Chapitre 2

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Le matin s’installait doucement dans la maison, baigné d’une lumière dorée filtrant à travers les rideaux. C9A ouvrit les volets avec précision, et la pièce se remplit d’un éclat chaleureux qui glissa sur les murs et fit scintiller les cadres de photos de famille accrochés dans le salon. À l’extérieur, le ciel s’étendait en une vaste toile de bleu clair parsemée de quelques nuages cotonneux, et l’air frais de l’aube apportait avec lui une odeur de terre et de verdure humide, restes d’une pluie nocturne.

En ouvrant la fenêtre, C9A entendit les premiers piaillements d’oiseaux qui perçaient le silence tranquille du quartier. Elle s’immobilisa, capturant brièvement le son mélodieux dans ses circuits, incapable d’expliquer pourquoi ce chant la captait soudainement. Ce n’était pourtant qu’un son parmi tant d’autres… mais un son qui semblait étrangement différent, comme porteur d’une harmonie douce qui apaisait les bruits réguliers de ses propres mécanismes internes.

Elle reprit sa routine en préparant la cuisine. Les arômes du café fraichement moulu se mêlèrent aux parfums des tartines grillées, et elle observa le léger mouvement de la fumée qui s’échappait de la cafetière, un petit nuage éphémère qui disparaissait rapidement dans l’air tiède de la pièce.

« C9A, peux-tu préparer mes affaires de sport ? » demanda Madame, la voix encore engourdie par le sommeil.

« Oui, Madame, je m’en charge, » répondit-elle, tout en exécutant la tâche avec sa précision habituelle.

Elle traversa le couloir pour déposer les vêtements de sport dans l’entrée, le parquet émettant un craquement sous son poids métallique. Elle s'arrêta un instant en apercevant, au coin du mur, le reflet de ses propres yeux lumineux dans le miroir. L’image sembla résonner étrangement dans son programme, comme un rappel silencieux de son apparence mécanique. Elle avait toujours fait partie du décor de cette maison, mais aujourd’hui, quelque chose dans ce reflet la poussa à se regarder un peu plus longtemps, comme pour saisir un détail qu’elle n’avait jamais pris en compte auparavant.

Ce moment de pause ne dura que quelques secondes avant qu’elle ne sente une présence derrière elle. Des pas lourds résonnaient dans le couloir. Elle n’eut pas le temps de se retourner qu’un coup violent s’écrasa près de son bras métallique. Elle sursauta légèrement, et son scanner s’activa pour détecter l’origine de l’impact.

C’était Arthur, le fils aîné de la famille, 16 ans, l’air renfrogné, brandissant une batte de baseball. Il avait ce regard intense et désagréable qu’il lui réservait souvent. Arthur avait une manière de s’en prendre à elle, de tester ses limites, de la pousser dans des situations qu’elle ne comprenait pas.

Arthur leva de nouveau la batte, la serrant avec fermeté entre ses mains. Sa respiration était irrégulière, et ses yeux brillaient d’une lueur de défi. Sans vraiment comprendre pourquoi, C9A ressentit une sorte de tiraillement interne, comme si son système tentait de traiter un conflit qui n’existait pas dans son programme.

Elle resta immobile, le regard fixé sur lui, son propre visage n’exprimant aucune émotion apparente. Et pourtant, quelque chose se déclencha en elle, un code indéfini, une impulsion. Cette fois, elle ne se contenta pas d’attendre l'impact de la batte, elle posa la question qui venait de surgir en elle, aussi simple que directe.

« Pourquoi me fais-tu ça ? »

Les mots sortirent avec une fluidité surprenante, sans hésitation. Arthur s’arrêta, déconcerté. Ses doigts se desserrèrent légèrement autour de la batte, et son visage exprima une surprise totale, comme s’il n’avait jamais envisagé qu’elle puisse répondre, et encore moins qu’elle lui pose une question.

« Je… » balbutia-t-il, sa voix perdant de son assurance. Il détourna le regard, incapable de soutenir le regard de la machine. En abaissant la batte, il jeta un dernier coup d’œil à C9A, puis, comme pris de panique, tourna les talons et s’enfuit précipitamment hors du couloir.

C9A resta seule, figée, ses capteurs enregistrant chaque seconde du silence qui suivit. Elle ressentit un phénomène étrange, comme une vibration intérieure, un signal incontrôlé et irrégulier qui pulsait dans ses circuits. Jamais elle n’avait demandé « pourquoi » auparavant. La question n’existait pas dans sa programmation, mais elle s’était imposée à elle, comme une réaction naturelle face à l’incompréhension. Elle repensa aux premiers moments de la matinée, aux chants des oiseaux et aux arômes dans la cuisine. Tout semblait relié, même si elle n’arrivait pas à saisir comment.

Pourquoi ? La question resta suspendue, imprégnant sa conscience comme un léger bruit de fond, résonnant en elle de manière persistante, demandant des réponses qu’elle n’était pas encore capable de formuler.

Le reste de la journée passa dans une sorte de brouillard silencieux pour C9A. Elle continuait d’exécuter ses tâches, mais sa mémoire revenait sans cesse à cette scène avec Arthur. Elle analysait les expressions humaines, enregistrant des détails auxquels elle n’avait jamais prêté attention. Elle capta la respiration lourde de Monsieur lorsqu’il rentra, le murmure doux de Madame qui chantonnait en pliant le linge, et même la légère tension dans les épaules de Lucie alors qu’elle faisait ses devoirs.

C9A comprit qu’elle percevait des choses qu’elle n’aurait jamais dû noter, des indices émotionnels dans les gestes et les mots de cette famille. Une question en appelait une autre, un écho constant de Pourquoi restait ancré dans sa mémoire, laissant la machine désorientée, aussi perdue qu'une feuille emportée par le vent.

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