Pascal y te met la pression
« Arduité », le mot arrêta la lecture de Pascal de Fontecombe. Il réfléchit quelques secondes en fixant sans le voir le plateau de son luxueux bureau. Il en comprenait le sens sans aucune difficulté, c’était le cas de le dire, mais il ne se souvenait pas l’avoir jamais lu quelque part …
« Arduité »?
Théophile de Courtenay, son collègue académicien, le grammairien si infatué de lui-même, aurait-il commis un barbarisme en rédigeant ce compte-rendu sans importance ? Il fallait qu’il en ait le coeur net.
Il leva les yeux : là-haut, sur ses étagères d’acajou étaient alignés des dictionnaires dont il avait rédigé une bonne partie et auxquels il ne touchait jamais. Cette fois, il en avait besoin.
Il se dirigea vers la fine échelle de métal fixée sur un rail courant au sommet du haut mur, la fit glisser vers la gauche, et commença une ascension décidée : l’espoir d’assouvir sa vengeance l’emplissait d’énergie.
Si ce mot n’existait pas, il allait pouvoir confondre une fois pour toutes son rival et sa bande de cuistres factieux qui l’avaient si cruellement ridiculisé à la dernière séance de l’Académie quand il avait buté sur un plus-que-parfait du subjonctif.
Il atteignit le haut de l’échelle, tout près du plafond. Il y faisait chaud. Les parfums capiteux des roses de juin semblaient s’être amassés là.
Il parcourut les lettres dorées sur les tranches de cuir des austères volumes : AA/AC/ AE / AU… Il tira à lui un lourd volume :
« arduité : 1495; de ardu. Rare : difficulté"
et une citation :
«L’arduité de l’approche du camp septentrional le protégea de l’attaque. Courtenay. Sous les arbres. »
Hélas, le mot existait et cet imbécile faisait même l’objet d’une citation !
Pascal arracha la page d'un coup de dents vengeur et la mâchonna en méditant furieusement avant de la cracher par la fenêtre ouverte. Il fallait qu’il trouve autre chose et il trouverait !
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