Dernière bataille

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De la boue et du sang. Voilà tout ce qu'il reste. Le vieux mage balaie d'un regard le champ de bataille. À perte de vue, des cadavres mutilés. Les hommes et les chevaux gisent pêle-mêle. Des gémissements sourds s'élèvent encore par endroits. Une insupportable odeur de fer et de brûlé traîne dans l'air, un relent qui éprouve les sens du vieillard.

Les belles armures dorées défoncées enserrent des membres écrasés. Les lances et les épées lourdes ont mordu la chair malgré les protections finement forgées. Certains sont morts transpercés, agonisant rapidement après un dernier regard stupéfait à leur poitrail perforé. D'autres sont partis plus lentement, noircissant délicatement la terre de leur hémoglobine. Quelques malchanceux sont simplement restés prisonniers de leurs cuirasses rutilantes, chauffées à blanc par les terribles sortilèges adverses. Les traits figés des cadavres n'expriment qu'incrédulité, désespoir et souffrance.

L'immense tour de pierre se dresse dans la plaine, provocante. Des milliers d'hommes sont tombés aujourd'hui pour elle. Depuis que le monde est monde, des armées s'opposent pour son contrôle, des royaumes s'affrontent pour sa domination et le pouvoir afférent. La tour recèle les plus vieux secrets sur terre. Philosophie, histoire, traités des arts occultes, les sages et les mages y amassent leurs connaissances depuis la nuit des temps.

Il y a lui-même étudié de nombreuses années. Une époque lointaine, paisible et innocente. Parti parcourir le monde à la fin de sa formation comme tous les autres maîtres-mages, sa naïveté a depuis fait place à un fatalisme blasé. En dépit de leurs fabuleuses capacités, il a compris sans tarder que les mages étaient recherchés essentiellement pour leur pouvoir destructeur. Son aptitude à massacrer des régiments entiers importait plus que ses conseils avisés.

Ce n'est pas le premier charnier qu'il arpente. C'est simplement celui de trop. À la vue de tous ces cadavres de jeunes gens mutilés, des corps écrasés et brûlés, un barrage cède en lui. Les larmes roulent le long des profonds sillons, sur la peau parcheminée. Les sanglots étouffés soulèvent sa poitrine. Tombé à genoux, appuyé sur son vieux bâton noueux, ses pleurs se mêlent au sang et à la poussière du sol.

Quelques secondes, quelques minutes s'écoulent peut-être, avant que la silhouette ne se relève sur la plaine. Une voix gronde, puissante comme le tonnerre. Des mots anciens et interdits, oubliés sitôt entendus roulent sur le champ de bataille. Le sorcier entonne sa dernière litanie, seul, dressé parmi les morts. Le silence qui s'ensuit est écrasant.

Les armures grincent et des grognements s'exhalent des carcasses. Le vieillard, vidé de son énergie, esquisse un sourire alors que tout autour de lui, les victimes se réveillent. Les ressuscités se remettent debout, incrédules. Les derniers instants du mage sont bercés par les cris de joie des réchappés. Satisfait d'avoir pu leur offrir une nouvelle chance, il s'abandonne à l'ultime étreinte et son corps désagrégé est emporté par les vents. Le choix n'est plus entre ses mains.

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