La rage
J'ai la rage. Un truc qui brûle, qui fait fondre les tripes, qui déchire le torse. Ca m'empêche d'avoir peur, ça m'empêche d'avoir mal, j'ai la colère anésthésiante dans un univers trop lourd pour moi. Ca me dépasse, ça me flingue, je ne sais pas quoi en faire et pourtant je ne sais pas si je survivrais sans. J'ai passé tant d'année à être triste et à retenir mes cris. Tant d'années à souffrir et à me dire que c'est bien de ma faute.
Mais ça ne l'était pas. Tout n'entre pas dans une binarité agresseur-agressé, mais agressé, je l'ai assez été. C'était plus facile de m'en vouloir. D'inventer des raisons aux gens. D'être la personne calme, compréhensive, raisonnable. Je le suis toujours. Mais parfois ma colère sort. Et avec elle, l'envie soudaine de me défendre. L'envie qu'ils comprennent, l'envie qu'ils ressentent ne serait-ce que la moitié de ce que j'ai ressenti à cause d'eux. Qu'ils vivent pendant un temps avec les marques que m'ont laissé leur attitude, les vergetures de traumas sur ma peau, le cerveau toqué que je me tape au quotidien.
J'ai la rage. J'ai la rage contre eux, mais surtout contre le monde entier. Ca me déchire. Les gens qui crèvent dehors, le mépris des grands contre les petits, les agressions qu'on se tape. Des queers mis dehors et des réfugiés aux tentes lacérées. Je vais pas vous faire un discours sur la paix dans le monde quand quelque chose en moi m'hurle de tout brûler, mais j'ai besoin de ce moteur pour essayer de rendre ce monde un peu moins cruel. La raison n'a pas marché alors je veux hurler, je veux hurler jusqu'à ce qu'on nous entendent, jusqu'à ce qu'on nous voit. Remarquez-nous. Ce que la pauvreté nous fait. Ce que c'est de vivre queer, handicapé, traumatisé. Je ne veux pas leur laisser la possibilité d'oublier, cette fois-ci. Je ne veux pas être un sujet de pitié pour un soir et disparaître à nouveau.
J'ai la rage et tant mieux. Ca fait rempart contre les idées noires, rempart contre le désespoir. J'ai la rage parce que sinon, l'envie d'abandonner est si fort qu'elle m'embrouille l'esprit. Et je ne veux plus abandonner. Je veux vivre.
J'ai le droit d'être en colère. J'existerai aussi fort qu'il le faudra.
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