Séjour

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Décontenancé et dépité par cette brillante démonstration d’éloquence, je termine mon verre maintenant trop tiède et monte dans ma chambre. Après quelques minutes à errer dans les couloirs, je finis par la trouver. Une moquette épaisse, un grand lit avec une couette et des oreillers gonflés, à l’air confortable, deux tables de chevet, une commode avec un écran plat dessus, un mini-bar et deux fauteuils. Rien d’exceptionnel. Un silence étouffé avec la moquette, un calme bienvenu.

Par la fenêtre, des palmiers à perte de vue et peut-être des rues et des maisons, difficile à distinguer dans la brume de chaleur.

Je vais dans la salle de bains, et retire mes vêtements ramollis par quasiment vingt-quatre heures à suer dedans. J’entre dans la douche, j’arrose mes pieds à l’eau froide pour les faire dégonfler après tant d’avion. Et puis j’ai l’impression fugitive de sentir des doigts qui m’effleurent les épaules, un souffle chaud dans le cou comme si des lèvres s’y posaient avec une infinie délicatesse. Un frisson de douceur me parcourt de la tête aux pieds. Je me retourne et bien évidemment il n’y a personne. Je crois que Janelle me fait plus d’effet que ce que je veux bien me l’avouer. Je reste longtemps sous l’eau bienfaisante, puis sors en m’essuyant avec une de ces grosses serviettes d’hôtellerie bien blanche et moelleuse.

Après un instant de détente allongé sur le lit, les bras en croix, à moitié enfoncé dans cette énorme couette, je m’habille. Trop nerveux pour réussir à faire une sieste, je retourne dans le hall. Elle est là à m’attendre, assise à la même table que tout à l’heure. Je m'approche lentement, sans faire de bruit pour pouvoir la regarder un peu. Elle a un air soucieux, les traits tendus. Lorsque j’arrive à environ deux mètres, elle se tourne vers moi. Ses traits s’adoucissent immédiatement et elle se fend d’un sourire aussi radieux que sincère. Je le lui rends, impossible de faire autrement.

Elle se lève d’un bond, s’approche de moi et me prend par la main en m’entraînant vers la sortie, presque en courant.

– Allez hop hop hop, on y va, j’en ai marre de rester à ne rien faire !

– Bon ben allons-y alors.

Elle relâche ma main aussi vite qu’elle l’a prise en arrivant devant la porte. Nous partons dans la direction opposée à celle menant à l’aéroport. Il n’y a qu’une route, bordée de bâtiments en construction. Les immeubles qui sortent du sol, les tas de terre et de gravats me font curieusement penser à certains endroits de mon enfance, qui ont dû bien changer depuis. De l’autre côté, rien que des palmiers. Et la chaleur humide qui nous écrase de tout son poids. Nous nous sommes bien vite retrouvés autant en sueur que deux heures auparavant.

Nous marchons lentement. Elle me raconte qu’elle est née ici, que ses parents étaient des investisseurs étrangers venus s’installer pour se lancer dans l’hôtellerie en expansion dans la région et qu’elle ne connait pas grand-chose d’autre que cette longue avenue en constante évolution. Je trouve curieux qu’elle ne soit jamais allée voir plus loin. Ce à quoi elle me réponds qu’elle voudrait bien, mais avec ses parents morts depuis un moment, elle a dû reprendre les affaires familiales. Elle s’y sentait un peu obligée, mais elle aimerait pouvoir visiter un peu plus le monde. Que peut-être elle le fera un jour quand elle ne supportera plus sa vie ici. Ce qui n’est pas bien loin à l’écouter.

Pendant que nous avançons, fréquemment nos bras se touchent, épaule contre épaule. J’aime le contact de sa peau humide et fraîche le long de son bras. Parfois nos phalanges se croisent et j’ai envie de la prendre par la main. Je me sens un peu mal à l’aise avec cette soudaine proximité, ayant souvent du mal à appréhender les personnes trop tactiles et me sentir vitre agressé quand on envahit mon espace vital. Mais là, c’est très agréable, il faut être honnête.

Alors je lui raconte comment c’est dans mon pays, ou dans les quelques autres où j’ai pu passer un peu de temps. Elle m’écoute attentivement, les yeux grands ouverts, ainsi que les oreilles. Elle est ravie de découvrir tous ces petits riens du quotidien qui me viennent à l’esprit. Et moi je suis aux anges de la voir comme ça avec sa curiosité insatiable. Alors je parle comme cela m’arrive rarement, de tout ce qui me passe par la tête, des souvenirs, de ma vie. Elle me pose une foultitude de questions auxquelles j’essaie de répondre même si ce n’est pas toujours facile. Je tente parfois d’inverser les rôles, mais ça ne dure jamais bien longtemps. Et le temps passe, oublieux du monde qui nous entoure. Nous finissons quand même par faire demi-tour. Je me sens abruti par la chaleur, ivre de fatigue et de conversation. Elle, cependant, n’en semble pas le moins du monde affectée. Forcément, en étant du coin et sans le décalage horaire, ça aide.

Le ciel s’assombrit très rapidement, autant par la nuit qui arrive très vite que par un orage qui se met à gronder en s’approchant à grands pas. Bientôt l’averse nous tombe dessus. Il pleut tout droit, il n’y a pas de vent. Les gouttes tièdes et presque aussi grosses que des œufs de caille s’acharnent sur nous. Je l’attrape par la main et nous commençons à courir vers l’hôtel qui n’est plus très loin sachant que c’est vain, nous sommes déjà trempés. Puis nous nous remettons à marcher en sautant dans les flaques et riant comme des gosses. L’orage disparaît aussi vite qu’il est arrivé, avant même d’avoir atteint les marches de l’entrée. J’essaie de rester digne en regardant ses vêtements encore amples, il y a moins de dix minutes maintenant, à moitié transparents et collés à son corps, laissant apparaître plus de courbes et de rondeurs que son visage ne m’aurait le laisser supposer. J’avoue, je suis faible, mais difficile de regarder ailleurs que l’espace qu’elle occupe.

Arrivés sur les marches, je la tire par la main que je tiens toujours pour qu’elle se rapproche. Ce faisant, elle pose son index sur ma bouche puis y dépose un baiser à peine esquissé, du bout des lèvres. Elle fait demi-tour et s’enfuit en courant dans l’hôtel, avant que je puisse réagir.

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