Chapitre 8

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Le maître de vol entre mon nom dans son fichier, me demande brièvement si j’ai déjà piloté. Ses traits me paraissent familiers ; son regard, son expression, jusqu’à sa manière de griffonner mon identification sur le papier. C’est alors que je remarque le blason qu’il porte à la poitrine : une tête de lézard relevé d’une collerette de feu.

- Ah, ça ? Il s’agit du symbole d’Arkandia, précise-t-il en relevant l’objet de mon attention. Symbole qui deviendra le tien une fois que tu te seras démarquée.

Du coin de l’œil, il surveille ses pilotes, puis s’empresse de paramétrer la machine. Son front se barre d’une ride d’inquiétude. Il a le regard de celui qui porte plus qu’il n’est censé porter, de celui qui, accablé par la réalité, n’a plus dormi depuis des mois.

- Attention au crash ! Cian ! vocifère-t-il en relevant le nez de son écran.

Je sursaute alors qu’il se retourne pour coordonner la manœuvre d’un pilote. Derrière sa machine, le garçon relève à peine. Il a la mâchoire tendue, les doigts crispés sur les commandes.

- Ne les laissent pas couper ta trajectoire ! Vire ! Maintenant ! Mainte…

La machine clignote soudain rouge. Un message d’erreur s’affiche à l’écran : aile détériorée, aile détériorée. Le maître se prend le visage entre les mains, respire plus fort, tente de garder son calme.

Explose !

- Bon sang, Cian ! C’est déjà la seconde fois ce mois-ci ! quand est-ce que tu seras foutu de te concentrer ! Tu sais combien ça coûte ? Combien ça nous coûte ? La moitié de l’équipage a risqué sa vie pour ton vaisseau, merde !

Excédé, le maître frappe la machine. Le garçon retire alors son casque et le lui balance.

- C’est ce qui arrive derrière un putin d’écran. Les sensations, tu connais ça ?

- Réfléchir, ça t’arrive ?

Ils se dévisagent comme deux lézards prêts à fondre l’un sur l’autre. Ils ont probablement déjà eu cette conversation ; le superviseur se retient de ne pas le foutre à la porte, Cian soutient son regard. La dizaine de pilotes présents n’a plus qu’un œil rivé sur l’écran.

- Sur le simulateur du fond, maintenant. Et ton vaisseau, tu peux te le mettre là où je pense.

Le maître se tourne alors vers moi, me flanque ses papiers contre la poitrine.

- AK805, c’est ton nom de code. Le charmant jeune homme ci-présent va te former.

Il désigne du menton Cian, qui n’a pas l’air franchement ravi. J’en déduis que je ne suis pas la première qu’il forme et que la tache tient lieu de punition. Le pilote du simulateur voisin confirme mon intuition en lui adressant des sourires béants. Cian l’ignore.

- Tu as déjà piloté ?

Il me regarde, en déduit que non, soupire. D’un geste rapide, il me demande de m’asseoir dans le siège, prend une minute pour le régler. Il sent le cambouis et… le savon, ce qui me surprend, parce que le savon est une denrée rare et qu’il se vend à prix d’or.

Une fois correctement installée, il vérifie que je puisse atteindre toutes les commandes, puis explique :

- Dans l’ordre, le réacteur, l’altimètre, la mise sous tension… ici, la radio. Tiens.

Il me tend un casque, met en route le micro.

- Annonce ton nom de code.

Un peu paniquée, je tarde à réagir. Il se baisse alors et appuie sur la touche qui lui permet de parler :

- Ici AK805, paré pour décollage.

- Je… Je vais décoller ? m’entends-je bredouiller.

- Tu n’es pas là pour faire brouter des licornes. Là, c’est toute la partie armement. Missiles à courte portée, canon électromagnétique, rafales. Et ce bouton contrôle la distorsion du temps. L’expulsion d’urgence, c’est là. Puis accélérateur, radar, contrôle des commandes du sas : taux d’oxygénation, pressurisation.

Sans attendre, il démarre les réacteurs tandis que je tente de suivre du mieux que je peux.

- Il suffit juste de voler, tu verras, c’est intuitif.

J’essaie de le croire sur parole, même si la barre de rire que se tape notre voisin me réconforte dans mon scepticisme.

L’écran s’ouvre sur la plateforme de décollage. Cian met les réacteurs ioniques en marche, appuis sur les boutons, quand la machine se met doucement à ronronner. Autour de nous, le désert s’étend à perte de vue. Orkian, ma planète, dévoile ses montagnes et ses pics abrupts, ses dunes chaudes au sable brûlant. Mon corps sent la frénésie des tempêtes qui parcourent le globe. Et rapidement, j’apprécie les vibrations du fauteuil dans mon dos. L’envergure du monde qui s’offre à nous.

Le ciel.

- C’est parti ! lance Cian en poussant le levier.

Une lueur d’excitation traverse son regard, la même qui s’empare de moi alors que la navette se met en mouvement, s’élance de plus en plus vite.

- Accélère, concentre-toi.

Son regard est rivé sur l’écran ; le mien dérive vers son visage. Vers cette détermination sans faille qui le porte à l’horizon. Il a les yeux verts, le vue perçante du skaol qui scrute le désert. Les traits fins, presque trop délicats pour contenir la fureur qui parcourt son corps. Et j’entends le ciel, qui l’appelle, le happe, consume ce désir violent comme il m’a été donné d’aimer Orkian.

- Tire le levier… Maintenant !

Le ton de sa voix me sort brusquement de ma rêverie.

- Maintenant ! insiste-t-il.

Je panique, tente d’effectuer en vain la manœuvre. Il me pousse alors pour intervenir tandis que la navette bascule dans le vide. Dix secondes. C’est ce qu’il nous reste avant de nous crasher. Neuf secondes. Mon cœur martèle ma poitrine. Le sol se rapproche vite. Trop vite. Huit secondes. Cian pianote à toute vitesse sur les boutons, parvient à relever la tête de l’appareil. Sept secondes. Il jure. Donne un coup de point sur le tableau de bord, tire de toutes ses forces le levier. Six secondes. La navette semble repartir, cahote, manque de puissance. Cinq secondes. Je sens ma poitrine se compresser, et regrette de ne pas avoir été plus attentive. Quatre secondes. C’est foutu. L’appareil file droit dans une dune. Trois secondes. Cian se mord la lèvre. Tente d’éviter le crash. Deux secondes….

Trop tard. La collision nous expulse de l’appareil. Le simulateur s’éteint brusquement après avoir clignoté rouge. Honteuse, j’entends notre voisin se marrer ouvertement tandis que Cian tente d’ingurgiter l’humiliation qu’il vient de subir.

La voix du superviseur retentit alors dans notre dos. Le ton est sans équivoque : il a assisté à notre petit atterrissage improvisé et compte bien en toucher deux mots à mon formateur.

- Je pense qu’on va faire une pause… Cian, dans mon bureau. Immédiatement !

Le garçon repose alors le casque d’un air trop nonchalant pour être entièrement désintéressé. Au regard qu’il me lance, il se serait bien passé de cette seconde mise au point.

- Imbécile, murmure-t-il en quittant le simulateur.

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