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Quand il se pose sur sa pierre, des évènements de sa vie surgissent, un peu au hasard. Cela remplace ses méditations, car pour lui, tout peut être objet de réflexion. Ses gestes, à force d’être réitérés chaque jour, dans toutes les conditions, étaient pour la plupart devenus mécaniques. Habile de ses mains, maitrisant ses machines, il ne lui était pas nécessaire de se concentrer sur les mouvements. Cela lui libérait l’esprit pour réfléchir aux vrais sujets. Son grand plaisir était de concevoir. Déjà enfant, ses pensées s’engrenaient parfaitement. Son maitre d’école lui avait répété qu’il pouvait aller loin.

Cela l’amusait aussi, car il avait besoin d’alimenter son esprit. Quand il travaillait une pièce de terre pendant plusieurs heures, alors que ses automatismes agissaient pour retourner la charrue en fin de sillon, ou la presse au bout de l’andain*, il fallait bien s’occuper la tête. Soit c’était une entreprise qu’il voulait voir aboutir, soit c’était un sujet qu’il avait lu dans le journal, regardé à la télé, soit il devait préparer une réunion. Il avait toute une réserve de choses auxquelles penser. Rien que les ordonner suffisait parfois à l’absorber. Il organisait tout à l’avance, pour ne pas être surpris au dernier moment.

Parfois, quand il butait ou ressassait, il laissait la question reposer. Une façon différente de voir, de comprendre apparaissait alors quelque temps après. Il le savait et il l’attendait. Même quand il avait trouvé une idée, il la mettait de côté. Pour les choses importantes, il revenait en changeant de rôle, essayant de démolir le premier résultat. Puis il posait les nouvelles conclusions à nouveau de côté. Il rassemblait toutes les positions et c’était le grand débat, comme il disait. Il interpelait l’une d’elles, vérifiait que le choix était cohérent. Il cherchait comment répliquer, comment contrer. Quand tous les contradicteurs avaient terminé leurs exposés dans sa tête, il redevenait lui et prenait sa décision. Il temporisait encore, guettant l’arrivée d’un contre-avis. Enfin, il réalisait son projet. C’était très long, mais indispensable sur les choix essentiels.

Surtout, il était seul. Il devait décider pour tout et personne ne lui dirait si c’était bien ou si c’était une erreur. Il était contraint de se questionner pour ne pas faire de bêtises et ne pas se laisser entrainer par des envies stupides. Il n’avait que lui avec qui échanger. Cette méthode lui avait en général réussi, car il ne s’était jamais trompé. Il avait eu des sueurs froides en signant pour de gros emprunts ou lorsque le conseiller du Crédit Agricole ou le technicien semblaient dubitatifs sur son projet. Il avançait alors les arguments qu’il avait ressassés. Son interlocuteur était bien obligé de reconnaitre alors que c’était du solide, du réfléchi. Il a toujours eu cette réputation de penseur. Quand il parle, encore maintenant, chacun écoute et hoche la tête. C’est sa petite fierté.

Son autre grande occupation était l’observation. Quand il était perché sur son tracteur, toute la lisière de la parcelle était sous ses yeux. Il pouvait apercevoir un lièvre, un renard, un chevreuil, un envol de perdrix, toute cette vie sauvage qu’il admirait. Il regardait un arbre et appréciait son évolution année après année, puisque chaque élément restait gravé dans sa mémoire. À la foire, il détaillait son vis-à-vis, capable de dire s’il avait la même tenue que la fois précédente ou s’il était moins bien portant. Il se sentait semblable aux rapaces qui survolent les prés, le regard perçant, distinguant le mulot courant dissimulé sous les touffes d’herbe.

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