La divine tragédie

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 Beaucoup de récits mythologiques commencent quand un dieu s’amourache d’une créature mortelle, celle-ci démarre lorsque l’univers lui-même s’éprend d’une simple âme.

 Dans un château immatériel, aux murs de lumières et aux portes d’ombres, vivaient en harmonie deux parties d’une âme infinie. L’une s’affairait à l’organisation des créations, l’autre étudiait le déroulement des évènements. Une créatrice, un destructeur. Une origine, un dénouement. Une cause, un effet. Une sœur, un frère.

 Depuis la nuit des temps, les deux êtres célestes s’occupaient de leurs petites routines éternelles. Et la nouvelle aube qui s’annonçait pour un nouveau monde serait similaire aux autres. Du moins, c’est ce qu’ils pensaient.

 Dans la grande salle principale, la sœur s’affairait autour de leur table de travail, où flottait un jeune système stellaire. Elle s’occupait principalement de façonner une petite planète, futur terre d’accueil des âmes qui s’invitait chez eux. Ces petites billes brillaient d’ailleurs de leurs mille couleurs dans les sillons du mur où elles étaient rangées, donnant un aspect plus joyeux à la pièce usuellement monochromatique.

 Le frère entra à son tour. Comme à son habitude, il était plus intéressé par ce que serait les êtres vivant imprévisible, que les confections rocailleuses de sa sœur, il se lança donc immédiatement dans son étude des petites sphères lumineuses. Sa sœur sentit rapidement sa déception.

 – Tant de banalité, s’exprima-t-il. Toutes ces âmes si éclairante, et pourtant si tintées. Ces êtres sont toujours si imparfaits. Ça me changerait d’observer un monde sans pêcher ou violence, pour une fois.

 – Tu trouverais l’éternité interminable, mon cher, avec de telles idées, s’amusa la sœur.

 Il ne put retenir un long et profond soupir, Même s’il savait qu’elle disait vrai.

 – Quand bien même ! Je vois déjà quelques emplumés prétentieux, des cornues incontrôlables un peu plus loin… Vraiment ? En sommes-nous déjà à faire des seconds essais ? Il n’y a pas assez d’écrits sacrés sur ces bestioles suffisantes dans les autres univers, il faut croire.

 – Ooh… murmura la sœur, toujours plus concentrée sur quelques mouvements continentaux. Tu pourrais être surpris.

 L’amusement et la joie qui rayonnait d’elle le piqua au vif. Il se contenta malgré tout de ses observations ordinaires et silencieuses.

 Les premiers siècles étaient toujours trop barbant à son goût. Les animaux aux instincts primitifs et à l’âme manichéenne qui se divisent en espèces, en clans et en familles pour mieux s’entre-tuer ne l’avait passionné que les centaines de premières fois. Alors il attendait sagement la chute de l’histoire.

 – Voilà, voilà ! s’exclama-t-il à l’adresse de sa sœur occupé à choisir les vies à venir. Je note ton petit geste, tu connais bien mon appréciation pour ces gros reptiles ailés. Mais aucune nouvelle bêbête n’aura bouleversé l’ordre des choses. Les anges se sont cloîtrés dans leur cité aérienne, les humains s’enferment derrière leurs murs toujours plus haut, et les démons s’agglutinent sous terre, au pied de leur chaîne volcanique préféré ; belle création, d’ailleurs, tu t’es surpassée. Avec un ou deux millénaires d’oubli sur leur origine commune, ils se taperont dessus jusqu’à extinction. Expérience concluante. Fin.

 – Sûrement, répondit-elle d’un ton espiègle. C’est toi le grand savant.

 Satisfait de lui-même, il s’éloigna de la table. Elle ne s’arrêta pas pour autant de travailler. Bien qu’il en eût l’envie, il aimait trop la voir s’affairer pour quitter la pièce. Il se contenta de contempler en coin la suite des évènements. Il prépara quelques sarcasmes à lancer, voyant les tensions prévisibles monter entre les peuples, quand un éclat attira son regard hors de ce monde.

 Il n’y avait rien de bien étonnant à ce que de nouvelles âmes continuent d’apparaitre sur leur étagère, tant que le monde tournait, ce qui le surprit était plutôt la force avec laquelle la dernière venue brillait. Il la scruta un long moment, la saisie même pour mieux l’étudier, il n’arrivait cependant pas à calculer comment un être trop pur aurait sa place dans son scenario.

 Il y avait une étrangement forte sérénité qui émanait de son rayonnement violacé, et sa tache d’impureté était si minime qu’il avait du mal à voir comment cette noirceur influencerait sa personnalité. Personne ne pouvait être si innocent dans un monde en guerre. Encore moins une démone. Il lui fallait plancher sur cette énigme, quand il arriverait à la quitter du regard.

 Il ne comprenait pas. Il n’y avait eu aucune guerre, aucune bataille, aucune trahison. Etait-ce trop tôt ? Quelque chose avait changé.

 A première vue, les anges était les même qu’ailleurs : hautin, faignant et se vautrant dans leur luxe. De simple bipède pas bien haut, presque entièrement glabre, pourvu de petites ailes dorsales à plumes, et toujours vêtu de drapés très amples. Leur cité de nuages cotonneux sur laquelle eux-seuls étaient capable de marcher les avait si bien isolés du reste du monde qu’ils se pensaient aussi moralement intouchable. Leur maitrise magique de tous les éléments naturelles n’aidait pas non-plus à les rapprocher des autres epèces. Personne d’autre qu’eux ne pouvait changer les saisons selon son bon vouloir, ou faire la pluie et les beau temps. Malheureusement, leur arrogance avait aussi causé leur déclin. Se reposant sur leurs acquis et leurs réserves, ils n’avaient rien fait pour pérenniser, encore moins pour apprendre comment vivre hors de leur bulle. Ils n’avaient plus l’âme à se battre.

 Voilà qui mettait à mal le scénario catastrophe du frère.

 Ce n’était pas plus brillant du côté des cités démoniaques. Ces personnages avares et impulsifs s’étaient exilés loin des autres peuples qu’ils détestaient, dans les lieux les plus hostiles des terres connues. Ils avaient pris possession des profondeurs des montages et des volcans encore actif, vivant dans la chaleur ardente des abords rivières de lave, que les sabots de leurs pieds leur permettaient de fouler sans soucis. Ils pouvaient ainsi n’avoir besoin de se vêtir que du strict minimum, laissant à nu le plus clair leur peau haute en couleur. Les démons maîtrisaient les magies les moins naturelles, capable de lévitation ou de téléportation, faisant briller le bout de leurs cornes et de leur queue fourchue lorsqu’ils lançaient un sort. Regrettablement, leur dépendance à cette magie était la raison de leur chute. Mêlée à leur misanthropie, leur capacité à tout faire eux-mêmes sans bouger le petit doigt les avait éloigné les uns des autres. De plus, à n’utiliser que leur force mentale, ils étaient devenu chétif, pas plus haut que leur équivalent à plumes, et certainement pas plus actif. Ils n’avaient plus le corps pour se battre.

 Ce monde était décidément surprenant par son manque d’activité.

 Le dernier espoir du plan du frère reposait donc sur l’envie insatiable de conquête des humains. Ces animaux envahissant avaient toujours su proliférer plus que de mesure, pliant la nature même selon leur besoin et leur bon vouloir. Sur ce point au moins, ils n’avaient pas déçu l’être céleste : il y avait des fermes, des villages et des châteaux en divers endroit du continent. Leur corps, grand et fort, leur permettait de travailler et modeler la terre pour nourrir leur famille, leurs amis, leurs alliés. Tristement, sans ces alliés magique, même le meilleur de leurs efforts était vint. Bloqué dans un été aride et sans fin, la nature dépérissait, la nourriture se faisait trop rare, et les maisons se vidaient. Ils arrivaient au point de n’avoir plus qu’un seul château habité avec sa cité, et des fermettes familiales isolées. Ils n’avaient plus l’esprit pour se battre.

 Le frère reporta son attention l’âme lumineuse. Si l’expérience ne s’était pas déroulée comme il l’avait prévu, son résultat restait inchangé : par son inaction, cette espèce dominante avait causé des dommages à la faune et la flore, provoquant son extinction imminente. Alors pourquoi la création avait-elle conçu celle-là ? Les récits manichéens n’étaient, d’après lui, que de stupide histoire improbable que les mortels aiment pour se rassurer. Cette gentillette démone se fera détruire à la première occasion, il en était persuadé.

 – Quelle tristesse, marmonna-t-il. Si je pouvais juste…

 – Ah ! Là ! ça bouge enfin !

 Sa sœur le bouscula en se rapprochant de la table. Il perdit le fils de sa pensée et sa concentration. Il laissa échapper l’âme pure. La petite bille malchanceuse chuta et percuta le bord de la table, avant d’être récupérer de justesse.

 – Regarde ce que tu m’as fait faire, gourde ! râla-t-il.

 Il vit avec tristesse un petit accro dans la sphère cristalline. Trois petits traits entrecroisés formaient une fêlure. La sœur la lui prit avant qu’il n’ait le temps de gronder d’avantage, souffla une légère brume nébuleuse dessus et la retourna au ronchonneur.

 – Ne t’inquiète pas, ton énigme d’amour est toujours là. Tu sais qu’une âme, ça ne se brise que de l’intérieur.

 Cela ne l’empêcha pas de maugréer encore quelques instants. Elle l’interrompit en le pressant de reprendre ses observations.

 Trois petits groupes de soldats, que le frère refusait d’appeler armées tellement ils semblaient risible, se dirigeaient depuis leurs cités respectives vers le centre d’une plaine abandonnée de toute végétation. Seule une profonde lézarde, témoignage d’une rivière asséchée, coupait la platitude du décor. Les trois partis se rencontrèrent de part et d’autre d’un embranchement où la crevasse se séparait en deux.

 – Campement proche, nombre d’homme absurde. Ils ne peuvent même pas finir leur histoire avec un baroud d’honneur correct.

 Effectivement, les trois races n’étaient pas là pour se battre. Les trois dirigeants s’étaient séparés de leur groupe afin de discuter paix, entraide, et, surtout, survie. Il leur faudra s’acquitter chacun des responsabilités que leur conféraient leurs dons, s’ils voulaient prospérer tous ensemble. Et en signe de bonne volonté, chacun des chefs avait apporté un présent, non pas pour les autres, mais pour la terre.

 D’abord, le dieu des anges avait fait apporter ses nuages les plus chargés, et fit pleuvoir une eau azuré abondamment tout autour d’eux. Un petit filet recommença même à couler le long des tracés du ruisseau. Les anges assemblèrent une fontaine de leur côté de la rive, d’où coulerait à jamais la même eau bleu-vert.

 Ensuite, le roi des hommes avait fait apporter une partie de leur réserve de graine, et fit semer fleurs, arbres et céréales partout sur la terre nouvellement meuble et fraiche. Après une longue journée à travailler la terre, les hommes plantèrent de leur côté de la rive la pousse d’un des arbres les plus anciens de leurs terres.

 Enfin, le diable des démons avait fait apporter les cristaux à mana de la mine la plus profonde, et fit irriguer les sols d’une préparation de leur liquide aux couleurs multiple. Ce terreau magique accélèrera la croissance de la végétation de toute la région. Les démons apportèrent une épée longue de leur plus fin travail, ornée de leurs meilleurs gemmes, et la plantèrent de leur côté de la rive.

 Un tourbillon d’air entoura ensemble les trois objets. L’arme s’illumina d’une lumière chaude ; l’eau de la fontaine bouillonna ; l’arbre grossit et grandit. Son tronc se décolora jusqu’à devenir transparent, telle une sculpture de verre, ses feuilles se solidifièrent, formant un bouquet de vitraux, et ses racines limpide s’étendirent jusqu’aux autres rives, plongeant dans l’eau de la fontaine d’un côté, enserrant l’arme brillante de l’autre.

 – Ok, je dois bien l’admettre, une paix dans cette période difficile, cela n’est pas ce dont les mortels m’avaient habitué jusque maintenant, s’étonna le frère.

 Bien évidemment, la sœur fut plus que ravie de pouvoir se vanter de l’avoir surpris, lui qui avait si facilement prédit les éternités passées. Il en entendit parler pour plusieurs siècles.

 Avec le temps, l’arbre avait doublé en taille. L’endroit devint en premier temps un lieu de pèlerinage pour les curieux des trois races, avant qu’une fermette ne s’installât à côté, profitant des voyageurs pour vendre leurs produits. Puis ce hameau devint un village, ce village une cité, cette cité la capitale. Malheureusement, ce n’était pas que pour le tourisme.

 Des histoires et des mythes s’étaient créés autour de l’arbre regorgeant de magie puissante, encore plus lorsque d’étrange gemmes, semblable à des fruits, avaient poussé au bout de ses branches de cristal. Les peuples voisins au royaume, qu’il soit d’autre espèce moins évolué ou juste des clans qui n’avait pas accepté l’alliance, convoitaient la supposée puissance des trois artefacts.

 Le frère se replongea dans son énigme préférée. Si ce monde se relevai vraiment de son destin tragique, peut-être cette âme trouverai-t-elle une place agréable. Pour lui, elle le méritait. Si l’époque ne lui était pas trop difficile, elle pourrait même aider les siens sur de grandes échelles.

 Du moins, si ce rôle n’était pas déjà pris. Une amitié, jugée peu naturelle par les leurs, s’était créée entre une guerrière ange et une mage démone au fils des batailles. Deux sœurs de bataille hors-pair qui s’étaient fait une grande réputation. Toutes deux natives du village de l’alliance, elles avaient pris l’habitude de venir prier leur bonne fortune devant l’artefact de leur race chaque fois qu’elles étaient appelées pour défendre leur royaume.

 Seulement, cette fois, tandis qu’elles s’apprêtaient à repartir, elles entendirent un bruit lourd et sourd provenant de la troisième rive. Un fruit de l’arbre d’harmonie était naturellement tombé, quand les plus forts guerriers n’avaient pas réussi à en décrocher un seul. Cependant, lorsqu’elles s’approchèrent pour le retrouver, elles ne tombèrent que sur un fruit tout à fait normal. N’y voyant rien de très spécial, elles se le partagèrent en signe de bonne chance.

 Si à leur départ rien n’avait changé, leur retour ne passa pas inaperçu. Dans le feu de l’action, au moment où elles se sentaient toutes deux le plus en vie, et sans qu’elles le remarquassent, elles avaient gagné en taille, pour être à la hauteur d’un humain normal. De plus, la démone s’était vu offerte une paire d’aile à plumes, tandis que c’étaient des cornes et une queue qui étaient apparu sur l’ange.

 Bien sûr, ces nouvelles forces attisèrent la convoitise de leurs ennemis, elles ne s’attendaient cependant pas à devoir justifier chacune de leurs actions auprès de leurs dirigeants, ni à défendre les artefacts contre la cupidité de leurs propres peuples.

 Malheureusement, le temps érodait beaucoup de chose, même immatérielle. Si l’archange restait fidèle et supportait toutes les brimades, l’archidémone perdait patience. Et lorsque la goutte fit déborder le vase de sa rage, l’irréparable fut commis. Des intrus cherchèrent à bruler les racines de l’arbre pour en dégager l’épée usée. L’archidémone fit un exemple de ses brigands, et les exécuta sans procession. Quand sa sœur la confronta sur le fait, elle ne contenait déjà plus sa colère. Une bataille sororicide prit place. L’archidémone ne voulut entendre raison, et fut vaincue, sa propre lame plantée dans sa poitrine, au pied de l’arbre.

 Mais elle ne partit pas sans un dernier sort. Jurant de faire son devoir contre tous, elle enragea la nature elle-même, puis recroquevilla ses ailes. Des ronces, aussi transparente, dure et pointue que les racines de l’arbre, sortirent du sol tout autour d’elle pour l’englober, et continuèrent à se propager dans tout le jardin, sur les artefacts et jusqu’aux murs d’enceinte. Bientôt, le château entier était pris d’assaut, avant que ce ne fût le tour de la ville. Le peuple et ses dirigeants n’eurent d’autre choix que de laisser la place à cette forêt sauvage.

 L’archange continua d’œuvrer pour le bien de tous, survivant génération après génération, jusqu’à devenir dirigeante à son tour. Une reine immortelle.

 Le frère était captivé. C’était là le genre d’histoire qu’il aimait voir faire les petits mortels. La sœur en profita pour lui prendre l’âme qu’il tenait.

 – H-Hey ! Je n’ai pas fini…

 – C’est bientôt son heure. Rien ne vaut une observation directe, pour mieux l’étudier, non ? Et puis, on a déjà vu ce que donnaient des êtres sans âme.

 A la fois déçu de cesser ses conjectures, et impatient de voir la suite des évènements, il la laissa reprendre l’âme brillante. Elle approcha cette dernière du monde, et la laissa se dissoudre dans celle-ci en une poussière d’étoile. Le frère scruta le monde bien plus que d’ordinaire.

 – Ce n’est pas dans tes habitudes d’être aussi… investi sur une seule personne, s’étonna la sœur. Nous savons comment se termine chaque histoire, pourtant.

 Seulement, il ne l’écoutait déjà plus. Il attendait. Il la cherchait.

 Une fois de plus, ce monde lui donna tort. Contrairement à ce qu’il attendait, il ne trouva pas la démone parmi le haut-peuple. Cela ne l’empêcha d’être aussi radieuse qu’il l’avait prédit, et aussi déterminée à prendre son destin en main qu’il le soupçonnait. Mais une nouvelle sensation était apparue en lui. Une inquiétude.

 Il l’observa grandir, d’une enfance trop innocente, une adolescence trop studieuse, à un âge adulte trop solitaire. D’apparence toujours souriante, elle faisait beaucoup pour son prochain, et bon nombre de gens lui était redevable. Pourtant, elle n’avait jamais ouvert son cœur à qui que ce soit. Sans proche ni ami, elle ne pouvait suivre d’autre conseil que les siens, et ce que son cœur lui disait. Malheureusement, ça gentillesse était bien trop proche de la naïveté, et certains se servaient d’elle.

 Le frère vérifia d’un regard furtif que sa sœur était concentrée à l’autre bout du monde, et brisa la règle la plus importante de leur existence : il intervint. Bien sûr, il s’assura de ne rien faire de trop voyant ou trop dramatique, mais fit tout de même en sorte la chance lui soit curieusement très souriante. Il éloigna les mauvaises âmes, celles qu’il jugeait corrompu ou incompatible avec elle, et essaya même de lui trouver des compagnons convenable. Rien n’y fit, elle semblait même s’isoler toujours plus.

 Il retenta de s’immiscer dans sa vie à plusieurs reprises, la faisant monter dans la société et dans la vie presque gratuitement. Elle avait toutes les opportunités pour elle, aucune porte ne lui serait jamais fermée. Alors pourquoi ne semblait-elle pas plus épanouie ? Et pourquoi son bien-être lui était devenu, au fils du temps passant, si important ? Il n’arrivait pas à trouver de réponse. Cruellement, il n’en aurait pas l’occasion.

 Ce qui l’horripila le plus, c’était que ce jour si fatidique se déroula alors même qu’il ne la surveillait pas. Sa sœur lui avait demandé de travailler sur d’autres espèces, évoluant loin de tout contrôle des hommes. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était observer son corps, inerte, et se poser encore plus de questions. L’avait-il trop préservée de mauvais évènement, lui causant de faire confiance à la personne de trop ? Avait-elle été trop enviée pour toutes les bonnes choses qu’il lui avait données ?

 Sa sœur sentit sa fébrilité inhabituelle. Elle n’eut pas à chercher longtemps pour en trouver la cause.

 – C’est... décevant, soupira-t-elle. D’ordinaire, une âme rare accomplit quelque chose dans sa vie mortelle, avant de retourner dans les veines de la création. Elle n’a…

 Elle s’arrêta en entendant un murmure. Son frère bredouillait incompréhensiblement ; il était plus touché qu’elle ne l’avait cru.

 – C’est… ma… faute… finit-il par avouer.

 – Qu’est-ce que tu racontes ? demanda-t-elle, incertaine.

 – Elle n’a pas… vécu comme elle l’aurait dû. Je l’ai aidée. Je l’ai protégée.

 Sa sœur s’approcha lentement. Elle voulut l’enlacer, le rassurer, lorsqu’elle remarqua un scintillement au coin de l’astre de son iris. Une petite goute dorée et lumineuse perla, puis glissa le long de son visage avant de se décrocher. Elle chuta vers la table et le monde qui s’y trouvait, telle une étoile filante. En passant au-dessus du continent, elle dessina une aurore aussi brillante que leur soleil, qui illumina leurs nuits sur plusieurs semaines.

 Seulement, lorsque la goutte s’écrasa sur la table, son doux trait de lumière se changea en sinistre brisure rayonnante. Aussi petite fut-elle, le choc fit trembler l’entièreté du château d’âme. Pire encore, la lézarde n’arrêta pas de s’étendre et de se divisée. Elle recouvra entièrement la table avant que l’un des êtres céleste ne réagît.

 Ils regardèrent, surpris, impuissant, leur petit univers se désagréger en fines poussières, et se faire aspirer par cette étrange faille. Cette dernière avait d’ailleurs attaqué le sol, les murs et la porte. Doucement, la sœur en toucha un bout, et frotta comme pour la nettoyer. Mais ce fut le contraire qui se produisit. Son corps astral sembla se changer progressivement en verre, pour mieux se briser à son tour, et se faire lui aussi aspirer.

 – Qu’ai-je… Tout est… Je suis dé… bredouilla le frère.

 – Excuse-moi, le coupa sa sœur. Tu semblais si intéressé, si investi. Je voulais te laisser t’amuser, pour une fois. J’aurais dû voir que tu étais trop attaché. Tu es toujours à te donner à cent pourcent dans tes expérimentations. Qu’importe, je suppose que même l’éternité à un terme. Je doute que tu l’ais vu venir, celui-là.

 Il ne sût quoi lui répondre. Leur propre réalité se morcelait. Il n’y avait déjà plus rien autour d’eux, si ce n’était les craquelures dorées s’étendant à l’infini dans un espace sombre et vide. Elle s’approcha calmement, souriante, et l’enlaça cette fois pour de bon. Cela faisait si longtemps qu’ils travaillaient machinalement, ils n’avaient jamais pris le temps de se montrer de l’affection. Le frère oublia son tracas, et l’enserra à son tour.

 Patiemment, ils attendirent ensemble de se dissoudre à leur tour. Ils ne pensaient à rien, juste à être là l’un pour l’autre. Ainsi, l’âme réunie de l’univers disparu, emportant avec elle sa créativité et son apprenant, sa donneuse et son preneur, sa vie et sa mort.

 Les mortels avaient de la chance, de pouvoir apprendre de leurs propres erreurs, d’avoir le droit à une seconde chance. Mais avoir des pouvoirs infiniment grands impliquait des responsabilités également importantes, et la plus petite erreur était toujours immensément terrible. Peut-être auraient-ils mieux appris s’ils n’étaient pas restés si distant, à juste observer ?

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