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Énora se réveille avec un texto sur son téléphone portable. C’est son ami Alex, un message concis.

« Coucou toi petite sœur adorée avec un smiley cœur rouge ».

La journée s’annonce purement et simplement agréable avec ces petites notes positives reçues de si bon matin.

Deuxième message : « On passe te prendre ce soir… match de foot ! » avec deux smileys, celui qui sourit de toutes ses dents et un cœur bleu.

Super ! J’ai hâte !

Elle remonte la couette au-dessus de sa tête, les sourcils froncés. Elle est quelque peu irritée, elle ne ressent pas l'envie de se rendre à un match.

Après l’habituelle journée à son salon de thé, la commerçante rentre chez elle. Caroline est adossée au mur devant l’interphone. Elle a cinq années de moins qu’Énora, elles se connaissent depuis les années lycée de la commerçante. Caroline est brune, elle a un carré court dégradé qui épouse parfaitement son visage fin et allongé.

— Je ne te dérange pas ? dit-elle en la prenant dans ses bras pour lui faire la bise.

— Pas du tout. Je suis ravie bien au contraire que tu me rendes une visite impromptue. Monte, je t'en prie. Tu n’as pas ton loulou avec toi ?

— Non, il est avec Tom… garde partagée, lance-t-elle en montant les marches.

Énora loge au premier étage. Elle se retourne subitement, décontenancée.

— Oh, pourquoi ? demande-t-elle avec maladresse, les yeux écarquillés.

— C’est la vie, c’est mieux ainsi, je t’assure.

— Assieds-toi, mets-toi à l’aise. Boisson chaude ou froide ? interroge Énora en passant la porte d'entrée.

Elle dépose son manteau sur la patère du hall.

— Ne t’embête pas, la même chose que toi. Tu as tout refait, dis-moi, c’est magnifique ce camaïeu de bleu sur tes murs.

— Merci. Cela fait si longtemps que cela que l’on ne s’est pas vues ?

Caroline lui narre les événements qui ont engendré la rupture avec le père de son fils : Mathis, 9 ans. Ils ne s’aimaient plus depuis un moment. Leur relation s'est détériorée au point où ils faisaient tout pour s'embêter mutuellement. Elle en a eu assez d'être considérée comme une femme de ménage et de devoir s'occuper de toutes les tâches domestiques. Elle devait jongler entre son travail, amener Mathis chez la nounou, faire les courses, le repassage, la lessive, la vaisselle, gérer les activités extrascolaires de son fils, s'occuper de la propreté de la maison, veiller sur les devoirs, allez chez le médecin, cuisiner, s'occuper du jardinage et gérer le centre aéré. « Patati et patata toute la journée, ça n’arrête pas ». Puis boumbigbadaboum ! Stop ! Elle n’était pas Cendrillon et n’avait pas le droit d’épouser ensuite le prince. Elle n'en pouvait plus de cette vie-là où personne ne reconnaissait ses efforts et où elle ne recevait aucune marque d'amour.

En revanche, Énora remarque que le point positif dans toute cette situation est que Mathis n’a pas souffert de la rupture de ses parents. Il semble s’épanouir dans leurs deux résidences différentes, passant une semaine chez son père puis l’autre chez sa mère. Caroline raconte qu'elle et Tom parviennent à améliorer leurs échanges et à mieux s’entendre.

— En fait, surtout, ça lui fait les pieds désormais de devoir faire la cuisine et son ménage !

— Si tu es plus heureuse ainsi alors je suis contente pour toi. Tu es rayonnante en tout cas, constate la commerçante.

— Je te remercie. Je peux te demander, enfin, me permettre de te demander si tu la revois ? se renseigne Caroline.

Le visage de son amie se trouble, se fige. Elle commence par éviter la question qui apporte une large agitation de ses pensées.

— Veux-tu grignoter quelque chose avec moi ? Alex ne va pas tarder… oh ! Si tu ne sais pas quoi faire ce soir, je te kidnappe pour un match de foot. S’il te plaît, dis oui ! Et… s’il te plaît, je ne souhaite pas en parler ni entendre quoi que ce soit à son sujet. Désolée.

Énora, le sourire crispé, enchaîne différents sujets dans une seule phrase, les superpose afin de créer une légère diversion.

Caroline éprouve de la compassion, du chagrin pour son amie. Que peut-elle faire pour elle ? Elle semble si forte, si sûre d’elle, épanouie. Seuls ceux qui la connaissent personnellement - elle, son passé et sa famille - peuvent voir à travers les filtres, remarquer que c’est seulement du cache-misère éphémère. Elle a posé de l’enduit de rebouchage partout où il y avait des trous : des trous de peine, de larmes, de douleurs, d’abandon. Elle la respecte beaucoup trop pour s’acharner, pour en savoir plus. Elles se sont perdues de vue un certain temps, mais leur amitié reste solide.

Caroline idolâtre littéralement son amie. Sa franchise qui a pu parfois la mettre dans des situations plutôt cocasses est classée dans le top trois des qualités d’Énora. La façon qu’elle a d’écouter sans juger, essayer de trouver des solutions, même lorsqu'il n’y en a pas, est une valeur qu'elle apprécie fortement.

« Il n’y a pas de petites préoccupations, pas de petites peines, ou de petits problèmes, tout est important ! » affirme toujours la commerçante avec conviction.

Même submergée par le travail ou noyée par ses propres débordements émotionnels, elle arrive à trouver du temps « pour les gens qui ont du cœur ».

Caro se focalise sur une partie de la réponse de son amie : « un match de foot » ?

Spike est monté sur l’accoudoir près de Caroline afin de recevoir une bonne dose de caresses.

— Regarde-moi ce petit opportuniste, observe Énora.

Elle dépose sur la table du salon des toasts et des jus de fruits frais préparés à l’instant.

— Allez, c'est bon pour le match de foot ! Qui joue ? J’ai bien envie de revoir Alex aussi, s’empresse de dire Caro en attrapant un petit toast.

Les deux filles partent de leur côté, Shin s’étant proposé d’emmener Alex et David. Elles sont ravies de partager une discussion de filles le temps du trajet. L'humeur d'Énora se charge d'allégresse, la présence de son amie lui fait apprécier la sortie. Le match a commencé lorsqu’elles arrivent.

Alex lâche la barrière et désigne sa montre aux filles.

— Ah les filles ! Toujours à la bourre ! s'amuse-t-il.

Énora lui tire gentiment la langue, ses poings sur la taille.

Il est ravi de revoir Caroline, de lui présenter son David. Shin paraît presque timide, il a les yeux rivés sur la nouvelle venue.

— Les tribunes, ça vous tente ? demande Énora.

— On vous attendait, il y a égalité pour l'instant, informe David en gravissant les marches des tribunes.

Les joueurs effectuent des passes pour progresser sur le terrain. Mikaël, plus technique, dribble pour se débarrasser des défenseurs. Le match est palpitant, le ballon va d'un but à l'autre quand soudain, le milieu de terrain de l'équipe locale intercepte un ballon et lance Liam en profondeur sur le côté. Celui-ci réalise un superbe centre repris par Mika de la tête... but !

Une explosion de joie retentit dans les tribunes. Des joueurs se font rabrouer, voire traiter de jolis noms d'oiseaux durant le match.

Il reste très peu de temps, l'équipe adverse se rapproche des buts de Fabrice, l'attaquant exécute une frappe enroulée. Néanmoins, le gardien plonge, bloque le tir avant que le ballon ne rentre dans les filets.

Les trois coups de sifflet indiquent la fin du match plein de rebondissements. Les applaudissements résonnent dans les tribunes, mêlés à des cris de joie.

Les filles sont les plus réservées, assises, les hommes sont déchaînés, ils savourent la victoire à domicile de leur équipe. Ils se rassemblent près de la buvette. Un généreux apéritif dinatoire les attend.

— Lequel est pour toi ? lâche Caro à son amie, de but en blanc.

— Quoi ? répond Énora gênée, les yeux écarquillés. (Elle retient son regard dans son verre, au cas où il serait possible de disparaître dedans.)

Caroline laisse échapper un rire.

— Bon… de vieillir te rend mollassonne miss bouquin ! Je ne t’ai pas entendu hurler une seule fois ! ronchonne Mika à l’effigie de son amie.

— Je suis venue, ne te plains pas ! répond-elle.

Le début de la soirée se passe à l’extérieur, il fait relativement frais. Énora sourit intérieurement en voyant Caro et Shin en pleine conversation.

— Votre attention, s’il vous plaît ! Concernant la fête d’Halloween cette année, elle se fera donc chez moi. C’est OK pour tout le monde ? informe Liam.

— Prêts à 200%... tu as oublié l’essentiel, le thème ! constate Mika.

Les joueurs ravis lèvent joyeusement les verres tout en remerciant l'invitation.

— Je t’en prie, c’est ton idée, je te laisse le soin de les informer, précise Liam en se passant la main sur sa nuque. Shin, tu es le bienvenu, Caro idem… Énora, tu viendras ? (Il appuie sa demande d’un regard entendu.) Alex, David, enfin bref, vous y êtes tous conviés !

— Le thème de notre soirée d’Halloween cette année est… roulement de tambour… j’attends, roulement de tambour… (Un joueur tape sur la table afin de joindre par le geste les paroles de son équipier.) Les superhéros ! clame Mika surexcité.

— Non, tu déconnes, s’horrifie un joueur.

— Tu seras canon en Wonderwoman, s’amuse Mika. Vive les collants !

David se tourne vers Alex, il lui chuchote les yeux gourmands : « J’ai une préférence pour superman ». Alex lui fait un clin d’œil.

Énora presse ses amis les deux tourtereaux qu’elle doit ramener, ils sont attendus ailleurs.

— Compte sur nous, nous serons présents lundi. Envoie-nous l’adresse et merci pour cette invitation, s’enquit David.

— Super ! Bonne soirée à vous. Liam est satisfait.

— C’est très tentant d’être entouré de super héros le temps d’une soirée… ma foi, je viendrai, je te remercie. Tiens-nous au courant de ce qu’il nous faudra amener, ajoute la libraire.

Ils se font la bise. Caro reste en bonne compagnie, Shin la ramènera, elle a promis à son amie de passer la voir rapidement dans son commerce. Michaël rouspète, il juge qu’il n’y a pas assez de gourmandises à grignoter et en profite pour taquiner son capitaine.

— Arrête de la regarder comme ça ! s’esclaffe Mika.

— Tu as trop bu, tu divagues, allez, je te ramène, ne t’inquiète pas… s’empresse Liam.

— Haha ! Ça se voit comme le nez au milieu de la figure, mon pote !

La conversation n’échappe pas à Caroline. Liam lui fait un sourire avec un « chut », son index posé sur ses lèvres.

— Motus et bouche presque cousue, glousse Caroline hilare.

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