Epilogue
Sur la terre, un grand silence règne. Cela fait plusieurs jours, déjà, que nul n’a trouvé la force de murmurer. Les crieurs de rue tendent machinalement leurs journaux aux passants, qui marchent, tête baissée, complètement vêtus de noir. Leurs pensées sont tournées vers le ciel, où repose désormais celle qu'ils considéraient, depuis des générations déjà, depuis un peu plus de quatre mille ans, comme leur Mère, comme leur Guide, et qui leur avait offert le plus beau cadeau qu'ils n'avaient jamais reçu : la paix.
On l'enterra de nuit. Au moment où les étoiles étaient les plus brillantes, le silence fut rompu. C'était des sanglots comme on n'en avait jamais entendu, c'était les Familles, c'était le peuple. Au moment où l’on enfonça le cercueil dans la terre, le vent commença à souffler. Sans que l'on sache comment, le ciel se mit à pleurer, lui aussi, mais c'était des larmes de lumière, comme tombant des étoiles, et elles se mêlèrent à celles des hommes, leur offrant un sentiment de bonheur qui les raviva. On se remit à converser, à échanger des souvenirs, et bientôt, ce fut un brouhaha mi-joie mi-sanglots, où l'on chanta les louanges d'une femme, d'un combat, d'une idée.
Certains, cependant, s'en moquaient bien, de cet événement. Dans les prisons, malgré les rares détenus, leurs rires faisaient vibrer l'air. Certains, visiblement malsains, hurlaient, euphoriques, et remerciaient les Dieux de les avoir débarrassés de celle qu'ils pensaient être un Démon, un agent du Diable avec pour mission de mener le monde au chaos, à la destruction. Eux chantaient fort, et les gardes n'avaient rien pu faire. Le tapage était tout ce qu'ils haïssaient, et même si les gens qui passaient par là étaient rares, ils se dépêchaient ou rebroussaient chemin. C’était un sacrilège que quelqu’un ne put apparemment supporter. Lorsque l'on vint leur porter leurs gamelles, certains gisaient sur le sol au milieu d'une mare de sang, la gorge tranchée, ou pendaient dans leur cellule, se balançant avec un craquement sinistre. Parmi les victimes, il y avait ceux dont le tapage avait été le plus violent, et un des prisonniers dénotait.
Il n'était pas allongé, ni pendu. Il n'était pas non plus mort, car on l'entendait sangloter. Mais, tout replié dans son coin, il marmonnait ce qui ressemblait fort à de l'elfique. Mais ce n’était ni un sort ni une incantation. Ses marmonnements étaient en fait une chanson, un éloge funèbre, un chant qui célébrait les esprits de ceux qui étaient tombés au combat.
Ezekiel, tout enfant qu'il était, pleurait lui aussi cette grande femme qu'était Helen Mithra. Il la pleurait à sa façon, certes, et ses larmes coulaient dans les plis de ses joues et dans ses rides, mais c'était des larmes sincères, de vraies larmes, peut-être pas d'amour, mais de peine, de manque. Elle n'était venue qu'une fois depuis qu'on avait mené directement dans cette pièce, sa geôle désormais, et il regrettait de ne pas avoir voulu lui parler. En fait, maintenant, il regrettait. Il regrettait de s'être conduit d'abord comme un enfant, puis comme un amant jaloux, avant de retomber dans ses délires de persécution et de paranoïa.
Il s'en voulait terriblement, maintenant qu'il ne pouvait plus faire marche arrière. Alors il plongea dans ses souvenirs, pour essayer de faire disparaître sa culpabilité. Il se rappela que la première fois qu'il l'avait vue, elle se tenait sur une haute monture, une simple épée à la taille, à la tête de ce qui lui avait paru être une immense armée. Il l'avait trouvée magnifique. Puis il s'était engagé auprès d'elle, et elle s'était battue devant lui, avec tant de force, tant de courage... Il réprima un sanglot, et se remit à pleurer. Il reprit sa litanie, son chant funèbre, et y mêla ses larmes.
Autour de la tombe aussi, on s'était mis à chanter. Ce n’était pas aussi beau que la mélopée d'Ezekiel, ni aussi fantastique de la pluie de lumière, mais ils faisaient ce qu'ils savaient faire : un hommage des plus vibrants, des plus gracieux, des plus émouvants, et pourtant, là-haut, cette femme souffrait.
Elle avait mal d’être loin d'eux. Elle avait mal de les sentir si tristes. Et pourtant, elle portait en elle une part de chacune de ces âmes, un infime morceau de toutes ces vies, une étincelle des milliers de cœurs qui se levaient et chantaient pour elle. Elle sentait qu'ils étaient sincères, elle savait qu’elle avait tout leur amour, toutes leurs pensées, et qu’elle était loin de savoir vraiment tout de la nature humaine. Elle ne put s'empêcher de sourire à cette pensée.
Elle se sentait si… Si… Si humaine, finalement.
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