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Il y a deux ans, alors que ma créativité était en friche, je cherchais autour de chez moi des ateliers d'écriture. Mais le coin dans lequel je vis ne permet pas facilement l'accès à des passions pointues. Sauf que je ne savais pas qu'il s'agissait d'une passion, ni d'ailleurs qu'elle était pointue... et ça pique. Parce que, parfois, écrire c'est douloureux...
Donc le constat était triste, pas d'atelier ; par défaut, j'ai rallié des rencontres de lectures... c'était casse-pied, relativement stérile, condescendant, pédant ; malgré des gens gentils et bienveillants. Mais c'est comme en cuisine, les bons ingrédients ne font pas tout le plat.
Je me suis rapidement enfuie.
Restait le net.
Il y avait de quoi faire, mais j'y découvrais fort peu d'environnements sains. La plupart des sites sont dirigés par un gourou et, autour de lui, se déploie une assemblée de courtisans. On ne contrarie pas le maître, on diffuse de l'obséquiosité sirupeuse "trop trop bien !".
Je commençais à me dire, "bon je lâche l'affaire". J'avais bien un blog, mais sans retour, écrire c'est presque masturbatoire pour moi. Toute seule dans mon monde, toute seule dans une cellule capitonnée sans lumière, c'est anxiogène, genre "y'a quelqu'un ? " ; j'ai l'ego dégonflé, si on ne me dit pas que j'existe, je pense que je finirais par fondre et me diluer dans l'air...
Donc "bon je lâche l'affaire". Et puis in extremis : un site d'écriture, vitrine d'une maison d'édition.
Dans le descriptif du concept, on expliquait que le site était organisé autour d'une communauté bienveillante.
Il y avait quelques têtes, mais elles géraient plutôt la maison d'édition. Il flottait des promesses d'éditeurs sur des textes hors normes, ce qui sous-entendait une lecture de professionnels. C'était tentant comme le miel pour les ours. Parce que s'il est une chose qu'on ne peut guère évaluer c'est soi-même.
Deux mois après mon inscription, j'avais trouvé un certains nombres d'esprits sympas, vifs, drôles qui transpiraient sur leurs textes et leurs commentaires. Le site existait depuis cinq ans mais le moment était charnière ; les précédents administrateurs, épuisés, cherchaient repreneur.
L'un d'entre eux voulait absolument maintenir la plate-forme. Sauf que ce qui l'intéressait, c'était sauver la maison d'édition, il avait sans doute quelque chose à prouver, que lui, pourrait la rendre rentable, que si on l'avait écouté... il enfila naturellement son manteau de gourou.
Les gens importants pour la vie et le développement du site l'ont laissé à ses rêves de gloire. Les conseillers (ils encadraient et sélectionnaient des textes en suivant une charte) se sont divisés, les pros gourou et les traîtres. Le programmeur partit à son tour, son architecture était absconse : les bugs sont devenus ingérables. Et les mécontents gonflaient des rangs de plus en plus épais.
Le maître trouvait les usagers de ses largesses trop difficiles qui ne se souciaient que d'eux-même, les bugs, selon lui n'étaient pas si graves ! Et chaque critique, même bienveillante, même constructive était rabrouée.
Mais cela s'aggravait, la plate-forme devenait instable, il eut fallu remanier l'ensemble du site, verdict -mensonge ou vérité- 20 000 Euros-. Les écrivains atterrés et accros à leur réseau, proposaient de régler la note. Le gourou refusa car il n'avait pas dit la vérité, les écrivains, l'âme de la maison d'édition, ne l'intéressaient pas.
Cependant, il avait négligé un détail d'importance : la plupart des revenus en édition, découlaient des auteurs qui achetaient les auteurs amis. Nous nous sommes dit qu'il avait suicidé le site sans porter aucune responsabilité, tout le monde était coupable, sauf lui. Et d'ailleurs si lui n'avait pas réussi, c'est que c'était impossible.
Après un an d'agonie, fin de l'histoire, sans avertissement, sans transition, sans consultation.
Certains d'entre nous, vivions la plate-forme comme une famille et pour nous ce fut difficile ; quelques tentatives pour maintenir la communauté vivante ne donnèrent pas des résultats très probants.
Quelques auteurs ont rallié wlw, mais il fait froid là-bas.
D'autres ont ouvert leur blog, les adeptes de Facebook ont pu garder quelques liens. Et puis, il y a des gens qui se sont totalement refermés à l'écriture en ligne... C'est dur de quitter sa famille !
L'une de ces personnes, elle était conseillère et prenait vraiment son rôle à coeur, savait combien j'étais frustrée ; pendant un an j'avais écrit quotidiennement, j'avais ouvert la porte à une passion sourde, elle était devenue bouillonnante et ne pas pouvoir y répondre m'éteignait, en quelque sorte.
Elle aimait mes écrits, Domi, elle m'a dit un jour : "Tu es le plus grand corps écrit que je connaisse", elle voulait parler de ma profusion. Elle voulait que je publie, que je cherche une issue que je continue d'écrire. Impossible pour moi, dans le silence de ma cellule. Alors patiemment, elle a cherché...
Et puis elle m'a parlé de scribay, elle disait : "Ça à l'air sympa, un fonctionnement proche d'IPag, mais sans pression d'édition. Une communauté sans passe-droit particulier, auto-gérée, participative, bienveillante... Mais le site est en maintenance. Il n'est pas accessible."
J'ai oublié l'info et je n'écrivais plus mais je retravaillais mes textes. On avait réussi à me convaincre (mes proches) de m'auto-éditer, je sais quel mépris soulève cette démarche, je m'en fiche, je leur rends possible l'accès à mon univers, c'est plus un mutuel cadeau affectif.
J'ai côtoyé des talents un peu partout qui ne sont pas édités, les "ceusses" dont c'est le travail, ne prennent plus de risques, ou si peu et il y a tellement de demandes... De plus en plus de gens écrivent, de plus en plus de gens le font bien...
Moi, je raconte des histoires, je vide mon sac, j'essaye de développer mes neurones miroirs et ceux des autres.
Je ne suis pas écrivaine (beurk ce féminin) je suis une conteuse, une faiseuse d'histoires, une donneuse de caresses. Et rien ne me fait plus plaisir que des yeux rivés sur moi, et des bouches entrouvertes qui attendent la suite ; les enfants font ça très bien.
Les adultes aussi quand ils se laissent aller.
Le projet d'édition arrivait à son terme mon stylo clavier me faisait mal, dans son absence et j'ai relancé mon amie : "Quid, de ce site, disais-tu ?"
Scribay avait ré-ouvert les portes de sa dimension.
Le portrait que Domi avait fait des lieux correspond à mon ressenti. Les gens sont sympas, l'écriture est partagée , il y a des perles de lectures. Je crois que les faiseurs ont réussi leur coup, Scribay est un lieu destiné aux auteurs. C'est un rêve mis en ligne qui nourrit tout un tas d'autres rêves.
C'est une deuxième chance de famille, de partages, d'amitiés. Un lieu qui ouvre ma cellule capitonnée.
Je ne veux pas faire d'obséquiosités sirupeuses, je ne vais pas citer les magiciens, mais vraiment merci aux concepteurs, aux travailleurs de l'ombre... Je sais le boulot que ça représente, égoïstement, j'espère pour nous qu'ils sont suffisamment nourris.
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