Les tréfonds des abysses
Après une difficile et longue transition de l'enfance à l'adolescence, on m'a longtemps décrit comme quelqu'un de très calme, de confiant, de gentil et de joyeux. Après des années de tristesse et de solitude, le bonheur s’ouvrait enfin à moi. On me demandait comment je faisais pour être aussi heureux. Je répondais que la vie était des hauts et des bas et, qu'au début de mon adolescence, les tréfonds des abysses étaient ma demeure et donc je ne pouvais que remonter. J'avais conscience que ce bonheur était temporaire. Je me disais que je ferais face facilement à cette futur tristesse.
Diplômé, un job à la clé et ma toute première maison achetée, je ne pouvais pas m'imaginer que cela était le début de ma seconde descente dans les abysses. Ce travail que j'idéalisais et dans lequel je fondais tant d'espoir m'avait confronté à la réalité d'être un adulte. J'avais très vite compris que je n'étais pas prêt d’en être un. Toutes ces nouvelles responsabilités m'alourdissaient et m'empêchaient de rester à la surface. Je commençais à sombrer. Je ne travaillais plus pour le plaisir et la passion, mais pour survivre et par obligation. Cet adolescent calme et joyeux que j'étais devait devenir un adulte stressé et malheureux. J'avais été recruté pour mon talent précoce, mais tout ce que je fus capable de faire fut de la déception sur les visages de mes employeurs. Quarante heures par semaine, assis sur une chaise devant un ordinateur, je tentais de les satisfaire, sans succès. Trop apeuré de voir mes supérieurs déçus, je n'osai pas leur demander ce que j'avais fait de mal. Je me contentai de rester dans ma cabine silencieuse à tant bien que mal combler mes lacunes.
Presque seul à la maison et presque seul au travail, la solitude me gagna. Un désir qui m'avait été inconnu tout le long de mon adolescence commença à s'éveiller : celui d'être aimé. Non pas aimé par sa famille ou des amis, mais bien par une personne qui ne pourrait plus quitter mes pensées. Je ne pouvais plus réfréner cette pulsion que j'avais fait sommeiller en moi tant d'années. Je ne pouvais plus me cacher la face et me dire que ce n'était que de l'admiration ou de l'envie. Moi qui, pendant longtemps, pensais ne rien éprouver, devais comprendre que je ne pouvais pas aimer comme tout le monde. Petit à petit, je l'acceptai et en parlai à mes parents, mes amis, mes frères et soeurs jusqu’à assumer complètement ce que je étais.
C'est à ce moment que tout s'écroula. Le petit poids qui me faisait tranquillement couler se transforma en un lourd bloc de béton. Mes employeurs me mirent à part dans une pièce et me dirent avec regret qu'il devait me renvoyer. Je n'étais pas mauvais, mais ne progressais pas assez. J'étais très sympathique, mais ne venait pas assez demander de l'aide. Il n'y avait rien de plus déroutant pour moi qu’être renvoyé non pour ne pas avoir fait le travail demandé, mais pour mon incapacité à pouvoir le faire comme il fallait. D'un air compréhensif, je leur souhaitai bonne continuation. J'allai voir mes collègues, qu'au final je connaissais très peu, et leur dit au revoir avec une voix cassante, retenant tant bien que mal mes larmes. Cette journée-là, j'étais coincé en ville. Personne ne pouvait venir me chercher et je ne pouvais pas rentrer chez moi. La personne que j'aimais bien me proposa de venir chez elle. Sa présence fut un baume pour mon coeur meurtri. Je pensais que c'était la bonne. Elle était dans toute mes pensées, mais je me voilais la face. Elle me dit qu'elle ne m'aimait pas de la même façon, mais je restai dans l'espoir que cela change. Cette personne brisa cet espoir en mille morceaux tout comme mon amour. Les larmes plurent une soirée complète. Un second bloque de béton s'enchaîna à mon corps et mon retour dans le fond des abysses était imminent. Moi qui étais fier de mes différences, regrettais de ne pas être plus normal.
Je cherchais tant bien que mal autre chose à quoi m'accrocher, un nouveau rêve d'avenir, un nouvel amour... J'avais une passion, mais craignais la précarité de cette voie. J'écoutai mon coeur et allai à l'université, cependant rien ne fut comme escompté. Ces études que j'avais choisies ne me correspondaient pas. Je n'en pouvais plus. Mon premier emploi perdu et maintenant ce rêve réduit à néant, j'étais perdu dans l'obscurité des abysses, incapable d'en sortir. Je pensais avoir échoué, ne trouvant aucune perspective d'avenir. Une personne me prit dans ses bras et me dit : « Tout va bien aller. » Malgré mon désespoir cette personne resta à mes côtés. Mes larmes de tristesse se changèrent en larmes de soulagement. Les poids de mes échecs de mon premier amour, emploi et rêve se détachèrent. Guidé par la main de mon amour, je remontai à la surface, ne regardai plus les poids restés dans les tréfonds et me contentai d'admirer l'horizon en tenant la main de cette personne qui sut guérir mon coeur.
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