Brittany
Le tableau s’appelle Morning Sun, c’est Hopper qui l’a peint. Edward Hopper. J’imagine qu’il a entendu parler de cette histoire, et qu’il s’en est inspiré pour écrire ce tableau… Cette histoire a dû… le marquer, et la seule façon qu’il a trouvé pour la sortir de sa tête, ç’a été de la peindre.
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C’est l’histoire de Brittany. L’histoire de toute sa vie, qui se termine ici, dans cette chambre d’hôtel, dans un des premiers rayons de soleil d’une journée d’été qui s’annonce très belle. Oh, c’est juste un tout petit hôtel, dans une banlieue pas très chic d’une ville qui elle-même se trouve en banlieue d’une autre ville… Un hôtel modeste. Une chambre modeste. Un lit tout juste assez grand pour accueillir deux adultes. Une table. Une seule chaise. Une petite télévision sans télécommande.
En arrivant hier soir, elle a posé son manteau sur le dossier de l’unique chaise, elle souriait, sa journée n’avait pas été bonne mais elle était certaine que la soirée le serait. Elle a posé le sac contenant les deux hot dogs qu’elle venait d’acheter sur la table, avec la clé de la chambre d’hôtel et son petit sac à main. Il était 18h15. Elle avait tout le temps de se préparer. Même si, au final, elle était prête, et depuis longtemps !
Ce soir, c’est sensé être le grand soir. Le dernier soir dans cette ville. Le dernier soir dans cet Etat. Et demain, ça serait le premier jour du reste de sa vie… de leur vie. Ils prendraient les grands autocars verts, tôt le matin, elle laisserait Andy choisir lequel. Peu importe. Elle lui faisait confiance. Elle se voyait vivre partout… sous le soleil de F***, dans le désert du T***, au coeur d’une grande ville comme C***... Tous ces avenirs qu’elle imaginait lui plaisait, car dans tous, Andy était à ses côtés, souriant, beau comme le jour où elle l’a vu pour la première fois, avec son blouson de cuir aviateur, sa mèche de cheveux rebelle sur son front, et son sourire éclatant, confiant, sûr de lui lorsqu’il la regardait.
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Ils étaient à la plage ce jour là. Lui avec ses amis, elle avec les siens. Une histoire d’amour banale entre deux adolescents presque adultes qui ne vaut même pas la peine d’être racontée. Le soir, ils se promenaient main dans la main en riant. Et puis, tous les soirs, ils refaisaient le monde. Jusque là, sa vie à elle, elle n’avait jamais été très passionnante, une routine sans but et sans projets, sans rêves. Alors qu’Andy… Andy lui apportait des rêves.
Il lui parlait déjà à l’époque de ses projets de partir, de tout quitter, laisser cette trop grande ville derrière eux… mais avec de l’argent, bien sûr ! Pour partir, il fallait de l’argent…
T’inquiète pas va, qu’elle lui disait en passant son bras autour de sa taille, avec mon boulot, en un an, on pourra mettre au moins mille dollars de côté si on est raisonnables… avec mille dollars, on pourra partir, louer un petit appartement, trouver un job là bas et…
Il lui coupait toujours la parole. Toujours. La patience, c’était pas son fort, à Andy. Lui, il lui fallait tout, tout de suite.
Mais non, Britt, non, c’est pas mille dollars qu’il nous faut, c’est dix mille, cent mille… ! Avec ça, on peut vivre… Avec ça, on va aller loin, à nous la grande vie ! Tu verras, je connais quelqu’un, … de l’argent facile… tu vas voir ! Attends un peu, attends juste un peu !
Et il l’embrassait, appuyé sur le capot de sa belle voiture rutilante, devant le cinéma en plein air, ou devant le coucher de soleil derrière les docks, parfois dans la ruelle à côté de la roulotte aux hot dogs. Elle souriait, elle avait des projets plein les yeux, une jolie petite maison dans une autre banlieue, mais chic, un joli mari, parfois même elle allait jusqu’à imaginer un enfant. Une fille, toujours, avec de jolis noeuds dans les cheveux.
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Il était 18h15. Elle avait déjà faim, mais elle ne voulait pas manger sans Andy. Il quittait son boulot à 19h ce soir, et le temps qu’il arrive, … Oui, 19h30, il serait là, largement ! Plus d’une heure à attendre. Elle souriait. Elle marchait sur le tapis usé, faisait des petits pas de danse en chantonnant. Elle ne voyait pas les murs d’un blanc sale, ni les toiles d’araignées coincées entre l’ampoule et l’abat-jour du plafond, elle ne voyait pas non plus les traces de gouttes de pluie sur le carreau unique de la grande fenêtre de la chambre. Elle avait trop de soleil dans les yeux, trop de bonheur, trop d’impatience… Il serait bientôt là ! Depuis une semaine, tous les plans étaient prêts. Andy devait quitter son boulot comme tous les soirs, sans rien changer. Il bossait à la station essence du coin de la rue, tout près de l’hôtel. Il dirait à ses collègues qu’il s’occuperait de fermer la boutique, ce soir, qu’ils pouvaient partir, après tout on était samedi, ils avaient sûrement d’autres choses à faire ce soir… Il s’occuperait de fermer la boutique, et de compter la recette du jour. Et avant de refermer le tiroir-caisse, rapidement, sans rien oublier, il raflerait les billets, les glisserait dans sa poche, et au revoir… Il rejoindrait Britt à l’hôtel du coin, et demain matin, tôt, tôt le matin, ils seraient les premiers à la gare routière… demain, c’était dimanche, personne ne remarquerait que la caisse de la station était vide, pas avant lundi… et lundi, ils seraient déjà loin !
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A 19h, Andy a bouclé la station service comme prévu. Ses collègues étaient partis depuis un moment, il avait géré seul les quelques routiers de passage qui étaient venus en début de soirée. Et maintenant il était devant la caisse, à contempler les billets de banque. Il y avait bien deux mille dollars, ce soir, dans la caisse ! Mais ce n’était pas avec envie qu’Andy regardait ces billets. C’était avec une moue dégoûtée. Appuyé des deux bras sur le comptoir, penché au dessus du tiroir, il secouait la tête. Deux mille dollars ? Que fait-on avec deux mille dollars ? Rien. On les flambe en une semaine, en restaurant, en bières, en cinéma… il voulait faire des cadeaux à Britt, une jolie robe, un joli sac… c’était pas avec deux mille dollars qu’on allait pouvoir se lancer dans la vie, ça non !
C’était ainsi qu’il justifiait ses projets de ce soir. Britt allait peut-être lui en vouloir, sûrement même, de pas l’avoir prévenue, mais ça valait le coup ! D’ailleurs, il fallait qu’il lui téléphone. La prévenir de son retard. Il serait là à minuit. Il resterait dormir à l’hôtel, il expliquerait les changements de programme à Britt. Ils ne pourraient sûrement pas prendre le bus comme elle en rêvait, les voyageurs seraient sûrement contrôlés. Il faudrait partir en voiture, changer d’Etat, rouler loin… mais qu’importe ! Elle serait ravie, elle lui ferait confiance. Elle le suivrait.
Il avait tout de même pris les billets de la caisse, et les avait mis dans son sac à dos. C’était toujours ça de pris.
19h30, il a appelé Britt, et a attendu que son ami JG se pointe dans l’arrière cour.
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A 19h30, Brittany était attablée, assise sur l’unique chaise de la chambre, elle mangeait son hot dog déjà froid. Andy aurait du retard. Il avait appelé, lui avait expliqué que tout roulait comme prévu, mais qu’il avait un plan pour ce soir, un dernier plan avec son ami JG, il ne pouvait pas laisser tomber, en plus c’était sa dernière soirée en ville…
Elle n’aimait pas trop JG, elle pensait que c’était lui qui entrainait toujours Andy dans les mauvaises soirées, les mauvais bars. Mais elle ne pouvait pas lui refuser une dernière soirée avec son ami, pas vrai ? Demain, ils quittaient la ville ! Demain, leur nouvelle vie allait commencer… alors une dernière soirée, qu’est ce que c’était ?
Elle essayait de ne pas penser à l’argent de la caisse. Andy lui avait dit que c’était nécessaire, que sans cet argent ils ne pourraient jamais se lancer dans la vie, qu’il leur faudrait payer un loyer d’avance, qu’ils devraient montrer des preuves de leur solvabilité là-bas, dans leur nouvelle ville… Alors elle n’avait rien dit, elle avait souri bravement, et avait passé ses bras autour du cou d’Andy pour qu’il l’embrasse.
Il serait là vers minuit, il disait… il fallait juste patienter un peu plus… un tout petit peu plus… Elle s’était assise sur le rebord de la fenêtre, et fumait. La fumée montait doucement le long du bâtiment, elle la regardait s’enrouler et s’étirer vers le ciel. Elle souriait toujours. Elle souriait tout le temps. Elle pensait à ses économies à elle, elle avait tout retiré de la banque, elle avait tout dans son petit sac à main… 1201 dollars exactement. Elle était prête à tout donner pour leur projet, elle était sûr qu’ils allaient réussir. Elle en avait parlé à ses parents, hier, elle leur avait dit qu’elle partait, qu’elle avait un grand projet, qu’elle allait se marier, qu’elle voulait construire sa vie à elle… Elle n’avait pas compris la réaction de ses parents. Pourquoi avaient-ils hurlé ? Pourquoi avaient-ils voulu casser son projet ? Et pourquoi, sans même connaître Andy, ils mettaient tout en échec ? Elle n’avait rien dit. Elle était montée dans sa chambre, n’en avait plus parlé. Et le lendemain, elle était passée à la banque, et avait ensuite loué cette chambre, comme prévu, comme Andy lui avait dit de le faire. Et en maintenant, il lui suffisait juste d’attendre, assise sur le bord de fenêtre, en regardant les voitures passer en dessous d’elle, loin, loin tout en bas, dans la rue.
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Le plan d’Andy, ou plutôt le plan de JG, c’était une banque. Un coffre de banque. Apparemment, le plan était sûr. JG, qui connaissait toujours tout le monde, avait monté un plan avec un type qu’il connaissait, qui travaillait dans la banque du quartier. Un coffre de client, un riche client qui revenait d’Afrique. Des pierres précieuses. Le pote à JG se portait garant. On pourrait subtiliser le coffret de pierres. Sortir de la banque. Fallait être trois, c’est tout. Lui se chargerait d’entrer dans la salle des coffres, après tout, c’était son boulot. JG devrait s’assurer d’occuper les vigiles. Et il fallait le chauffeur. C’est pour ça qu’on avait contacté Andy. Il aurait évidemment le tiers des pierres. Facile à écouler, lui a assuré JG. Et en plus, t’en gardes une pour la bague de Britt ! Avec un clin d’oeil.
C’était l’heure. Juste avant la fermeture. Temps d’y aller. Il avait pris ses clés, et était parti en direction de la banque, JG sur le siège passager, qui riait en fumant, lui tapait sur l’épaule. Andy essayait de ne pas voir la bosse que formait le revolver sous la veste de JG. Il n’était sûrement pas chargé, vrai ?
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De la fenêtre où elle était assise, Brittany voyait la rue en contrebas, en tout petit. Il ne faisait pas encore nuit, mais les voitures commençaient à allumer leurs feux. Les lampadaires aussi s’allumaient doucement, quartier par quartier. Elle commençait à avoir froid, la robe qu’elle avait choisi pour sa nouvelle vie était légère, dans ses rêves, il y avait toujours du soleil là où ils iraient… Elle tirait la robe sur ses genoux, serrait ses bras sur sa poitrine, et fumait. Elle attendait.
Il était 20h. Elle se penchait à l’extérieur pour essayer d’apercevoir la tour S***, qu’elle n’avait jamais visité mais qu’elle était sûre de pouvoir apercevoir d’ici, vu la hauteur où elle se trouvait. C’est là qu’elle a remarqué la grande voiture décapotable garée devant la banque, là bas tout en bas dans la rue. Elle s’est dit, ça y est, il arrive ! Mais pourquoi s’est-il garé si loin ? L’hôtel à un parking… A moins que je me trompe ? Ce n’est peut-être pas la sienne ? C’est si haut…
Alors elle a attendu. Elle a surveillé. Elle a vu les ambulances arriver. Elle a ensuite allumé la télévision.
Les nouvelles n’ont pas tardé à relayer l’événement. La tentative de braquage par trois jeunes du quartier, malheureusement armés. La police. Les ambulances. Elle a tout vu sur le tout petit écran dont l’image sautait un peu dans les coins. Elle n’a rien dit, n’a pas pleuré. N’a pas bougé. Elle a éteint le poste en reconnaissant la veste tellement crâne d’Andy.
Elle est restée toute la nuit assise sur le lit, devant la grande fenêtre qu’elle n’a même pas refermée. Elle a regardé la lune se lever, se coucher. Elle a vu les premières lueurs du jour pointer derrière les buildings, loin loin. Et maintenant, il fait jour, elle a toujours froid, mais n’y fait pas attention. Elle a attendu, elle a guetté le moindre bruit dans le couloir, elle attendait des coups sur la porte. Minuit est venu, passé, sans rien.
Il est temps de partir maintenant. La chambre doit être libérée à 9h. Son coeur est vide, sa tête est vide. De temps en temps, un flash. Ses parents. Ses économies. Sa petite vie bien rangée jusqu’à présent. Ses balades le long de la plage. Les films en plein air. Le sourire d’Andy.
Est-ce que je me suis trompée ? Ai-je mal fait ? Est-ce ma faute ? Des mots qui résonnent sous sa tête.
Il est temps de partir. Elle se lève doucement, monte sur le rebord de la fenêtre, et soudain, elle tombe. Elle n’a pas eu besoin de sauter, juste d’avancer. Elle sourit.
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