.
04:08 DarkSoul :
Explicite.
04:13 Moi :
Je n'aime pas l'endroit où je vis, je n'aime pas mon travail, je n'aime pas celui avec qui je suis supposée partager ma vie. Tout m'ennuie, tout me lasse : les journées sont affreusement moroses. Presque tout me semble fade et tout ce qui n'est pas fade m'écœure. Le bonheur est une utopie et je ne suis même pas une rêveuse. Quand je vois tout ce qui m'entoure, je me dis que ma vie est foutue d'avance.
04:15 DarkSoul :
Je te trouve bien pessimiste ! Déménage, change de boulot et romps avec lui. C'est pas si compliqué.
04:17 Moi :
Je déménagerais pour aller où ? Je changerais de boulot pour faire quoi ? C'est ça le problème, je n'ai envie de rien. Je n'ai aucune perspective, aucun désir. Je suis toute aussi creuse que ma petite existence. Quant à rompre... Ce n'est pas l'envie qui me manque, mais je n'en trouve pas le courage.
04:17 DarkSoul :
Peur de la solitude ?
04:21 Moi :
Non, je serai beaucoup mieux sans lui. Je voudrais tellement être seule ! Tu n'imagines pas à quel point sa présence me pèse ! Dès qu'il est dans les parages, je ne me sens plus chez moi. Celui que j'aimais est devenu un envahisseur. Je me demande parfois s'il ressent la même chose. Je vois bien qu'il ne m'aime plus, lui non plus, alors je me demande pourquoi il prétend toujours rester avec moi, avoir envie de moi...
04:22 DarkSoul :
C'est lui qui a peur de la solitude.
04:23 Moi :
Même si je ne le supporte plus, je ne veux pas le blesser. Il ne mérite pas ça.
04:26 DarkSoul :
Si comme tu le dis il ne t'aime plus, alors c'est la meilleure décision à prendre. Son amour propre sera heurté, mais pas lui. Quand deux personnes qui ne s'aiment plus s'acharnent à rester ensemble, je suppose qu'elles ne font que s'emprisonner mutuellement. Chacune des parties attend patiemment que l'autre les libère, et si aucun d'entre eux ne prend le risque d'être blessant, alors leur cellule se referme et les étouffe.
04:27 Moi :
Je crois que tu as raison.
04:27 DarkSoul :
Je n'essaye pas de te donner des conseils. Je n'y connais rien, moi, aux relations de couple. Fais ce qui te semble le plus juste : pour ton cœur, pour lui, et pour toi-même.
04:28 Moi :
Je vais y réfléchir. Mais tout de suite, j'ai sommeil, DarkSoul. Je te remercie pour ton soutien.
Bonne nuit, à la prochaine.
Déconnexion...
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