6. Madden
La télévision résonnait dans le salon. Moulée dans sa robe bleue, son bouquet de roses blanches en main, elle descendit les dernières marches d'escalier de la villa et entra dans le salon. Sur l'écran, une journaliste parlait, de son habituelle air grave et solonnel.
— L'enquête continue toujours son cours au complexe hôtelier du Flamboyant dans le département du Vaucluse, dans la Provence Alphes Côte d'Azur. Après le meurtre de Sasha Rovel et sa soeur Emma Rovel, leur père, Philippe Rovel, a été mis en garde à vue après avoir été accusé d'un assassinat, produit vingt ans auparavant. L'affaire reste confidentielle pour l'instant mais plusieurs procédés juridiques seront mis en place dans les prochains jours. Reportage, Noah Deller et Justine Virginia.
Une image de Memphis se superposa à celle de la journaliste. Des étudiants en sortaient, concentrés par leur conversation et ignorant la caméra qui les filmaient.
— L'école internationale de Memphis, situé à Cannes, vit ses heures les plus sombres, disait la voix d'une journaliste. Le soir du 27 février, un tir fut entendu entre ses murs. Le corps d'Emma Rovel, une étudiante de l'école supérieure, a été retrouvée morte, une balle dans la tête.
Une photo apparut. Ils avaient pioché dans les photos de classe, une Emma de deux ans plus jeune. Souriante. Cadavérique. Elle avait dix-sept ans, elle venait juste de sortir de l'hôpital pour la troisième fois. Madden sentit son cœur se serrer. Malgré sa maigreur, ses yeux brillaient d'un bonheur éphémère. Elle était magnifique.
— Son frère, Sasha Rovel, avait été retrouvé mort le 24 décembre, tué d'une balle dans la poitrine. L'accusée s'avérait être sa petite amie, Gabrielle Torella, jusqu'alors jamais retrouvée.
Une photo de son frère s'afficha à côté. Une autre photo de classe. C'étaient sûrement les seules qu'ils avaient pu arracher de la famille.
— La police et la gendarmerie enquêtent sur un double meurtre. L'hypothèse d'un sereal killer se déplaçant dans les rues de Cannes n'est pas à écarter et la tension entre les habitants commence à monter.
Une fille apparut, les lèvres près d'un micro.
— C'est vrai que c'est pas trop rassurant mais bon, il y a toujours eu des gens dangereux dans chaque coin de rue et je pense que les deux meurtres des membres d'une même famille n'est pas une coïncidence.
Une vieille femme prit place, l'air gêné.
— Oui, ça fait peur, évidemment.
L'écran s'éteignit brusquement, coupant court à ce que la journaliste s'apprêtait à dire. Elle avança de quelques pas pour apercevoir Erwin. Il avait le visage enfoui dans ses mains, la respiration lourde. Elle n'osa rien dire. Rien faire. Le laisser respirer pour quelques secondes. Il avait changé depuis la disparition d'Emma. Tous avaient changé d'une certaine manière, mais Erwin était devenu froid. Il ne disait plus rien. Aux yeux de ceux qui ne faisaient pas partie de son cercle intime, il apparaissait juste comme une statue de marbre, les traits durs et le regard vide. Elle voulait savoir ce qui lui traversait l'esprit, mais elle ne pouvait pas insister. Elle-même n'était pas un exemple dans le domaine de la confidence.
Il tourna par hasard la tête dans sa direction et se leva sous la surprise.
— Je pensais que tu étais encore en haut.
— Non. Je suis là.
Elle serra compulsivement le bouquet dans sa main. Il l'analysa de haut en bas avec un sourire naissant. De sa main, elle lissa sa jupe. Louise avait insisté pour lui faire porter une jolie tenue, même si cette cérémonie était plus officielle qu'autre chose. Le vrai mariage se ferait aux États-Unis. Elle avait déjà un modèle de robe en tête, le genre que portaient les princesses dans les contes de fées. On vivait mieux dans sa bulle d'illusion que dans la triste réalité, après tout.
Il contourna le canapé et posa ses deux mains sur ses hanches. Son corps agit comme un aimant. Elle se colla contre son costard, sentit sa tête se soulever au rythme de ses inspirations. Il emmêla ses doigts dans ses cheveux.
— J'ai la plus belle femme du monde, murmura-t-il à son oreille.
— Je ne suis pas encore ta femme, fit-elle avec un sourire discret.
— Mais tu es déjà mienne.
Il l'embrassa tendrement. Sienne. Elle aimait la sonorité de ce mot. Ils s'étaient toujours appartenus. Depuis le moment où il avait pris sa main du haut des falaises jusqu'à maintenant - le nom Erwin et Madden n'avaient jamais pu se séparer. Elle n'en avait jamais aimé un autre alors oui, elle était sienne. Et il était sien. Pour toujours, jusqu'à ce que la mort les sépare et au-delà.
— Je porterai ton nom après ça, souffla-t-elle en rompant leur baiser.
Il caressa doucement son menton.
— Madame Layne.
Puis ses lèvres touchèrent à nouveau les siennes. Ce fut un instant pour elle, dans son petit monde idéal où rien à part eux d'eux ensemble n'existait. Ils allaient se marier dans quelques heures, unissant leur vie pour le restant de leur existence. Pour la première fois depuis longtemps, elle se sentit bien. Sa place était dans ses bras, contre lui, l'embrassant comme s'il s'agissait du dernier baiser. "Je t'aime" fut-elle tenté de dire. Mais ça ne servait à rien. Il le savait déjà.
Il rompit le contact mais lui prit immédiatement la main. Face aux escaliers, il cria le nom de William. Deux minutes de silence passèrent. Puis leur ami apparut, ses doigts croisés entre les deux bouts de sa cravate. Elle soupira intérieurement.
— Quarante milles tuto Youtube et pas deux qui s'accordent sur la même technique, pesta-t-il.
— Laisse-moi faire, l'arrêta-t-elle en chassant ses mains.
Il se tint immobile tandis qu'elle nouait correctement sa cravate. Son parfum possédait une forte odeur mais démasquer l'alcool sous cette couche superficielle n'était pas difficile. Il essayait d'économiser sa cocaïne pour tenir le plus de jours possible mais la fin arrivait à grands pas. Alors il buvait, enfermé toute la journée dans sa chambre. Elle avait essayé de le tirer de là plusieurs fois, mais il lui avait instantément claqué la porte au nez. Même si Erwin le laissait faire, il avait l'intention de le remettre sur pieds une fois aux États-Unis. Ce voyage serait l'occasion de le guérir. De soigner toutes leurs blessures.
Enfin, pour eux en tout cas. Madden n'oubliait pas que c'était sa mère qui l'attendait à Briarcliff Manor.
— Voilà, déclara-t-elle en s'écartant.
— On va être en retard, les avertit Erwin.
— Et alors ? Ce n'est pas comme s'ils vont commencer la cérémonie sans vous.
— Ce n'est pas une raison pour les faire attendre.
William leva les yeux au ciel puis les suivit jusqu'à l'extérieur où le chauffeur des Layne les attendaient. C'était la limousine noire de Charles. Un nœud blanc avait été accroché à la portière. Madden ajusta son manteau sur ses épaules et entra dans le véhicule. Ils arrivèrent à la mairie de Cannes seulement quelques minutes plus tard. Ils n'étaient pas censés reproduire toutes les étapes du mariage traditionnel, mais William insista pour qu'Erwin sorte le premier et aille occuper sa place devant le maire. Il ferma la portière après qu'il soit sorti. Madden le regarda entrer dans le bâtiment et disparaître sous les couleurs tricolores du drapeau français.
— Stressée ?
— Non, prononça-t-elle doucement. Parce que c'est exactement ce que je veux.
Il aquiesça.
— Comment tu t'en sors ? demanda-t-elle en profitant de ce moment à deux.
Il évita soigneusement son regard.
— J'essaie.
— On est là si tu as besoin d'aide. Tu le sais non ?
— Je ne veux pas qu'on parle de moi aujourd'hui, déclara-t-il brusquement. C'est ton jour.
— On est venu jusqu'ici juste pour signer un papier, c'est tout.
Il semblait nerveux. Le manque. Ses mains qui soubresautaient, sa manie de toujours détourner la tête quand elle voulait le fixer droit dans les yeux. Le fait qu'il choisisse d'abandonner la drogue au moment le plus difficile de sa vie relevait d'un grand courage. Elle devrait le lui dire un de ces jours.
Quand était venu le choix des témoins, Erwin avait été départagé. Il avait été certain de choisir Lucas, tout autant qu'elle avait pris Louise. Mais elle avait déjà proposé à Raven d'être son témoin quand Erwin devait décider entre Alexandre et William. Il ne voulait pas créer plus de tension entre eux. Alors ils s'étaient accordés pour que William soit son accompagnateur jusqu'au maire, puis jusqu'à l'autel quand Alexandre serait le témoin d'Erwin. William s'était réjoui de s'être fait attribué ce rôle. C'était une manière de lui assurer une place solide dans leur groupe, lui assurer que ce n'était pas parce qu'Emma avait disparu qu'il n'avait plus sa place parmi eux. Il était leur ami. Le meilleur ami de Lucas. Il faisait partie de leur famille.
— On y va ? proposa-t-il.
Une fois dehors, elle emboîta son bras au sien. Un vent froid souleva quelques mèches de cheveux.
— Tu crois que mon père y est ?
Elle y avait pensé toute la nuit. Malgré les hostilités grandissantes entre Charles et lui, elle espérait qu'il écarte ces conflits pour voir sa première fille se marier. Elle ne lui avait pas parlé depuis la mort de Sasha, mais il restait son père. Il lui avait inculqué toutes les valeurs qu'elle prônait aujourd'hui. Il lui avait enseigné à être forte. Et malgré toutes les blessures qu'il lui avait infligée... elle espérait le voir à son mariage. Juste le voir. Juste ça.
— Pourquoi il n'y serait pas ?
William n'était au courant de rien. Elle avait oublié.
— Rentrons, souffla-t-elle en se dirigeant vers les portes.
Le maire les attendait, bien droit avec son écharpe tricolore. Erwin était déjà placé face à lui, Lucas et Alexandre à côté. Raven et Louise l'attendaient également. Elle regarda les chaises, les places occupées. Catherine lui adressa son plus beau sourire. Thimothé était sur son téléphone et Diego regardait aussi l'écran, trop absorbé pour remarquer son arrivée. Alice Layne siégeait également, son regard fixé sur son filleul. Charles se leva et la rejoignit.
— Il n'est pas là, murmura-t-elle plus pour elle que quiconque.
Il n'était pas là. Il ne voulait pas assister à son bonheur. Est-ce que son bien-être lui avait importé un jour, en fin de compte ? Est-ce qu'il regrettait de l'avoir vendue pour de l'argent ? Toutes ces questions la rendirent nauséeuse. Charles posa une main amicale sur son bras.
— Madden, regarde-moi.
William resserra son bras, comme pour l'empêcher de tomber. Elle n'allait pas s'écrouler. Elle ne s'effondrerait pas parce que l'homme qu'elle aimait se tenait à l'autre bout de cette pièce et qu'elle allait l'épouser. Avec ou sans son père.
Mais ça faisait quand même mal.
Elle plongea son regard dans celui de son futur beau-père.
— Ne pense pas à lui, d'accord ? Son absence est causée par ma propre présence de toute manière. Il est frustré de devoir me laisser gagner.
— Oui. Oui, bien sûr.
Mais elle était conscience qu'il lui disait ça uniquement pour la rassurer. Il s'approcha alors plus près d'elle et déposa un baiser sur son front. Elle se raidit instantanément. Soit il ne le remarqua pas, soit il n'en prit pas compte.
— Tu es comme ma fille, sache-le. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas.
Puis il s'en alla pour reprendre sa place aux côtés de sa femme. Elle reprit son souffle. Elle n'était juste pas habituée à ces contacts. Le seul à vraiment pouvoir la toucher était Erwin.
— Au moins on peut être sûrs que tu t'entendras bien avec ta belle-famille, se moqua gentillement William.
— Ouais. Un peu trop même.
Elle réajusta son bras au sien. Erwin la regardait de loin, ses yeux ancrés profondément sur elle. Il n'y aurait pas d'alliances. Pas de "oui, je veux l'épouser". Ils réservaient tout ça pour les États-Unis. Mais aujourd'hui, elle devenait officiellement sa femme. Et il devenait son mari. C'était étrange d'utiliser de pareils termes quand ils s'étaient toujours défini comme "petit-ami" ou "ma copine".
William la mena jusqu'au maire puis lui serra une dernière fois la main en lui offrant son plus sincère sourire. Elle se tourna face au maire.
— Nous voici ici réunis pour célébrer l'union de Madden Helen Scott et Erwin Frédérique Charles Layne.
Alors qu'il commençait la lecture des textes de loi, elle osa tourner légèrement sa tôte. Il la regardait déjà. Ses yeux gris fermement fixés sur elle, comme s'il ne connaissait pas assez bien les moindres détails de son visage. Alors elle sut ce à quoi il songeait. Il n'y croyait pas. On lui tendait le bonheur dans la main après des mois à combattre pour l'obtenir, et il ne savait pas comment répondre face à ça. Il ne savait pas s'il avait le droit de sourire malgré la mort d'Emma.
Elle serait là pour lui. Madden s'était décidée à revivre. Emma était le genre de fille à hurler de joie pour des détails insignifiants, à vivre si intensément la vie qu'elle avait finie par en être rongée. Elle les insulterait tous si elle les voyait s'appitoyer sur sa tombe. La meilleure façon de lui rendre hommage, c'était de hurler de joie eux aussi. Erwin n'avait pas compris ça, pas encore. Mais elle serait là pour lui. Le maire cita des promesses dans une avalanche de mots formels. Prendre soin du ménage, d'eux-même, mutuellement. S'occuper de leurs enfants, s'aider, être là pour l'autre, ne faire qu'un. Jusqu'à ce que la vieillesse les rattrape et la mort les prenne.
Et Madden voulait que la mort soit fière de les prendre avec elle.
Eux deux, c'était une question d'éternité à présent.
Le maire lui donna un stylo. Elle signa. Sans aucune hésitation ou arrière pensée. Erwin fut tout aussi rapide. Les témoins s'emparèrent du stylo chacun leur tour et ce fut tout.
Ils étaient mariés.
***
Elle ramena une mèche derrière son oreille et inspecta pour la centième fois le carnet qu'elle tenait dans ses mains. Les trente premières pages avaient déjà été noircies. Son angoisse augmenta quand elle entendit la douche s'arrêter. Il lui fallait peu de temps pour se sécher et s'habiller. Il lui restait quelques minutes pour s'assurer de sa décision. C'était la bonne chose à faire. Elle en avait assez de le voir se replier sur lui-même et elle en avait assez de retenir tout ce qui la tourmentait en elle juste parce qu'elle ne savait pas comment formuler ses sentiments à voix haute. Ce carnet les aiderait tous les deux. Il consoliderait leur couple.
La porte s'ouvrit. Il n'avait mis qu'un pantalon. Son torse reluisait encore d'humidité. Elle contempla le dessin de ses muscles sous sa peau, la manière dont ils se mouvaient. Il surprit son regard et aborda un fin sourire. Après avoir rangé ses vêtements dans l'armoire, il la rejoint dans le lit, la couchant instantanément sur le matelas et se positionnant au-dessus d'elle. Il retira quelques mèches de son visage pour la contempler entièrement.
— Madden Layne, prononça-t-il.
Les deux noms allaient perfectement ensemble.
— J'ai... quelque chose pour nous, déclara-t-elle en luttant contre sa gorge nouée.
Son regard tomba sur le carnet qu'elle tenait entre les mains. Il l'avait déjà remarqué.
— Qu'est-ce que c'est ?
Elle se redressa et il se rangea sur le côté pour la laisser s'asseoir. C'était trop tard pour faire machine arrière à présent.
— La plupart des choses que j'écris, je les garde secrète. Et je sais que tu ne les as jamais regardé. Mais comme c'est mon unique moyen pour moi de... enfin bref. Au lieu de cacher mes écrits, je voulais t'autoriser à les lire. Du coup j'ai créé une sorte de journal où j'écrirai. Tu pourras le prendre quand tu veux pour regarder ce que j'y ai mis. Je le remplirai au fur et à mesure.
La curiosité brillait dans ses pupilles. Il lui prit le carnet des mains et le feuilleta. Il resta silencieux devant les premières pages, tourna toutes celles déjà remplies et retomba sur les blanches. Finalement, il frotta ses lèvres du bout de ses doigts puis planta son regard dans le sien.
— Je ne m'attendais pas à ça, avoua-t-il.
— Pourquoi ?
— Tu n'as jamais autorisé quiconque à lire ces genres d'écrits.
Elle déglutit avec difficulté. Elle était certaine de sa décision. Ça lui faisait juste peur. S'ouvrir de cette manière, elle ne l'avait pas fait depuis leur séparation. Et encore.
— J'ai confiance en toi. C'est tout.
Il toucha le carnet comme s'il s'agissait d'un trésor.
— Tu ne peux pas savoir à quel point je t'estime, Madden.
Elle aperçut un éclat dans ses yeux. Quelque chose d'humide qui s'accumulait sous l'émotion. Peut-être que ce geste signifiait plus pour lui qu'elle ne l'avait prévu. Elle en fut rassurée.
— Mais il y a une condition, continua-t-elle. Tu peux le lire, mais tu dois écrire aussi.
Quelque chose changea dans son expression. Par un très léger mouvement de recul, il avait déjà instauré une barrière entre eux. Elle n'aurait jamais pensé qu'il serait le genre à tout garder pour lui. Plus jeune, il avait été le plus extraverti d'eux tous. Tout le monde savait quand il se sentait stressé, triste ou heureux. La dureté de la réalité l'avait juste rendu froid.
— Je ne veux pas m'inclure dans tes textes.
— Ce carnet est commun. J'écris, tu lis, tu écris, je lis.
— Écrire n'a jamais été mon truc.
— Essaie au moins. Ça fonctionne pour beaucoup de personnes.
Mais il continuait de secouer la tête comme si c'était la chose la plus stupide du monde.
— Je n'ai pas besoin de ça. Je n'aurai rien à dire.
— Ne me fais pas croire ça, pas à moi.
— Madden, je...
Mais sa voix se cassa et l'eau dans ses yeux déborda. Il se cacha instantanément derrière sa main. Elle sentit son cœur se fendre en deux comme si elle absorbait ses propres émotions. Il avait besoin de ça. Besoin de lâcher prise. Et s'il devait hurler pour exprimer tout ce qu'il gardait à l'intérieur de lui, elle le laisserait faire.
Elle prit son poignet pour éloigner sa main. Il pleurait. Et il tentait de se reprendre, il essuya ses joues avec violence mais d'autres prirent place et il se découragea. Il se déchargeait de tout ce qu'il avait retenu pendant des mois. L'angoisse de ses absences. Le doute. Les funérailles de Sasha. Ses nuits avec d'autres hommes. Son inquiétude pour elle et ses nuits blanches. Son inquiétude pour William. La mort d'Emma. D'autres funérailles. Trop de choses devant lesquelles il avait voulu faire face en ignorant ses propres émotions. Elle voulait juste qu'il s'en rende compte et qu'il sache qu'avec elle, il n'avait pas à jouer les héros. Il était humain. Comme eux. Et il ressentait la même douleur.
Elle encadra son visage entre ses mains puis colla son front contre le sien. Il ferma les yeux, se laissant porter par son simple toucher.
— Je sais ce que tu cherches à faire, murmura-t-elle. Et ce n'est pas une bonne chose. Je me fiche que tu veuilles te montrer froid et intouchable à l'extérieur, mais je t'interdis de faire ça avec moi.
Il enroula ses doigts autour de ses poignets, éloigna ses mains pour toucher directement ses lèvres. Leur baiser eut un goût salé. Mais ce fut le plus profond de tous ceux qu'il lui avait donné ces derniers temps. Il était lui-même, un Erwin brut, à fleur de peau mais déchargé de toutes ses peines.
— Promet-moi que tu écriras.
— J'écrirai, souffla-t-il.
Il passa un bras autour de sa taille et la coucha à côté de lui, le plus proche possible. Un simple mouvement de bras lui permit d'éteindre la lumière. Dans le noir complet, il l'emprisonna contre son torse. Elle ferma les yeux, à la fois mouvementée par ce surplus d'émotions et apaisée d'avoir su faire ressortir de lui ce qui avait besoin d'être exprimé.
Ce fut la première fois qu'elle dormit toute une nuit.
Annotations
Versions