Chapitre 13 - Sourde Tempête

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Les embruns marins fouettaient le dos de Kyos. Il escaladait la forteresse de Falside à la lueur d’un pâle croissant de lune. Il prenait une initiative. Le plan de la princesse lui paraissait imparfait. Elle n’avait aucune idée de comment voler les clefs. Il était le seul du trio à être libre de ses mouvements et malgré son refus qu’il s’infiltre seul dans la cité, il était convaincu qu’il était leur meilleure chance de dérober les passes pour le coffre-fort. Evidemment, s’il échouait, elle ne manquerait pas de lui porter une indicible colère. Mais s’il réussissait, cette colère serait passagère, vite effacée par la gratitude. Alors, il devait mener cette mission à bien. Et réussir une mission était dans ses cordes.

La molaire était gangrénée d’ouvertures qu’il savait surveillées. Il ne pouvait entrer par la grande porte sans être contrôlé et signalé par ses anciens camarades d’armes. Heureusement, il connaissait les tours de garde et les galeries, il avait occupé tous les postes de surveillance dans la ville. Un avantage tactique non négligeable.

Il rejoignit l’ouverture la plus proche du consulat, prit appui sur deux prises et jeta un œil discret. Deux soldats se tenaient dos à dos, dans un silence de mort. Ils apprenaient tôt à ne pas discuter ensembles. Le service n’était qu’une interminable suite d’heures perdues. Falside aspirait leurs âmes autant que leur vie. Il se demandait souvent s’ils étaient récupérables. S’ils pouvaient remettre en question leur endoctrinement comme il l’avait fait grâce à Nalya. Il baissa les yeux, sa poitrine se pinça brièvement. Ce n’était pas le moment de s’attendrir. Il saisit la grenade d’aveuglement à sa ceinture, la dégoupilla et la fit rouler jusqu’aux pieds des gardes. Il savait qu’ils ne s’y attendraient pas.

Intrigués, les gardes eurent juste le temps de se tourner vers l’objet avant que le flash lumineux ne les prive de la vue. Il sauta dans la galerie et neutralisa les combattants, rapide et efficace. Un coup bien placé à la tête les mit chaos. Il n’attendit pas son reste pour poursuivre sa route dans les grottes. Il ne devrait pas croiser d’autres gardiens à présent. Et il avait devant lui un peu moins de six heures pour réussir son braquage. Avec souplesse, il progressa dans le passage éclairé d’aquariums reliés de pompes utilisées pour maintenir l’eau des biotopes propre.

Le vent iodé sifflait dans le tunnel. Il lui était difficile d’entendre le moindre bruit ; un ennemi approcherait avec des cors qu’il ne le saurait pas avant de l’avoir face à lui. Le soulagement allégea sa poitrine lorsqu’il atteignit la sortie de la galerie exigüe. Falside arborait une teinte maladive sous la lueur de la lune. La roche ivoire tirait sur un ton verdâtre et renforçait cet aspect de dent cariée, reflet des mensonges et de la trahison de la Surface.

Il se plaqua au mur du palais, se pencha pour passer sous les diverses fenêtres qui le séparaient du quartier des appartements des consuls. Evidemment, il n’avait pas terminé son escalade. Les fenêtres du troisième étaient closes et aucune lumière n’en provenait à l’exception d’une. La silhouette du propriétaire se dessinait dans l’encadrement de la vitre. Il reconnut le consul Rucyos, un crabe royal. Officieusement, il dirigeait le Haut Conseil grâce à son charisme et son imposant calme. Kyos ajusta son sac en bandoulière, attrapa un relief de la façade, posa son pied sur un second relief puis testa sa prise. Il scruta le mur, à la recherche de sa prochaine prise et progressa en escalade libre, à l’abri de la pénombre procurée par le palais et le rempart. Malgré la prudence dont il faisait preuve, il manqua plusieurs fois de glisser sur la roche humide. Son cœur tambourinait un peu plus à mesure qu’il prenait de l’altitude, le risque de chute devenait plus mortel. Il jeta un œil timide vers le bas, mauvaise idée. Il se concentra sur le contrôle de sa respiration.

La sérénité revenue, il termina son chemin jusqu’à la fenêtre du consul. Soudainement, la sirène de Falside sonna l’alerte dans la cité. Le soldat sursauta, son pied ripa sur la pierre, il perdit l’équilibre et chuta de trois mètres avant de retrouver appui sur un relief suffisamment prononcé pour cesser sa chute. Tétanisé, il trembla, la terreur lacérait ses muscles. Les deux gardes s’étaient probablement réveillés de leur courte sieste forcée et avaient lancés l’alarme. Il déglutit, prit le temps d’une pause afin de retrouver son calme et grimpa plus rapidement vers son objectif. On le chercherait difficilement dans les quartiers des consuls.

La sirène avait eu le mérite d’interpeller Rucyos qui quitta ses appartements au pas de course. Le combattant pénétra dans le bureau personnel du conseiller. Pas une seconde à perdre. Il approcha de la table de travail, ouvrit le premier tiroir à sa portée et fouilla. Falside était la seule à utiliser encore l’écriture manuscrite sur du papyrus à l’encre de céphalopode. La lueur de la tablette abandonnée, allumée, sur la surface l’interpella lorsqu’il aperçut le nom de la princesse dessus. Il se pencha sur le message envoyé à la souveraine. Son cœur se tordit au fil des lignes de politesse hypocrite face à l’indécence de la nouvelle lubie du Haut Conseil. Son poing se serra. Nalya serait furieuse à la lecture de cette odieuse missive.

Il secoua la tête. La mission. Il poursuivit sa fouille, ne laissa aucun endroit au hasard. Il trouva une piste lorsque le dessus du bureau bougea alors qu’il se cognait contre en se relevant après avoir inspecté le dessous de celle-ci. Il dégagea la surface. Puis il tenta de le soulever, sans succès. Il secoua la planche afin de tester le jeu du morceau de bois. Il la poussa vers la gauche jusqu’à entendre un déclic. La surface bascula, découvrant une alcôve peu profonde. Kyos sourit à la vue de l’épaisse clef en métal teint en bleu. Parfait.

Il reposa avec soin les objets sur la table après avoir remis le panneau en place. Il approcha ensuite de la porte d’entrée et jeta un œil dans le corridor. Les autres consuls devaient s’être réunis dans la salle de commande pour consulter les rapports et diriger les recherches de l’intrus. Il s’engouffra dans le couloir désert et entra dans la résidence suivante. Devant le bureau similaire à celui du premier consul, il supposa que la cachette était la même partout. Avec raison car il mit la main sur la clef sans effort. Il reproduisit le schéma dans l’appartement suivant puis vint la partie délicate. Comment se tirer de ce mauvais pas à présent ?

***

Nalya tremblait et relisait encore et encore le pli adressé par la Surface. Le Haut Conseil lui imposait un mari. La pire des humiliations. Un de leurs inquisiteurs. En bref, ils prendraient durablement la main sur la plus grande cité aquaïenne du monde. Hors de question, cet homme ne la toucherait même pas avec un trident de deux mètres de long. Il la répugnait d’avance. Même si elle ignorait à quoi il ressemblait. Devenir son mari impliquait d’être roi et d’assurer la lignée. Un étau empoigna sa poitrine et serra avec cruauté au point que sa respiration eut un accro. Son poing se forma, tout son bras tremblait d’une rage qui émanait depuis le plus profond de son être. Elle n’accepterait pas. Jamais. Que la Surface aille se faire foutre ! Elle n’était pas à vendre, Atlantide encore moins ! Sa rage se mua en haine pure dans une moue de dégout, les narines dilatées. Elle pulvériserait ce nid de nuisibles elle-même.

Faerys observait sa sœur en silence. Il lui avait prêté main forte pour les tâches de dirigeant. La première fois depuis le début de la maladie de leurs parents. Il l’avait surprise mais son sourire ne trompait pas. Elle était heureuse qu’ils se rapprochent. Ils échangeaient sur une requête des tailleurs de la cité qui désiraient une taxe sur les importations de vêtements étrangers. La mode nordique les inquiétait. Ils avaient convenu de préparer une réunion avec les tailleurs afin de passer en revue toutes les solutions possibles qui pourraient être plus avantageuses qu’une taxe. Pendant leur discussion, elle avait continué de parcourir les messages sur sa tablette alors qu’il rédigeait les informations pour la réunion. Elle avait alors cessé de lui répondre et s’était perdue dans ses pensées. Il suivit l’évolution de ses émotions sur son visage, il devina une modification brusque dans la personnalité de sa sœur. Il attendit qu’elle releva la tête de l’appareil pour le regarder avec ses sombres pupilles qui se consumaient de détermination.

« Ils veulent me marier à l’un de leurs inquisiteurs. »

La nausée qui monta dans sa gorge à cette déclaration l’écœura. Sa propre haine de Falside gonfla dans sa poitrine. Un scandale. Ni plus, ni moins. Ils regretteraient de s’en être pris aux Magnalja. Et de convoiter Atlantide.

Kyos fit alors irruption après avoir disparu sans un mot. Le combattant revenait tout juste de son excursion sauvage à la Surface. Il avait dû se terrer jusqu’à la fin de l’alerte pour réussir à quitter la ville fortifiée. Le silence qui pesait sur la salle du trône, la tension qui vibrait dans l’eau ambiante ; il ne mit pas longtemps à relier cette atmosphère à la missive qu’il avait lu sur la tablette du consul. Il approcha de la jeune femme, s’inclina et lui tendit les clefs dérobées plus tôt.

« Reprenons votre héritage et mettons Falside à genoux. »

La princesse fixa les clefs, les prit avec délicatesse, comme si elle n’y croyait pas. Elle hésita à l’accuser de traîtrise mais la gratitude déborda de ses lèvres face à ses yeux d’une sincérité et d’une loyauté inébranlables. Elle prit ses mains pour le relever. Kyos rêvassa une demie seconde sur les lèvres ourlées de la princesse lorsqu’il se retrouva de nouveau à sa hauteur. Il se rappela à l’ordre. Elle lui accordait à nouveau sa confiance, Falside voulait lui imposer un époux, ce n’était pas le moment. Il s’étonna lui-même de songer à l’embrasser. Il n’aurait jamais prétendu faire le premier pas quelques semaines, ou jours, plus tôt.

Inconsciente des désirs du soldat, Nalya enviait tout autant ce baiser. Elle se détourna pourtant bien vite, fit quelques brasses dans la pièce dont elle contempla le plafond à la verrière formant le blason de sa famille. Elle percevait une aura nouvelle, comme si l’Histoire la jaugeait. Elle se remémora le message et sourit. Ces idiots lui donnaient l’excuse adéquate pour se rendre à Falside avec son frère. Ils la convoquaient pour lui présenter son prétendant. Et certainement lui expliquer qu’elle devrait lui laisser les rênes et que ce sera bénéfique pour son royaume.

Elle ne prit pas la peine de s’apprêter. Comme si elle allait faire le moindre effort, elle n’était même pas certaine de sa réaction face à un membre du conseil ou l’homme qui avait l’outrecuidance de lui voler sa main. Elle était furieuse, elle comptait leur faire savoir. Le trio nagea en direction de la surface, Kyos décrivait le chemin pour se rendre au coffre-fort, les obstacles armés qu’ils rencontreraient, le temps pour atteindre la salle protégée. Leur fenêtre d’action serait entre leur entretien avec le Haut Conseil et leur départ. Le pas pressé de la princesse dans les escaliers ébranlait une nouvelle fois ses habitudes princières. Deux gardes les contrôlèrent à l’entrée avant de les laisser rejoindre le consulat. Rucyos, prévenu par les gardes à l’entrée de la cité, les attendait dans le hall du palais. Il leur sourit et prit la main de Nalya pour la baiser.

Un frisson de dégout parcourut la jeune femme qui retira sa main. Sa vivacité surprit le conseiller qui se redressa, les yeux plissés de méfiance. Nalya le fixa de longues secondes, sa respiration s’accélérait alors qu’elle serrait le poing dans sa longue et ample manche. Plus elle voyait ce visage, plus sa haine enflait jusqu’à l’étouffer. Sa mâchoire se contracta au point qu’elle eut mal aux dents. Rucyos ouvrit la bouche. Elle refusait d’entendre son ton moralisateur et hypocrite. Elle refusait ! Son poing s’écrasa avec violence sur le nez du consul. Le sinistre craquement lui apporta une satisfaction inconnue. Tout autant que la chaleur poisseuse du sang sur ses phalanges.

Faerys écarquilla les yeux tandis que Kyos maintenait les autres gardiens de Falside à distance de la princesse, il ne voulait pas que la situation s’envenime. Il n’avait jamais vu sa sœur faire preuve de brutalité. Peut-être qu’ils n’étaient pas si différents au final ?

Nalya haleta, le poing tremblant. Elle jeta un regard circulaire, égaré, sur la salle. Toute l’attention était braquée sur elle et son éclat de colère. Elle qui se contrôlait toujours à la perfection. Elle fit quelques pas en arrière, un bras ferme entoura ses épaules et elle reconnut Kyos qui s’imposait entre elle et les autres bettas.

« Je m’en occupe, emmenez le conseiller à l’infirmerie et reprenez vos postes. »

Il ne sut d’où lui vint cette autorité inédite mais elle plia les troupes à ses ordres.

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