Après avoir survolé une grande partie de l'Angleterre et de l'Écosse, l'appareil furtif s'était posé près de la côte ouest de l'île de Hoy. Ces terres à la végétation rase ont une allure dévastée et le sol rocailleux baigné par l'air marin semblent vide de population, abandonné. L'air particulièrement froid semble être l'une des principales causes de la désertion de ces terres.

Au loin, la base possède une longue piste d'atterrissage longée par plusieurs bâtiments, des entrepôts pour la plupart. Alors que le copilote surveille l'horizon avec ses lunettes infrarouges, épaulé par Tsadir qui emploi sa vision améliorée, observant l'inactivité apparente des lieux. Rapidement, cette absence de vie lui parait suspecte, terriblement suspecte.

Ney, analysant l'air avec son odorat surnaturel détecte des résidus de styphnate de plomb et de nitrate de baryum dans l'air : des composés utilisés dans les munitions d'arme à feu, abandonnés dans les colonies depuis plus de vingt ans au profit des pulseurs, armes n'employant plus un explosif pour propulser la munition mais un railgun.

L'équipe se met d'accord : selon toute vraisemblance des coups de feu ont été tirés et pour que Ney les détecte d'aussi loin malgré des vents transversaux, c'est que la fusillade date de plusieurs heures déjà. Inutile de lancer des hypothèses trop avancée pour le moment, les solaires et le reste de l'équipe ne savent tout simplement pas ce qui a pu se passer, s'il s'est effectivement passé quelque chose.

L'un des hommes fait toutefois remarquer qu'il n'y a pas grand-chose à chasser par ici. Ney lui lance un très large sourire avant de se concentrer à nouveau. Tsadir indique au reste du groupe qu'elle part en reconnaissance : elle reste en liaison avec Ney sur une fréquence basse que le matériel terrien a du mal à détecter. Elle active le camouflage de son manteau et s'évapore devant les yeux surpris des terriens.

Se déplaçant rapidement en ne laissant que le minimum possible de surface “visible” aussi dessus du sol, Tsadir s'avance vers la base, malgré l'angle de plus en plus propice à l'observation, rien n'apparaît. Les lumières des bâtiments semblent allumés mais même à deux cents mètres, aucun son humain n'est audible. Il fait certes nuit, mais il est encore trop tôt pour aller dormir.

Arrivée aux abords des bâtiments, la samouraï cherche des yeux des signes de vie. Prenant soin de ne pas passer devant les projecteurs du hangar, elle avance vers l'unique bâtiment dont les fenêtres éclairées laissent présager de quelque chose.

En s'approchant de la porte, elle sent l'odeur de la poudre des armes à feu : il est clair qu'on a ouvert le feu à l'intérieur. La porte est entre-ouverte bloquée par un bras au sol. Se glissant dans l'ouverture, la guerrière met à contribution ses sens les plus entraînés et son IA de supervision guide son attention sur chaque élément pouvant être une source de danger.

Hélas, à l'intérieur la bataille est déjà terminée : seuls cinq corps jonchent le sol. Visiblement surpris, ils n'ont pu se défendre et pendant que son logiciel de reconstitution collecte des données, elle traverse le grand hall et se dirige vers la salle éclairée : là un autre massacres. Trois hommes au sol le quatrième est affalé sur la table où ils semblaient jouer à une sorte de jeu de carte avec mise, la précieuse monnaie physique posée au centre, chaque joueur ayant son petit tas à lui.

Sept tas ; dix chaises ; à la lecture thermique, elles sont toutes au-dessus de la température ambiante ; où se cache le dixième ? Tsadir fait appel à la mémoire de son IA : aucun des corps croisés ne correspond à Zackary Blumter. Où se cache donc le maître des lieux ?

Elle pousse la porte de l'une des salles attenante d'un léger et silencieux coup de pied : la porte s'ouvre et Tsadir fait un plongeon devant l'embrasure sans s'y arrêter, prête à laisser ses augmentations effectuer un tir réflexe. Mais ce n'est pas nécessaire et elle trouve un Zachary ensanglanté, pendu, après avoir été sauvagement égorgé. La mystérieuse odeur, qu'elle connaît que trop, commence à envahir ses sens.

Assassinés, et compte tenu de la disposition des corps, les assaillants ne sont pas des amateurs. Son logiciel lui apporte une reconstitution de chaque mort ; abattus, froidement ; les premiers sont morts de face sans réagir ; ils connaissaient leurs meurtriers ; les suivants ont tenté de fuir ; les armes à leurs mains ont été placées là après le massacre ; ils étaient désarmés. Pas de trace de l'enfant dans le bâtiment.

Le seul autre bâtiment habitable est la casemate accolée à l'entrepôt principal. Cette position défensive aurait fait en d'autres occasions une solide défense, mais rapidement, Tsadir se rend compte de son manque d’entretien. Le bâtiment doit avoir trente ans, peut être plus. Ses données géopolitiques ne couvrent malheureusement pas cette région.

Entrant dans le bâtiment, Tsadir se rend compte que l'intérieur soigneusement aménagé n'a rien à voir à l'apparente fonction du bâtiment. Il s'agit plus d'une sorte d'infirmerie, ou d'une clinique pour reprendre des termes humains. Sur le lit principal, un enfant est allongé, en première analyse, il ne semble pas porter de blessure, mais il ne respire pas pour autant.

De toute évidence, les assaillants sont déjà repartis et après une rapide vérification elle fait venir l'équipe médicale et Ney, cette dernière accourant au mépris des quelques jours qui reste à son enveloppe si elle ne trouve pas une source d'alimentation. Arrivée sur place, elle constate l'état d'Alexandre et après l'avoir ausculté rapidement elle baisse la tête de dépit.

L'équipe médicale arrive juste après et commence en vain les procédures de réanimation. Au bout d'une demi-heure, ils abandonnent. Ney leur explique avec une voix tremblotante que l'enfant est mort et qu'avec l'état de son réseau sanguin, et la rotation de son œil droit il est très probable que ce soit très moche lors de l'autopsie : le gamin a été empoisonné et c'est probablement le genre de saloperie propre à dissoudre un cerveau.

Dehors, Tsadir s'est assise contre le mur. Autrefois, elle serait entrée dans une rage folle, prête à faire payer le monde entier pour ce crime. Mais depuis l'installation de son IA de supervision, cette entité greffée à son esprit qui la guide, occultant certaines émotions, améliorant sa mémoire, ses réflexes, étendant son inconscient bien au-delà des capacités humaines, elle se concentre. Elle explore ses reconstitutions sans parvenir à trouver le moindre élément pouvant l'aider. Elle se lève et retourne sur le lieu du premier carnage, désireuse de trouver un indice, une preuve, un coupable.

Lorsqu'elle arrive sur place Ney juste derrière elle. La chimère observe les corps et tente d'analyser la scène. Tsadir lui envoie les reconstitutions et elle les explore dans un processus séparé : au diable les batteries. Avec l'une de ses lames, Tsadir extrait l'une des balles ; c'est une munition commune : du calibre sept soixante-douze ; elle porte des nervures pouvant correspondre à un fusil d'assaut pourvu d'une rampe d'accélération et d'un silencieux. À sa connaissance peu d'organisation ont accès à ce type d'arme à feu hybride accélérant avec un rail électromagnétique des munitions propulsées initialement par un explosif. Tsadir ne voit que les forces de sécurités des principales nations et bien sûr cette ONU qui les a déjà trahis une fois dans cette affaire.

La guerrière garde ses réflexions pour elle, Ney étant probablement arrivée aux mêmes conclusions, et retourne vers l'équipe médicale.