Chapitre 23 - Blanc
Devant les journalistes, les Rois ont perdu tout ce qui faisaient d'eux des personnages respectés et respectables. Ils ont fini par perdre leur calme et se mettre à hurler, à injurier, et à envoyer paître tous ceux qui leur adressaient la parole. Après tout, ils pouvaient enfin se débarrasser de leur couronne, et je comprends qu'ils l'aient fait sans hésiter. Cela a au moins permis à ces pauvres bougres de se taire et poser leurs questions les uns après les autres. Ils se sont, par conséquent, rendus compte qu'ils voulaient tous poser les mêmes...
" Pourquoi ?
- Parce que, si vous l'avez lu, ce livre permet de contempler toute la sagesse de cette femme, et de se rendre compte que seule une personne avec l'expérience humaine et le courage de prendre les décisions douloureuses, avec la patience et le sang-froid nécessaire pour faire face aux pires situations peut gouverner.
- Mais c'est une criminelle !
- C'est simplement que le monde, il y a cinq cents ans, n'était pas prêt à subir les changements que nous autorisons aujourd'hui, et c'est aussi parce qu'elle n'a pas agi de la bonne manière. Elle s'était lancée dans une action à la fois politique, avec de grands discours, et comptait également sur une révolte physique violente. Aujourd'hui, plutôt que de se jeter à corps perdu dans une bataille sans fin, elle a préféré user de la culture. Les plus cultivés et les plus influents liraient forcément ses écrits. Elle s'est donc contentée de publier un livre qui permettrait de changer les esprits, et donc de détruire notre mentalité, qui était figée dans le passé.
- Que va-t-elle faire ?"
Là, je ne peux plus laisser les Rois répondre pour moi. Et puis, de toute façon, ils n'ont pas la moindre idée de ce que je vais faire. Je dirais bien que moi non plus, mais ce serait mentir... Qui n'a jamais pensé à ce qu'il voudrait faire s'il avait le pouvoir de changer les choses ? Je soupire, avant de répondre, d'un ton calme.
" Je vais reconstruire ce monde. Cette terre a besoin de changement. Mais j'ai compris que ce n'était pas la guerre, ni même les conflits qui faisaient avancer l'humanité. C'est parce qu'elle a un objectif qu'elle est capable d'aller de l'avant. Je ne vous promets pas la paix, surtout lorsque les plus conservateurs apprendront qui je suis vraiment, mais je ferais tout pour qu'elle soit rétablie au plus vite. S'il y a quelque chose que je peux vous promettre, c'est un règne où les inégalités seront réduites au maximum, et dont personne n'aura à se plaindre, une fois que mes plans seront achevés, au moins en ce qui concerne la quantité de nourriture et le nombre de logements."
Le silence me laisse ouvrir les yeux sur ce qu'il se passe dans la salle. Ils me fixent tous, avec leurs carnets dans une main et leur stylo en l'air. L'un le lâche, provoquant un tintement léger qui agit comme un coup de canon. Tous se mettent à noter, à une vitesse assez incroyable, provoquant parfois de petits accidents qui passent inaperçus.
" Madame... Si je peux me permettre... Vous avez parlé de régner, mais combien de temps comptez-vous rester au pouvoir ?
- Eh bien, au vu de mon âge, je dirais... Autant de temps qu'il le faudra, ou du moins autant de temps que le peuple le permettra.
- Et... Je sais qu'il est terriblement impoli de vous poser cette question, mais...
- Ah, vous vous inquiétez de mon âge ? Rassurez-moi, vous savez que je suis une Immuable ? Donc vous pouvez considérer comme normal que j'ai un peu plus de quatre mille ans, non ?
- Une... Une Immuable... Oui, évidemment... Pardonnez mon impolitesse, je n'avais jamais songé que vous pouviez être réellement plus forte qu'une Immortelle."
Les journalistes sont encore en train de noter lorsque l'un des leurs bondit de sa chaise pour me poser une question.
" Madame... Est-ce que vous voulez vraiment dire que... Vous allez peut-être régner pour l'éternité ? Vous pensez vraiment pouvoir vivre jusque-là ?
- À vrai dire... A-t-on jamais vu un Immuable mourir de vieillesse ? Je vais tester les limites du concept, si vous voulez bien. J'imagine que nous étions tous investis d'une mission, et que tant que celle-ci n'est pas remplie, nous ne devons pas mourir. Alors, si mon destin est bien celui qui j'ai choisi, je serai forte, jusqu'à ce que je vois la fin..."
Ainsi s'achève la conférence. Les Rois partent avec les journalistes, me laissant vraiment seule, cette fois. Chaque fois que je croise un homme ou une femme qui veut à tout prix être loin d'ici, je le laisse partir. Je ne veux pas retenir les gens qui estiment que leur place n'est pas ici. À force de laisser les servants partir, je finis par me demander qui me restera, quand je me serai établie.
Je convoque l'assemblée de tous les habitants du château et leur offre deux possibilités : partir, pour ceux qui le veulent, et rester. Je ne suis pas surprise de voir la plupart des gens partir, comme si c'était la seule chose qu'ils aient jamais voulue. Ce qui m'étonne plus, c'est que certains préfèrent rester. Ils ne sont qu'une poignée, mais s'ils ont choisi de conserver cette position, ils doivent bien avoir une bonne raison.
Il va donc falloir que je fasse une liste de tous les postes à pouvoir au château. Je relève trois cuisiniers, quatre femmes de chambre, et un page. Eh bien... En voilà du monde à recruter ! Peut-être qu'avant de m'en prendre au monde, il faut que je commence par ce qui est autour de moi...
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