Un ciel de coton
Comme suspendue dans les airs, à une distance impalpable, une étendue de coton s'étend : pratiquement tout l'hémisphère sud est en proie à un immense et impressionnant cyclone, prêt à exploser. Après s'être amarrée par le biais d'un sas intelligent, l'équipe, à l'exception de l'IA pilote, est transférée à bord de la station indienne Saraswati. Un officier, visiblement peu à l'aise, les accueille : « Bienvenue à bord. Nous devons vous scanner afin de déterminer si vous transportez des armes. »
Par l'intermédiaire du micro-réseau SolNet établi entre les trois solaires, Mahertis ironise encore : « Sans rire, ils laissent un vaisseau équipé d'un réacteur à fusion s'amarrer à la station et s'inquiètent des quelques pistolets ou couteaux que vous pourriez porter… »
Tsadir met fin aux plaintes de l'IA et dépose l'unique arme qu'elle avait apporté en prévision de cette fouille, espérant réduire les suspitions. L'officier esquisse un léger sourire, lorsqu'il s'aperçoit qu'il ne s'agit que d'un simple pistolet shock, une arme neutralisante. L’IA de supervision prévient un ricanement de Tsadir : il n’a absolument pas remarqué les deux lames de carbone intégrée à ses avant-bras sur le scanner.
En revanche, au moment ou Ney passe à son tour au scanner, l'officier met fin à son humeur coopérative, exigeant de savoir ce qu’est la créature. Tsadir profite d'un reflet pour observer furtivement le moniteur : la belle créature est opaque aux rayons X. Son IA supprime un autre sourire.
La semi-féline, répond avec un ton rassurant et un peu enfantin : « Moi ? Je suis Ney. N. E. Y. » L'homme dé-clipse son holster, la tension monte et la créature continue : « Je suis une chimère hyper-hybride. J'ai été spécialement conçue pour prendre soin des personnes isolées ou des enfants. Ma conception mélange des technologies organiques et cybernétiques au niveau cellulaire. Votre scanner n'est probablement pas adapté pour ce corps, mais je peux vous assurer que je ne détiens aucune arme et ne représente aucun danger pour qui que ce soit à bord de ce vaisseau. »
Désamorçant la tension par sa gestuelle et ses intonations, Ney parvient à muer la peur instable du terrien en une méfiance bien moins dangereuse dans un tel environnement fermé. S'il s'était montré dangereux, Tsadir avait déjà relevé une dizaine de faiblesses exploitables en cas d'affrontement.
Maladroitement, car il tente de garder l’oeil sur les visiteurs, l'homme conduit alors les invitées dans la salle suivante où deux soldats en armes attendent, flottant près des murs les armes au clair, comme si la situation pouvait à n’importe quel moment se transformer en une fusillade explosive.
Invitées à s’asseoir sur les deux tabourets, pourvu de cales-pieds pour éviter de dériver dans les airs, les solaires se dirigent vers le fond du module. Ney évolue dans les airs avec une aisance qui surprend les trois humains. Tsadir l'avait remarqué auparavant sans s'en inquiéter, mais avec ses pattes gecko et sa structure pouvant assurer une stature bipède ou quadrupède, elle dispose là d'un avantage terrible. Lorsqu’elle se glisse avec grâce et contrôle sur l’un des sièges, tous ressentent l'impression d'être pataud.
Plusieurs minutes s'écoulent, dans un silence pesant, avant qu'une femme ne fasse irruption. Bien qu'elle porte l'uniforme onusien, une petite tache rouge au-dessus de son nez rompt son aura impression de rigueur. Ses cheveux errant par l’absence de gravité, lui donnent l’air de s’être préparée en urgence. Mahertis dont le signal semble pénétrer la station sans rencontrer de résistance, annonce : « Toujours aucun vaisseau en approche, il ne s'agit probablement pas d'une bonne nouvelle. »
En effet, l'officier leur annonce que le vol transportant l'enfant a du être repoussé car un imprévu lui a fait manquer le vol suborbital qui devait l'emmener à la base de lancement de Kampala.
« D'où doit-il partir ? » demande l'agent des colonies. Effectuant quelques vérifications sur son interface de réalité augmentée, la femme lui répond avec hésitation qu'il devrait être au London Luton Airport. Des nouvelles plus précises devraient arriver, mais à priori le prochain vol est prévu pour le lendemain, sous réserve qu'il reste une place dessus.
Bien que les mots aient été correctement choisis, Ney n'entends pas exactement la même chose. Certaines hésitations, certains renforcements syllabiques involontaires et quelques intonations maladroites donnent un autre sens à cette réponse, au-delà des paroles. Sur le micro réseau, elle indique : « Ils tentent de gagner du temps, quelque chose est probablement en train de se dérouler sous notre nez. »
Plutôt que d'attendre un signal quelconque de l'onusienne, Tsadir prend les devant, se levant , stabilisée d’une seule main : « Passons sur le protocole bureaucratique. Il se passe quoi en bas ? » Ses habitudes de chef de la sécurité ont la vie dur et l'agent coloniale ne laisse plus rien au hasard depuis bien longtemps. Dans la plupart des cas, l'information est importante et la retenir est particulièrement suspect.
Les hommes d'en face se regardent comme s'ils essayaient de se concerter, mais les logiciels de Ney lui démontre qu'aucune communication construite ne passe par ce biais. A l'évidence, ils ne savent pas comment réagir et la chimère décide d'en profiter.
La peluche commence par expliquer l’importance de la mission et les risques diplomatiques avec précision, elle dévie ensuite rapidement et Tsadir perd le fil de la discussion : le dialogue, proche de la manipulation mentale, ne lui est pas destiné. Si les mots et phrases ne lui font pas sens, ils finissent pas produire un effet impressionnant sur les trois terriens qui passent successivement par une étape de doute, de remise en question et finalement l'aveux : « On ne sait pas où se trouve Alexandre Verner. Il a juste disparu. »
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