Chapitre 1

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Assise en tailleur, une tasse de chocolat chaud au creux des mains, Cory regardait la télé. Rien d'intéressant au programme, si ce n'est des bêtisiers stupides et autres pubs de confiseries.

Étirant ses jambes engourdies, la quadragénaire soupira. Toujours la même rengaine ! Elle allongea le bras en direction de la télécommande posée sur la table basse. Merde ! Trop court. Encore quelques centimètres, et... Dans une tentative désespérée, la maîtresse de maison se pencha en avant avec un mouvement brusque qui faillit la faire tomber la tête la première sur le tapis immaculé.

— Nom de Dieu ! s'entendit-elle hurler lorsque le contenu de son mug se répandit sur la surface laineuse.

Elle sprinta jusqu'à la cuisine, priant pour qu'il ne soit pas trop tard. Lorsqu'elle revint, armée d'une serpillière et d'un rouleau d'essuie-tout, elle découvrit avec stupeur que Russel lui avait gentiment facilité la tâche.

— C'est pas vrai, s'étouffa-t-elle.

Cory donna une petite tape au doberman, lui intimant l'ordre de déguerpir. Puis, constatant l'ampleur du désastre, la femme se passa une main dans les cheveux.

— Bon sang, Russel. Qu'est-ce qu'on va faire de toi ?

Le molosse, bien au chaud dans son panier, poussa un bref jappement, comme pour signifier son mécontentement.

— Bien, bien, capitula Cory. Tu peux finir de nettoyer le tapis. Je prévoyais d'en changer de toute façon.

Il n'en fallut guère plus pour que le canidé se ruât sur la boisson renversée, sa queue battant frénétiquement l'air.

Après quelques secondes passées à observer l'animal, Cory s'empara de la télécommande et s'affala de nouveau dans le canapé. Elle regarda sa montre, geste totalement vain puisque le poste de télévision était muni d'une horloge numérique. Dix-neuf heures cinquante-neuf.

Relevant une mèche blonde qui lui cachait les yeux, la femme se tourna en direction de l'escalier.

— Nerin, Chérie ! Il est bientôt l'heure !

Comme sa fille ne répondait pas, Cory entreprit de monter à l'étage, stoppée net par la voix grave du présentateur du journal télévisé.

— C'est aujourd'hui l'anniversaire de la disparition de la petite Katia Landerland. Sept ans après le terrible accident dont ses parents ont été victimes, nous ignorons toujours si l'enfant a bel et bien été enlevée. Après plusieurs enquêtes, aucun indice n'a jamais été trouvé. Les forces de l'ordre de l'État de Virginie ont interrogé les membres restants de la famille de Katia, mais ceux-ci n'ont malheureusement rien à nous apprendre de plus. Il est évident que l'affaire Katia restera un choc pour les habitants de Richmond, d'autant plus qu'aucune preuve ne permet de confirmer l'hypothèse du décès.

Durant le monologue, Cory avait retenu son souffle. Sept ans déjà... Sept ans durant lesquels Lana et George ne sortaient quasiment plus de chez eux. Cory faisait de son mieux pour demander régulièrement des nouvelles, invitant dès que possible le couple à dîner. Mais si Lana, amie et collègue de Cory, se livrait sans crainte d'être jugée, George, lui, demeurait muet. Ses grands yeux noirs, emprunts d'une immense tristesse, parlaient d'eux-mêmes. Rien, y compris sa femme, ne pouvait apaiser la souffrance d'avoir perdu son frère. Quant à sa nièce, elle restait introuvable. Aucune piste ne semblait se détacher. Il avait bien entendu les flics établir un lien avec Rory Kingsfield, célèbre tueur en série connu pour avoir séquestré et mutilé une dizaine de gosses aux quatre coins des États-Unis, mais cette éventualité n'avait jamais convaincu l'homme. Tout d'abord, ledit Marchand de Sable, comme son nom le laissait entendre, ne sévissait que de nuit ; or, c'est à dix-huit heures que les pompiers ont été prévenus de l'accident par une joggeuse. Ensuite, Kingsfield était actuellement en prison, en attente de son procès.

George avait confié son désarroi à Cory deux jours après la disparition, à l'époque où parler ne relevait pas encore de l'impossible.

La quadragénaire ferma les yeux, se remémorant le visage de ses anciens voisins. Elle soupira longuement puis, sentant les larmes perler, se redressa. Elle téléphonerait à Lana demain, pour l'inviter à prendre le thé. Même si son amie s'évertuait à montrer le contraire, il eût fallu être aveugle pour ne pas remarquer à quel point cette affaire l'atteignait.

Les premiers temps, Cory avait dû redoubler d'efforts pour cacher la vérité à sa fille. Katia et elle n'étaient pas les plus proches amies du monde, mais le décès de la grand-mère de cette dernière les avait rapprochées. Un jour, Nerin, alors âgée de douze ans, tomba nez-à-nez avec un journaliste l'attendant de pied ferme à son retour de l'école. S'en était suivie une longue discussion ponctuée de larmes.

***

— Woof ! aboya Russel, tirant sa maîtresse de sa léthargie.

Cory tourna instinctivement la tête en direction de la fenêtre, derrière laquelle se dessinait une mince silhouette. Bientôt, on frappa à la porte, et Cory se força à afficher son plus beau sourire.

— Des bonbons ou un sort ! piailla une gamine délurée déguisée en Cendrillon.

— Hmm, voyons voir...

Cory sortit une main de derrière son dos, dévoilant un sachet de friandises multicolores.

— J'opte pour les bonbons, plaisanta-t-elle.

Elle tendit le sachet à la môme, laquelle ne pouvait contenir sa joie et sautillait sur place comme un kangourou déchaîné.

— Merci ! Merci ! Merci !

Devant l'extase de l'enfant, Cory éprouva un petit pincement au cœur. Plus jamais elle ne verrait le visage de Katia s'illuminer à la vue de dragées ou de caramels mous. L'adulte secoua la tête, chassant ces mauvaises pensées. Elle salua brièvement Madame Kirston, qui se tenait dans l'allée, et referma la porte.

Nerin n'avait toujours pas terminé de se préparer, comme en attestait l'album des Guns N' Roses qui tournait en boucle depuis plus d'une heure dans la salle de bain.

— Riri ! Tu vas être en retard !

Comme pour appuyer ses propos, un crissement de pneus retentit, suivi d'un claquement de portière.

— J'arrive !

Nerin dévala les marches et déboula telle une fusée dans le salon, où elle manqua de trébucher sur le carrelage fraîchement lavé. Toute excitée, l'adolescente abaissa la poignée et se précipita dans les bras de Casey. 

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