Scène exclusive : La panne.

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1996

Le quart d’heure sans électricité dans lequel était plongé Saint-Clair sembla durer une éternité pour les élèves dans les classes. La plupart d’entre eux s’amusaient à pousser des cris semblables à ceux de fantômes pour effrayer leurs camarades.

Le temps sembla davantage long aux deux personnes prises au piège dans l’ascenseur.

Avec comme pour seul éclairage la lampe d’urgence, Monsieur Xavier perdait patience tandis qu’Alicia se mouvait d’avant en arrière dans une posture semblable à une pro de yoga.

  • Je les ai appelés pourtant, pourquoi est-ce qu’ils ne répondent pas ? Devrais-je changer de personnel ? Bon sang, ça ne sert à rien, s’énerva-t-il en claquant le téléphone dans la cabine.
  • Ooooohm…

Le directeur jeta un œil sévère à la blonde qui donna l’impression de se moquer de lui. Elle ouvrit une paupière à son tour pour voir sa réaction, puis lui lança un regard de compassion.

  • Pourquoi vous ne vous asseyez pas ? fit-elle en tapotant sa main contre le parquet de l’ascenseur.
  • Mais le sol est sale…
  • C’est votre école, haussa-t-elle les épaules pour sous-entendu. Allez, vous me rendez nerveuse ! De toutes les personnes avec qui je pouvais être coincé, il a fallu que ce soit avec vous…
  • Alicia ! Je ne permettrais pas qu’on me parle de cette manière, même si…
  • Je plaisante, monsieur ! Faites comme vous voulez, mais ça risque de prendre un certain temps, fit-elle en entourant ses genoux de ses bras.

Pendant un instant, il l’observa du haut de son mètre quatre-vingt. Dans un soupir, il s’accroupit doucement pour prendre place en face d’elle. Alicia lui adressa un sourire et se mit à siffler gaiement. Monsieur Xavier ne comprenait pas comment elle pouvait rester autant de bonne humeur alors qu’ils n’avaient aucune idée du temps que ça leur prendrait pour sortir de cette situation.

  • Comment fais-tu ? lâcha-t-il. Pour être si paisible ? Tu n’as pas peur de rester coincé ici ?
  • Ça peut arriver ?! angoissa-t-elle soudainement, lui faisant des gros yeux.
  • Non, voyons non… Ils vont forcément trouver une solution, mais tu as l’air si calme…
  • Je ne suis pas vraiment pressée ou quoi que ce soit, et vous ?
  • J’aimerais que ça ne dure pas trop longtemps, mes fonctions me prennent beaucoup de temps. Je n’aime pas non plus rapporter du travail à la maison…
  • Aaah, je vois, vous pensez à votre famille...
  • C'est exact.
  • Vous avez des enfants ?
  • Nous avons eu une fille avec ma femme, oui. Tu es bien curieuse, jeune demoiselle.
  • Baaaah, je fais passer le temps ! lâcha-t-elle en posant ses mains derrière sa tête et en croisant les jambes, affalée dans l’ascenseur.

Monsieur Xavier eut un rire étouffé. Cette jeune fille ne manquait pas d’air, forte d’avoir perdu sa mère. Le directeur l’avait connu de son temps en tant que professeur de français à Saint-Clair, avant de grimper les échelons. Il l’avait eu comme élève dans sa classe. L’une de ses meilleures étudiantes, bohème, littéraire et poète. La jolie blonde avait un caractère doux, un peu espiègle, qui devint plus joueur quand elle connut Sylvain Polswerd. Le quadragénaire les avait vus se mettre ensemble.

Alicia voyait qu’il s’apprêtait à dire quelque chose. Ce dernier craqua.

  • Tu sais que ta mère, Lana, était l’une de mes élèves ?
  • Non… Je ne savais pas… se redressa-t-elle doucement, intéressée et l’invitant inconsciemment à poursuivre.
  • J’étais très jeune à l’époque, la vingtaine, et je l’ai eu durant ses deux dernières années. Quelle nostalgie, soupira-t-il en regardant dans le vague. Nous n’avions donc pas beaucoup d’années différences et c’est sans doute pour cette raison que je m’entendais vraiment très bien avec tous mes étudiants. Ta maman adorait apprendre, elle était très douce et pleine de convictions. Elle ne s’énervait pas souvent, mais quand on touchait à ses principes… Gare à toi, elle pouvait être très têtue. Tu lui ressembles sur ce point, releva-t-il avec un sourire en coin. Physiquement aussi, la ressemblance est troublante… Pour le caractère, tu tiens énormément de ton père.
  • Alors vous l’avez aussi eu en élève ? demanda-t-elle très calmement.
  • En effet, et… Si tu savais les jaloux qu’il a faits. Lana ne jurait que pour lui et inversement. Ils étaient faits pour être ensemble.

À l’écoute, pour une fois, Alicia ne jouait pas aux fanfaronnes. C’était la première fois que quelqu’un d’autre que son père lui racontait des histoires sur sa mère. Enfin, elle la rencontrait sous un autre angle. Elle l’avait perdu à quinze ans, assez tard pour avoir pleins de bons souvenirs, mais elle adorait découvrir cette nouvelle facette.

  • Merci de me parler d’elle, sourit doucement la blonde. Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit ? Que vous l’aviez connu ?

Le directeur marqua un temps.

  • Ton père et moi-même, voulions que tu te fasses ta propre place à Saint-Clair. Quand j’ai appris pour son décès… Comme bien d’autres, j’ai été bouleversé. Alors quand ton père est venu me demander de réaliser son dernier souhait, je…
  • Son dernier souhait ? Elle voulait que j’entre dans la même école qu’elle et… s’arrêta-t-elle en prenant conscience de quelque chose. Est-ce que c’est grâce à vous ? Que j’ai pu entrer à Saint-Clair ? Mon père m’a simplement expliqué qu’il avait pu m’inscrire, je n’ai pas cherché plus loin…
  • Oui. J’ai fait une exception, avoua-t-il, les yeux baissés.
  • Mais ce n’est pas juste… Pourquoi ? l’interrogea-t-elle, ses yeux à elle, bien plantés sur sa figure coupable.
  • J’avais… beaucoup d’affection pour ta mère… Et je ne m’entendais d’ailleurs pas très bien avec Sylvain, mais je n’ai pas pu refuser sa requête.

Alicia le fixait d'un regard de plus en plus rond, littéralement sur le cul, les mains à plats sur le sol. Ils n’avaient pas beaucoup d’années d’écarts et s’entendaient bien. Monsieur Xavier avait accepté une telle demande alors que l’entrée à Saint-Clair était très sélective. Pas toujours très futée, elle avait quand même compris.

  • Vous l’aimiez… ?

Avant qu’il ne puisse répondre quoi que ce soit, les secours se présentèrent, criant les indications aux confinés. Se relevant tout deux, ils se mirent côte à côté. Un petit peu embêtée et aussi sous le choc, la blonde espiègle ne perdit pas une seconde :

  • Vicieux… lâcha-t-elle dans un murmure taquin.

Couvert de honte, le directeur plongea son visage dans sa grande main, puis jeta un regard à la copie conforme de son ancien coup de foudre. Au grand sourire qu’elle lui rendait, il vit qu’elle ne lui en voulait absolument pas. Il ne résistait pas au charme de cette petite qu’il considérait presque comme un membre de sa famille. Rien que pour avoir la chance de l’avoir connue, il ne regrettait pas la tournure qu’avait prit son destin.

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