Lettre quatrième
17e jour du 18e mois de l'an XII724
À son Altesse le duc,
Galaen l'Immortelle doit mourir.
Je vous prie de me pardonner pour le dire de manière aussi abrupte mais c'est urgent.
Cette femme est dangereuse.
Au moment où je vous écris, la Corne vient de clore une réunion avec la Roue de la Fortune, Ehnrar Yuhlra, le siège de la capitale de l'ouest.
Les deux partis étaient en désaccord total concernant, je cite, une certaine "immigration". Le Riche de la Roue ordonnant à la Corne de prendre son mal en patience dans l'attente d'une "plus grosse opportunité" tandis que la vieille Onibaba déclarait haut et fort qu'elle les chasserait quitte à les jeter du bord de l'île Volante. Elle ajouta d'ailleurs que s'il le souhaitait, le Riche pourrait se battre aux côtés des immigrés et s'écraser sur le sol d'Ymir et que ça, ça serait une sacré opportunité...
Je suis d'ailleurs inquiet concernant cette "immigration". Grinz est un pays cosmopolite avec tellement d'origines différentes qu'il est impossible pour un natif d'avoir moins de cinq sangs différents dans les veines. Je vois donc mal la Reine de la Corne xénophobe et être supportée par les autres membres de l'assemblée.
Ils doivent être conscients de la présence d'espions sinon ils ne feraient pas usage d'un tel code. Je préconise donc une extrême vigilance concernant ces rats.
La discussion entre les deux Yulhra a vite haussé le ton et plusieurs membres ont même déverouillé le fourreau de leurs armes. Le gamin avait la main continuellement posé sur la crosse de son revolver.
Seule l'Immortelle n'a pas dit un mot.
Elle s'est contenté de claquer des doigts.
L'instant d'après la salle était enveloppée d'un voile noir d'où s'échappaient des cris monstrueux. Pendant un instant j'ai cru être en enfer : les hurlements stridents jaillissaient de toutes parts, une odeur de brûlé flottait de manière pesante, mes mains semblaient moites puis sèches à la seconde suivante et la chaleur de Grinz avait fait place à un froid glacial.
Puis les ténèbres se sont retractées autour de l'Immortelle pour au final disparaître dans sa main. Lorsque la lumière est revenue, elle était assise sur un trône d'onyx et de rubis représentant un renard monstrueux aux crocs acérés, gueule béante, les yeux exorbités et les traits grossier comme si l'artiste avait griffoné le renard à coup de fusin dans une anarchie frénétique. Le sol était recouvert d'une eau rougeâtre translucide alors que les murs et le plafond n'étaient plus que des énormes mécanismes d'engrenages ridiculement décorés de pierres précieuses, emplissant la "pièce" de cliquetis, le tout devant des rideaux aux motifs cauchemardesques et vivants. Un bals de silhouettes noires se jetant dans un bûcher, des individus à tête d'animaux dévorant une ombre ou encore des crânes maquillés tournoyants et ricanants.
Alors que j'essayais de déterminer ce qu'il pouvait bien se passer, des dizaines d'ombres ont surgit des engrenages géants. Elles avaient la forme de renards.
Alors que tous ceux présents cherchaient à comprendre ce qu'il se passait, elles sont sortis et se sont jetés sur nous à une vitesse ahurissante, comme des bêtes sauvages affamées. Avant même que j'ai pu faire quoi que ce soit, un renard s'est rué sur moi gueule béante et dents monstrueusement tranchantes. J'ai honte de le dire mais j'étais effrayé. J'ai fermé les yeux.
Lorsque je les ai réouvert, je n'étais pas sur le territoire des Hurleurs. J'étais bel et bien encore en vie. Mais la peur est revenue bien vite.
L'ombre renard était figé, gelé dans les airs. Ses yeux en revanche bien vivants me dardaient avec sauvagerie. Il flottait, ma gorge dans sa gueule et ma chair à seulement quelques millimètres de ses crocs. Paradoxalement, j'étais trop effrayé pour m'écrouler. Je suis resté debout, droit et avec une seule pensée en tête : ne pas bouger d'un seul pouce.
Puis j'ai vu les autres.
Tous le monde dans cette pièce cauchemardesque était dans la même posture que moi. Chacun avec son ombre renard gelé et crocs prêts à se refermer sur leur gorge.
Les courtisanes, musiciens et serviteurs étaient tout aussi terrorisés, les yeux exorbités et si apeurés que leur voix refusait de sortir.
Erkath Enkhel le Riche avait cinq créatures sur lui, sans doute à cause de son corps massif et de ses aptitudes au combat, mais il souriait comme un fou en regardant l'Immortelle.
Issita le Vantard avait les yeux perdus dans le vide, stoïque, sans bouger ni cligner des yeux.
Le Riche de la Roue, lui, virait ses yeux de droite à gauche, fixant à tour de rôle l'Immortelle et la Reine Onibaba qui dardait la femme aux griffes d'argent d'un regard noir.
J'ai dit que nous étions tous dans la même situation, je devrais plutôt dire "presque" tous.
Les renards de l'Immortelle avaient épargné trois personnes.
La vieille Onibaba n'avait pas de crocs autour de sa gorge, en revanche elle faisait face à une ombre gigantesque. L'animal se tenait entre la Reine de la Corne et le Riche de la Roue, planté devant la femme, comme pour la mettre en garde, lui faire comprendre de se tenir tranquille.
Le deuxième ayant évité l'avertissement de l'Immortelle était le musicien. Au contraire, on ne pouvait pas être plus hors de danger que lui, puisque le renard n'avait pas été envoyé pour le menacer mais bien pour le défendre. Il était dos au jeune homme et montrait ses crocs à quiconque lançait un regard à son protégé. Ça ne m'étonnerais même pas que l'Immortelle ait eu une affaire avec cet homme, après tout ce sont des Griis.
Puis vient le troisième. C'était le gamin. Il n'y avait aucun renard près de lui.
Il était toujours assis, son revolver bizarre à la main et pieds sur la table en se balançant sur son fauteuil. Encore plus arrogant que d'habitude.
Cet Erkath est dangereux.
Il n'a pas eu peur et s'est contenté de tirer une grimace mal à l'aise. Oui, mal à l'aise.
Ce gosse a été enfermé dans un Territoire et il est mal à l'aise. Nos espions doivent garder un œil sur lui.
Mais la plus dangereuse pour l'instant, c'est l'Immortelle.
Son apparence parle pour elle, elle n'est pas humaine. Elle peut matérialiser un Territoire, ce dont seuls les Nerors sont capables, mais en plus elle le matérialise de Notre Coté et non de l'Autre Coté.
Erkath Galaen l'Immortelle n'a pas volé son nom.
Elle est surpuissante, une jeunesse que l'on peut qualifier d'éternelle mais en plus elle crée des Territoires où tout est soumis à sa volonté.
Un individu comme cela à la Corne est un danger. Son existence même est un danger.
Elle n'aurait aucun mal à détruire notre pays à elle seule si elle le voulait.
Il faut faire le nécessaire pour que cela ne se produise pas.
J'attends vos instructions.
Le Second Chien
Annotations
Versions