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Il s’était démis l’épaule en tombant de l’échelle. Il avait réussi à aller, seul, à Bramont, au cabinet médical, en conduisant d’une main, sa mauvaise, en plus. Le médecin lui avait replacé le bras, d’un geste brusque, qui l’avait soulagé immédiatement. Il avait quand même dégusté. Quatre semaines d’immobilisation ! La Chambre d’agriculture lui avait envoyé un remplaçant. Il n’était pas bien costaud, il parlait beaucoup et, finalement, malgré la présence et les conseils d’André, le travail n’avait pas avancé.
Il avait demandé à en changer. Stéphane paraissait guère plus robuste, mais il abattait le boulot aussi bien que lui, le massif. Il était un taiseux, comme André. Ils avaient passé un mois ensemble, face à face aux repas, sans avoir échangé plus de trois paroles sur eux. Ils avaient le même caractère et, malgré ce mutisme, ils s’étaient bien entendus. Il habitait trop loin pour faire les allers-retours chaque jour, André avait donc aménagé un lit dans un coin de la grand-pièce. Un matin, pas bien réveillé, André avait poussé la porte de la salle de bain, mal clenchée. Il avait aperçu de trois quarts dos Stéphane, la main sur son sexe dressé. Les verges tendues, il connaissait, quand un de ses taureaux avait besoin d’être guidé. Des sexes d’hommes, il en avait vu plus que nécessaire à l’armée, souvent exhibés, accompagnés d’histoires salaces. Mais ce geste, il ne l’avait jamais vu. Il avait refermé la porte, se sentant rougir et gêné. Une tempête s’était levée dans son crâne, sans bien savoir pourquoi. Son désarroi l’avait effrayé. Tout était redevenu normal lorsque son aide était ressorti, toujours aussi réservé. Cette image de Stéphane dans cette position réapparaitra, par flash, comme un reproche ou un regret lancinant. Sur le coup, l’incident s’était effacé immédiatement.
Quand Stéphane partira, son remplacement terminé, ils s’étaient serré la main, sans mots inutiles. Jamais André n’avait partagé son existence si longtemps avec un étranger, en tête à tête. Il s’était senti ému par cette séparation, fâché de ce sentiment, car ce jeune homme, de vingt ans son cadet, ne lui était rien.
Quand, plusieurs mois plus tard, Stéphane passera lui rendre visite, il ne pourra s’empêcher de l’accueillir avec un grand sourire. Il était vraiment heureux qu’il soit revenu le voir, tout autant que Stéphane qui affichait une joie radieuse. Ils avaient échangé peu de phrases, l’un s’enquérant discrètement de la vie de l’autre, l’autre, curieux, s’informant des occupations de l’un. André l’avait invité à déjeuner au restaurant, à Bramont, sur un brusque coup de tête. La fois précédente où il avait mangé dans cet établissement renommé, cela avait été avec ses copains du syndicat. Ils se retrouvèrent dans leur silence partagé, contents de ce pudique échange.
Stéphane prendra l’habitude de venir, deux ou trois fois par an. Une année, occupé par d’autres activités, il sera plus de douze mois sans passer. André resta inquiet, sans se l’avouer, n’osant pas lui téléphoner, ne comprenant pas cet abandon. Il ne put retenir : « Ah, ça a été long ! », avec un immense esclaffement, quand Stéphane débarqua enfin.
Il était le fils d’une infirmière, son père était décédé quand il avait cinq ans. Il s’en souvenait à peine, par des photos. Sa mère était morte quelques années auparavant. Il était sans famille. Comme André, il aurait pu faire des études, mais cela ne l’avait pas intéressé. Adolescent, il s’était pris d’une passion pour l’agriculture et avait acquis les notions de base. Depuis, il voletait de stage en remplacement, en alternance avec le chômage, répétant qu’il voulait s’établir sans chercher à le faire, vivant de peu et sans objectifs de vie.
En retour, André avait raconté des bribes de son existence sans complications, n’ayant pas vraiment choisi sa destinée.
Ils ne savaient plus lequel avait commencé. Quand Stéphane arrivait, puis quand il repartait, une étreinte leur servait de salut. Un mélange d’amitié, de relation fraternelle ou paternelle les réunissait, sans que l’un ou l’autre ose approfondir ce lien qui leur était précieux. Deux âmes perdues, heureuses de ces rares moments d’affinité.
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