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Muriel Spark était une américaine moyenne. Tellement moyenne qu’elle n’avait réussi à mesurer qu’un mètre-cinquante en dépit de tous ses efforts pour dépasser le mètre-soixante, efforts qui s’étaient principalement résumés à manger de la soupe et des épinards. Muriel Spark détestait les épinards. Muriel Spark détestait la soupe. Mais la mère de Muriel Spark, et après elle son mari, n’avait cessé de lui répéter que la soupe, comme les épinards, fortifiait la santé et lui permettrait d’avoir les joues fraîches.

  Muriel Spark était mariée. En bonne américaine, elle s’était mariée à vingt-quatre ans, une fois à l’église, une fois à la mairie. Muriel Spark détestait l’Eglise. Mais sa mère, et après elle son mari, n’avait cessé de lui répéter que grâce à l’Eglise, elle aurait une petite chance de sauver son âme de la damnation éternelle.

  Muriel Spark travaillait. Elle avait trouvé un emploi dans une petite maison d’édition en tant que traductrice. Elle avait toujours considéré ce travail comme un travail médiocre, car selon elle, il était le prototype du travail de substitution. La traduction était un moyen de se faire croire que l’on était un véritable auteur. Incapable d’écrire une ligne elle préférait recopier celles des autres.

  Muriel Spark avait un chien. Tous les auteurs ont un chat. Seuls les traducteurs ont un chien. Un gros chien. Un labrador. Ou un Golden Retriever. Elle n’avait jamais vraiment fait la différence. Un gros chien pour une petite femme. Elle ne savait pas ce que c’était, elle avait juste pris le chien qu’on lui avait conseillé de prendre. Tout ce qu’elle savait c’est qu’il sentait fort et perdait ses poils. Et qu’il mangeait. Il mangeait beaucoup. Parce que c’était un gros chien. Et que les Labradors, ou les Golden ou même les Bergers des Pyrénées mangent beaucoup. Et sentent fort. Et perdent leurs poils.

  Muriel Spark vivait dans une petite résidence pavillonnaire avec jardin, voisins et enfants qui jouent dans la rue. La résidence avait un étage avec trois chambres, un rez-de-chaussée avec cuisine, salon et salle à manger. Le jardinet était vert et fleuri. Les voisins étaient polis, serviables et accueillants. Justes présents quand on avait besoin d’eux et discrets quand on souhaitait être tranquille. Les enfants étaient polis, serviables et ne jouaient pas plus tard que vingt heures afin de ne pas déranger le voisinage.

  Bref, Muriel Spark avait sans doute la vie la plus heureuse et paisible que le monde puisse rêver.

  Pourtant, Muriel Spark n’était pas heureuse.

  Tous les matins, Muriel Spark se levait à huit heures trente. La première fois qu'elle s'était réveillée à huit heures trente, c'était pendant ses grandes vacances scolaires de CP. Elle avait adoré cet horaire. Elle se sentait reposée et en meme temps, se lever à une heure où elle devait etre en classe lui avait paru particulièrement grisant. Presque aussi grisant que la fois où elle avait pris deux bonbons au lieu d'un après un repas de midi. Depuis, à chaque fois qu'elle l'avait pu, en fait depuis le lycée, elle se levait à huit heures trente. Et l'habitude aidant, elle n'avait plus eu besoin de son réveil. Muriel Spark ne se trouvait pas beaucoup de qualités. Mais cette faculté qu'elle avait développée en se levant consciencieusement à chaque occasion, à cette heure précise, faisait sa fierté. Elle savait faire deux choses parfaitement : se lever à huit heures trente et cuisiner le cheesecake au citron avec une touche de gingembre. Elle était tellement unique grace à ces deux supers-pouvoirs, qu'il lui arrivait de se demander si son mari ne l'avait pas épousée juste pour eux.

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