Chapitre 2
J'ai retrouvé son adresse, grâce à l'attestation oubliée sur le lieu du délit (ma pharmacie, en France). Je demande au gardien : « Vous savez où est Stéphane, le voleur de médicaments pour enfants ? »
Il répond : « Non, je n'en ai pas la moindre idée. Mais si vous voulez qu'on lui parle, c'est ici, je vous préviens que c'est une bande de merdeux. »
C'est vrai, la bande de merdeux, c'est le nom qu'on leur a donné. Comme si on était une bande de voleurs de médicaments.
C'est bien qu'ils soient voleurs de médicaments pour enfants, et pas de médicaments pour adultes. Je pense que, de là à aller leur parler, il y a un pas qu'il ne faut pas franchir.
Pour le moment, on n'est pas sûrs que ce soit Stéphane qui ait volé les médicaments, il est évident que ce n'est pas sa bande.
Mais si on leur parle, c'est la même chose, la même bande, et c'est eux qui vont nous dire ce qu'ils font. Et c'est bien normal que les gens qui volent des médicaments pour enfants le fassent, car c'est ce qu'ils peuvent faire, à condition que les enfants soient malades et qu'ils soient mal vus, alors que dans le cas de Stéphane, il n'y a pas de maladie, et personne ne le regarde.
C'est pour � que Stéphane travaille. Le véritable nom de � est un mystère pour tous les habitants de � et tous ceux qui viennent d�s�uvrer ici. � est un bureau d'enregistrement audio d�foncent, install� par Stéphane dans sa cave. C'est dans ce lieu que se sont pass�es les conversations de Stéphane, ainsi que son amour et son amiti�.
J'ai de la chance, parce que Stéphane vit avec moi.
Et c'est l'une des raisons pour laquelle je le déteste.
Je suis un peu le père de Stéphane.
Spanish:
A la hora de dar a luz,
me rindo a la verdad
y no daré nada a los perros.
Soy una madre terrible.
Stéphane es mi hijo mayor.
- ¿A dónde se fue?
- A Nueva York.
J'ai dit que je ne connaissais pas Stéphane : c'est surtout qu'en ce moment, je ne le reconnais plus, depuis qu'il traîne avec la bande de merdeux. Ça ne veut pas dire qu'il m'aime plus, encore moins qu'il m'aime plus que moi, mais il est devenu tellement... passéiste. Comme s'il avait tout compris, comme s'il était passé. Alors je me dis que, si on meurt, ça ne change pas grand-chose pour la vie, que ça peut même être un bon changement de cap, comme ça ça nous donne l'occasion de réfléchir à nouveau.
— C'est pour ça que tu ne veux pas mourir?
— Oui.
— Je suis d'accord. C'est bien.
— Qu'est-ce que tu fais?
— Je vais voir à l'école.
— Tu travailles?
— Bien sûr. Ça me fait très bien de m'entretenir avec des enfants.
Stéphane a toujours beaucoup aimé les enfants, à cause de leur innocence. C'est à peine si il y a un mois, quand il a vu un petit garçon de huit ans sur le trottoir, qu'il s'est précipité vers lui, l'a rejoint et l'a tout de suite retenu par le bras.
– Qu'est-ce que tu fais là?
Le garçon l'a regardé, méfiant, et lui a dit en chuchotant :
– Il est très bien, le père, il dort...
– Où est-il?
– Où, où?
– Je veux le voir.
– Il est là-bas, devant l'épicerie, avec la maman...
– Quand il dort, comment ça se passe?
– Bien.
– J'aimerais le voir.
– Il dort.
– Je veux le voir.
– Oui, mais il dort.
C'était du Stéphane tout craché ! Il n'y en avait pas deux comme lui dans la ville de � (heureusement). On l'entendait arriver de loin, avec son refrain de "Dans les rues, c'est la guerre", comme un canon d'obus et il nous faisait rire.
La maison de ses parents, il s'était fait un nom avec l'inspiration des nuits de rue. Il était le petit crétin qui nous racontait la vie qu'il vivait, la vie des gens à la rue. C'était du Stéphane tout craché!
Moi, c'est vrai, je vis avec lui. Parfois il me dit : « Hélène, tu es la seule à être contente de nous, tu es la seule qui comprend. » Mais je n'étais pas contente de lui. Je savais bien qu'il me demandait des choses. Il n'avait pas été bien aimé enfant, il l'était moins maintenant, c'est pour ça que j'avais peur qu'il ne me fasse des choses. C'est pour ça que je lui disais que je n'aimais pas sa sœur. Je n'avais pas envie de faire des enfants. Et puis quand il m'a dit « Hélène, c'est mieux qu'il meure, il m'aimait vraiment », je me suis dit qu'il ne me mentait pas. Je l'ai fait rentrer chez lui.
Mais ce qui a vraiment décidé Stéphane à devenir voleur de médicaments pour enfants, c'est la petite question d'Olivier, le fils de Stéphane.
C'est lui qui lui a demandé de s'arrêter de tout cela. Olivier est petit, avec des cheveux noirs, mais il a l'air bien plus vieux que Stéphane.
Il lui a raconté qu'il a vécu avec sa mère toute la journée. «Et quand tu ne peux pas prouver qu'une médication a été délivrée, elle finit par s'en aller.»
Ça, c'est la réalité, et Stéphane sait qu'il ne peut plus l'ignorer.
Alors, Stéphane intègre la bande des merdeux, me vole mon carnet pour faire des croquis et faire le ménage dans leur réseau.
C’est Stéphane qui me reçoit. Il me parle du goût de la terre en été. Un goût de terre, une odeur de terre, un goût de terre pendant que le soleil brille sur la terre et qu’il enfile son écume dans le ciel. Il me parle du goût de l’humus, de la terre humide.
Si j'avais su alors qu'il avait été déporté sur l'Île aux Sœurs, je l'aurais persuadé de revenir, et même de rentrer dans le rang. Mais c'était impossible. Il se trompait lui-même, car lui, le bonhomme, mais aussi le bien-aimé, il ne voulait pas du tout revenir. Il avait une idée, il avait l'idée qu'il allait rester là-bas, à La Havane, et il fallait que j'aille à sa recherche.
Annotations
Versions