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La commerçante rentre chez elle afin de déjeuner. Alex se rend dans un département voisin pour le travail. Il ne peut hélas s’attarder davantage, il aurait pourtant préféré rester un peu plus longtemps auprès de son amie.
Elle rince la salade verte pour accompagner les pancakes salés fourrés au jambon de poulet - avec du curry, du thym et du parmesan - dont la pâte est prête, en attente de la cuisson.
L’appel de l’infirmière la tenaille. Elle met de la musique : du rock. Placebo et Green Day sont sollicités pour lui changer les idées durant son déjeuner. De la musique classique ou de la musique relaxante auraient sans doute été de meilleure compagnie, mais son choix est tout autre.
— See you at the better end... see you at the better end... chante-t-elle puissamment.
Une partie de son cerveau se concentre sur les tâches à effectuer pour la préparation du repas. L’autre va dénicher des bribes de scènes ensevelies.
*
**
Le téléphone portable d’Énora avait sonné. Il lui avait semblé reconnaitre le numéro qui s’était affiché. Il n’était plus enregistré. Une infime lueur l’avait traversée. Elle en était certaine, c’était le numéro de la génitrice. Elle avait probablement entendu dire que sa fille allait se marier dans une semaine, c’était tout à fait concevable. Elle espérait de tout cœur - sans se l’avouer, non, jamais ! - que cet appel était porteur de bienveillance, qu’il existait une éventuelle possibilité pour que sa mère ait voulu tenter une approche de réconciliation pour ce grand jour. Elle n'avait pas décroché, figée, ses yeux pleins d'effroi. Ses mains devenaient moites. Une sonnerie avait retenti, elle avertissait un message vocal. Huit minutes et quarante-deux secondes. Elle en avait des choses à dire !
Énora avait laissé le téléphone de côté, elle le redoutait. Quelques longues minutes étaient passées ainsi, elle le regardait de loin, tiraillée par des sensations étranges et contradictoires : la peur d’être déçue, la crainte de devoir ressentir une douce allégresse. Elle était indubitablement en train de rassembler toutes les petites parties de courage présentes en elle afin d’écouter ce message. Elle pensait être prête, elle avait pris le téléphone dans sa main, s'était lovée confortablement sur son canapé, entourée de ses coussins.
Courage !
La génitrice avait fait une mauvaise manipulation, elle l’entendait maugréer. Au loin, elle avait pu assister à une conversation entre sa mère et son dernier beau-père.
— Mais non, mais je ne trouve pas son numéro, tiens, regarde, avait dit la génitrice.
— Tu es en train d’appeler ta fille Énora là, tu fais n’importe quoi ! Tu ne sais toujours pas te servir de ton téléphone, s’était agacé son beau-père.
— Impossible ! Je l’ai effacée à elle, il y a longtemps. J’ai plus son numéro, c’est sûr.
La jeune femme avait raccroché. Elle avait effacé l’appel et le message vocal. Elle avait déposé délicatement son téléphone, l'avait regardé, ses yeux se remplissaient de larmes. Le coussin le plus proche avait été serré avec vigueur entre ses bras, contre son corps, sa tête posée dessus. Ses longs sanglots étaient les seuls bruits qui l'entouraient, des hoquets l'agitaient.
— Elle ne m’aime toujours pas, elle m’a effacée… « je l’ai effacée à elle ».
Le ton acerbe employé, ainsi que les mots nourris de férocité, lui avaient provoqué une migraine suivie de vomissements. Ces quelques mots étaient un instrument de torture efficace, sans trace physique.
*
**
Son repas est prêt, les larmes déferlent sur son visage, elle les chasse avec sa manche, balayant tout son maquillage. Elle ne touche pas à son assiette, elle laisse ses émotions du passé l’engloutir.
Quand vient l’heure d’ouvrir la boutique, elle est devant son commerce, quelques rougeurs sur le visage, avec le sourire aux lèvres. L’infirmière a tort. Parfois, il n’y a pas de « au revoir » à offrir, ou de « je te pardonne » ou « excuse-moi ». Les liens du sang n’ont pas à imposer des obligations, surtout s’ils ne sont qu'affres et châtiments.
Inspire, expire... porte ton joli masque… c'est presque OK... pas tout à fait, je l'avoue.
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