Me voilà donc arrivé dans cet univers qui me semble si familier. Comme une impression de déjà-vu. Ce blanc immaculé. Remplissant l'espace. Cette infinité profonde. Vide et pleine à la fois. Je m'émerveille de ce lieu enchanté. La Mort me lâche la main et m'indique du doigt une direction que je dois à présent suivre. Je quitte alors cette entité pour me lancer à la poursuite de je ne sais quoi. Mais j'y vais. Le sourire aux lèvres. Ce bon vivre qui règne autour de moi. Je suis seul, et pourtant j'ai cette impression de marcher dans une foule d'âmes libres et silencieuses. C'est alors que je distingue cet immense pendule.

 Il est vertigineux. Bien plus haut que ce pont que j'ai franchi il y a peu de temps. Ce pendule. Calme. Statique. Massif. D'une brillance telle que jamais je n’ai encore vue. Tout cet or qui paraît si lourd. Pourtant il semble être porté avec légèreté, là, au-dessus de ce voile de fumée qui court sous mes pieds. J'admire mon reflet déformé sur cet immense disque qui doit être le poids. Mon teint prend alors cette couleur jaune, conséquence directe de ma proximité avec l’éclat de cet objet. J'ai envie de le toucher. De le faire se balancer. L’entraîner dans cette danse. Je pose alors un doigt sur le coter du poids et alors même que je l'effleure, j'entends ce bruit de claquement métallique. Les rouages sont enclenchés. Il y a ce petit cliquetis de chaîne qui se fait entendre. Et puis je vois le pendule commencer à vaciller. Lentement. Découpant l'air dans un bruit sourd et léger. Il exerce de nombreux allers-retours devant moi. Je l'admire. Passivement. Spectateur. Je me laisse enivrer par ces va-et-vient dorés, la tête faisant la girouette. Puis je porte attention au cadran de l'horloge. Un cadran gigantesque. Très détaillé. Des chiffres romains y sont sculptés tout autour, décrivant les secondes, les minutes, les heures, les jours, les mois et les années. Les six aiguilles qui s'activent à l'intérieur frissonnent au rythme des engrenages, sans interruption.

 Je trouve cela amusant. C'est d'une telle beauté. Mais dois-je l’arrêter ? Je m'approche alors du pendule qui risque à tout moment de me fendre en deux. Je scrute le cadran. Dans l'attente de trouver un horaire qui me plaise. Puis je tends le bras en avant. Le pendule entame sa chute. Prends de la vitesse. Et finalement, le mouvement s'interrompt net, juste avant mon bras tremblant. C'est alors que je me souviens. Je suis déjà venu en ce lieu. Bien plus d'une fois. Chaque fois, ce blanc. Cet or. Cette danse. Et ce compteur. Je viens de choisir ma nouvelle date de naissance. Je vais regagner la Terre pour vivre à nouveau. Comme à chaque fois.

 Finalement, nous sommes tous décisionnaires de notre avenir. Chacun de nous construit son futur. Ce qui l'agrémente. Ce qui le jalonne. Chacun de nous choisit et ainsi vie, dans ce perpétuel renouveau. Je souris, mais au fond je sais qu'à ma naissance, plus aucun souvenir ne me sera laissé de ce lieu si beau et pourtant si étrange. Je me retourne et entends cette mère crier, hurler de douleur, mais aussi de plaisir. Elle est là, sur cette table obstétrique. Je l’entends souffrir. Souffrir pour moi. Je vais naître. Renaître. D'un instant à l'autre. Je suis appelé. C'est mon heure. J'ai choisi de naître là, maintenant. Je ferme alors les yeux et j'attends. J'attends ce moment de bonheur où une nouvelle chance va m'être donnée. Une nouvelle chance de vivre, découvrir, m'épanouir, souffrir aussi un peu, mais surtout grandir dans un monde qui, je trouve, est malgré tout magnifique. Je prends une forte inspiration. Je suis prêt. Je reviens.

Fin