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Énora baisse la grille de son commerce. Ses clefs tombent de ses mains. Alex et David sont sur ses talons, les mains chargées de pizzas.

— Hey miss, tu vas bien ? lui demande David.

— Bonsoir vous deux. Je n’ai vu aucun de vous aujourd’hui, je me suis sentie triste.

Ils la couvrent de bises sur les joues. Elle les repousse en grommelant.

— C’est parce qu’on te préparait la soirée Le Seigneur des Anneaux pour ce soir, informe Alex.

— Oh ! Brillante idée, merci !

— Et on vient chez toi, sœurette… hasarde-t-il tout sourire.

— Ah ! s’exclame-t-elle en joignant ses mains comme une enfant qui vient de recevoir une poche de friandises.

Ce soir, elle ne sera pas seule sur le canapé en compagnie d’une boîte de chocolats à se mettre la rate au court-bouillon, tourmentée par des pensées parasites.

Pourtant, une partie d’elle-même aurait préféré la solitude ; se plonger dans ses sombres réflexions, ressasser le réveillon. La fameuse soirée de la Saint-Sylvestre ! Cela fait deux jours qu’elle rumine ses faits et gestes passés.

J’ai été ridicule, lamentable, moche… c’est moche de boire.

Boire pour échapper à une réalité douloureuse était la pire chose qu’elle s’était promis de ne jamais faire. Elle avait gagné de surcroit une migraine abominable et un foie mal en point. Elle s’était fait la réflexion que dans les séries américaines, ils soignaient fréquemment leurs divers maux avec des pots de glace.

Note à moi-même : la prochaine fois, choisis la glace !

Demain sera un autre jour, une grande étape nécessaire ; horriblement délicate certes, néanmoins cruciale. Elle ne peut pas continuer à naviguer avec ce mal-être ni saboter sa vie. Liam était rentré chez lui comme initialement prévu d’après les dires de Michaël, il n’avait pas prévu de dormir sur place.

Liam…

Il prend la première place dans les pensées d'Énora, détrône les angoisses au sujet de la génitrice. Elle se sent mal à l’aise, cela l’irrite ; elle ne comprend pas, ce qui l’exaspère davantage. Elle n’a pas été jugée par ses amis, bien au contraire - sauf par Alex, évidemment. Elle se demande alors pourquoi une seule personne peut arriver à la mettre dans un état pareil, la faire douter autant. Elle nage en eaux troubles, dans le refus de ne pas vouloir mettre des mots sur une réalité. Elle est partagée entre le souhait de le voir ardemment et celui de ne plus jamais le croiser. Elle a honte. Il l’attire comme il la fait fuir.

Finalement, c’est l’autre partie d’elle-même qui fait pencher la balance : elle accepte de faire confiance en ce changement de situation impromptu qui a déjà un petit goût agréable. Partager un agréable moment chassera les nuages gris.

Ils déposent les cinq pizzas dans la cuisine, sur le plan de travail. Énora scrute ce nombre aberrant de nourritures et leur exprime sa surprise devant une si grande quantité. Ces cinq énormes pizzas vont lui tenir compagnie toute la semaine, sauf s’ils ont, bien entendu, une faim de loup.

— Mika et Liam vont arriver avec les boissons, ils n’ont pas pu résister à l’appel du « précieux », avoue Alex.

— Quoi ? se renfrogne-t-elle. Mais…

David, qui est en train de découper les pizzas avec le ciseau de cuisine, lui demande si cela la dérange.

— Non, non, bien sûr que non. (Elle marque une pause.) C’est juste que… je n’ai pas revu Liam depuis… et ... et il faut grandir, nous ne sommes plus des adolescents à faire des soirées vidéo non plus !

Elle croise les bras.

Les deux hommes la dévisagent. Alex lui fait savoir qu'ils garderont tous leur part d'ado en eux, ad vitam aeternam, et que ce n'est pas une excuse valable pour maugréer.

— Oh, ça va ! Ne me regardez pas comme ça ! se résigne-t-elle. J’avais vraiment trop bu et j’en suis peu fière. Je me sens horriblement honteuse… En plus, je ne peux pas ce soir, j’ai mon cours de vol à dos de phénix.

— Ah ! c’est seulement cela qui te turlupine ! Ce n’est rien du tout ! Et ton phénix n’a pas encore fait sa renaissance, désolé sœurette, tu es coincée avec nous.

Alex sort les verres du placard, résolu. Cela l’amuse de voir son amie aussi furibonde, paniquée.

— En tout cas, j’ai visionné les photos. Il se trouve qu’on possède de fantastiques dossiers, tente David, taquin.

Il lui fait un câlin rapide, qu’elle repousse gentiment. Énora le regarde, horrifiée. Elle attrape Spike, le prend dans ses bras et s'installe confortablement sur un canapé. Spike, habitué, ronronne, appréciant les caresses.

Si je trouve un trou de souris à ma taille, je vais aller y faire une très très longue quarantaine…

La soirée débute, ils commencent à manger, assis sur des coussins autour de la table basse. La commerçante apprécie cette soirée improvisée. Elle affectionne plus particulièrement le fait que Liam, reste Liam. Aucune gêne ne s’est installée, seul son regard la déstabilise, encore et toujours. Si elle plonge dedans, elle s’y noiera, elle en est convaincue. Elle préfère rester accrochée avec vigueur à ses cils.

Le film débute, elle dépose des boîtes de chocolats sur la table basse.

— Eh ben ! avec ça, on va avoir besoin de notre stade pour éliminer tout ça ! plaisante Mika en choisissant méticuleusement ses préférés.

Il prend place sur l’un des canapés. Il y en a deux qui entourent la table basse en bois brut. Il y a pléthore de coussins et de plaids, ce qui le fait rire. Il s’y love pourtant sans blâmer son amie.

Les amoureux prennent place sur le deuxième canapé en velours couleur terracotta, David dans les bras d’Alex. Liam s’installe sur le canapé beige, Énora entre Mika et lui, un plaid sur elle.

Trois heures et dix minutes plus tard, Alex s’est endormi, Mika également sur l’accoudoir.

Liam prend la main d’Énora et la remercie pour la soirée film. Elle sourit en lui indiquant qu’elle n’y est pour rien, mais elle avoue que c’était très plaisant. Ils s’attardent, le regard suspendu l’un à l’autre, comme si cela pouvait potentiellement les éloigner de la chute.

Ces émotions sont insupportables, elle me rend fou.

Anxieuse, elle se trémousse, déplie ses jambes, fait tomber les télécommandes ainsi que son téléphone, déposés initialement auprès d’elle. Les petits dormeurs s’éveillent, Liam se lève en lâchant la douce main d’Énora : son petit point d’ancrage improvisé.

Ils se hâtent tous à remettre les pièces en état même si la libraire leur informe qu’elle n’a nul besoin d’eux pour effectuer cette tâche.

Mika fait la bise à son amie avant de partir, la prend dans ses bras. Il sait. Sa mère lui a parlé de l’étape qu’elle va devoir affronter demain. La fameuse et redoutable journée. Liam lui ouvre les bras, elle accepte la chaleureuse étreinte. Il lui dépose un baiser sur la joue, se libère et quitte l’appartement en la remerciant une fois de plus.

David et Alex s’attardent un peu, Énora doit pratiquement les mettre dehors. Elle est consciente que son meilleur ami attend l’instant où elle pourrait éventuellement changer d’avis. Il n’est pas envisageable de modifier ce qui a été planifié. Son choix a été mûrement réfléchi, la décision douloureuse à prendre, un déchirement intérieur a eu lieu. Revenir en arrière est non négociable. Une dernière fois, définitivement, elle doit affronter la génitrice.

Spike sort doucement de la chambre d’Énora, tous les humains sont partis, surtout les deux agités : Alex et Mika, qui l’effraient. Le calme et la plénitude revenus dans son foyer, il se délecte de retrouver sa maîtresse.

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