CHAPITRE 24 : Honorius, dame Lupus
Une fois encore et depuis longtemps déjà Honorius avait quitté ses convives encore à banqueter. Il s’était éclipsé comme à son habitude, les laissant profiter du festin et des distractions.
Il prenait l’air sur le chemin de ronde jouxtant la salle des cartes, il aimait la pénombre bienfaisante des courtines seulement éclairées de quelques torches.
Il goûtait plus ce silence à l’animation des festins, la fraîcheur nocturne lui faisait du bien, il aimait respirer profondément debout sur les créneaux comme pour inspirer sa ville, là, il avait l’impression de faire un avec elle, qui aurait pu deviner qu’un jour, il serait empereur, il lui en avait fallu de la chance et de la ténacité et maintenant quoi, la peur de n’être pas à la hauteur, la peur d’être éliminé par un complot et surtout la peur de n’être jamais aimé de sa concubine.
Il affectionnait d’entendre l'ululement de la vieille chouette qui nichait dans la charpente de l’échauguette* près de la bretèche*. " Tien, elle n’est pas en chasse. " Pensa-t-il ?
Il était bien loin des vociférations de ses invités éméchés.
Depuis 500 ans, depuis la disparition des Empereurs du Ciel, on ne comptait plus le nombre de souverains assassinés par leurs proches ou par les Prétoriens, aussi sans être paranoïaque, il restait très prudent. Par habitude, sous sa tunique de soie molletonnée, il portait une fine cote de maille faite dans un métal venant des iles du levant, un cadeau que lui avait fait son maître d’armes le très laconique Tekapput Nikkeijin Metamoto qui était aussi sobre de ses phrases que son nom était long.
Il se retourna vivement, alerté par des bruits de pas précipités.
Une main sur le pommeau de son glaive, il prit de l’autre une torche qu’il leva bien haut, au-dessus de sa tête.
- Halte-là ! Qui va là ! Cria-t-il.
Moi.
Il reconnut la voix de dame Lupus, première concubine de son père et mère de Ser.
- Le cheval de mon fils est rentré seul au camp de la troisième légion. Dit-elle dans un souffle.
- Vous le connaissez aussi bien que moi. Je ne pense pas que quelques sauvages puissent venir à bout du meilleur de mes soldats, d’un des chefs des arcanis, vous verrez dans peu de temps nous recevrons un de ses messages laconiques dont il a le secret.
Il avait rejoint la femme et la prenant par le coude, ils se dirigèrent vers la salle des cartes. - Comment avez-vous pris connaissance de cet événement.
- Un papillon multicolore de la troisième légion sire Honorius.
Nous allons voir, les indiscrétions, c’est une chose, les rapports militaires, c’est autre chose et cessez de m’appeler sire en privé, n’oubliez pas qu’il n’y a pas si longtemps, petit, j’étais souvent dans vos robes ou sur vos genoux, vous êtes pour moi une seconde mère.
Sur ces mots, ils entrèrent dans un vaste bureau dont les lumières vives des nombreuses chandelles les éblouirent un instant.
Il se dirigea vers un cordon de velours qu’il tira plusieurs fois, malgré l’heure, un secrétaire frappa et entra.
Honorius lui demanda les derniers rapports des marches du Nord, le secrétaire s’effaça rapidement.
Sur un buffet d’acajou incrusté de motifs nacrés, il prit une aiguière dorée qui reposait dans une vasque de jaspe remplie de cristaux de glace, il attrapa deux verres de cristal de roche qu’il remplit de jus d’orange.
- Tenez, je sais que vous êtes comme moi, vous préférez les jus de fruits des Hespérides au sang de Bacchus.
On entendit de nouveau frapper et le secrétaire apparut avec plusieurs rouleaux, il les déposa avec déférence sur une grande table de verre et se retira rapidement sans bruit.
Honorius avisa les titres inscrits sur les capuchons de papyrus, il trouva rapidement celui qu’il désirait.
Il le décacheta et déroula le papier, le rapport était écrit en Dominien sauf une partie recopiée en langue étrange. - Eh bien, voilà, écoutez. J’ai traversé le grand lac, on m’a dit qu’une vallée s’ouvrait sur la steppe, on dit qu’il y a une forteresse ruinée, j’y vais. Messages suivront. Ser curateur.
Il reposa le rapport qui rapidement se ré enroula sur lui-même. - Vous voyez, il avait glissé le message dans ses fontes, mais de toutes façons, il va m’entendre, où a-t-on vu un gouverneur courir seul les bois comme un trappeur.
Il se dirigea vers une écritoire de bois d’ébène sur lequel plusieurs stylés de verre étaient disposés, il souleva le pupitre retira une ramette de papyrus et écrivit rapidement quelques ordres.
Il les lut à haute voix : - Message urgent, ordres à tous les forts des régions nord de chercher et de prêter main forte au curateur Ser, ordres aux compagnies fluviales de faire de même. Voilà dit-il.
- Maintenant, je sonne mon secrétaire, et nous pourrons aller nous coucher. Je vous raccompagne à vos appartements. Mais au part avant j’ai besoin d’un de vos conseils, j’ai toujours apprécié vos remarques, vous connaissez si bien le peuple peut-être parce que vous êtes la plus grande actrice de la capitale.
- Mon empereur, vous êtes trop bon, si je puis avec mes modestes capacités vous être utile…
- Voilà vous n’êtes pas sans savoir que depuis quelque temps de nombreux graffitis et de nombreux libelles très offensants à mon égard couvrent les murs. Je ne vous demande pas le nom des auteurs. Ma police est très bien faite, je les connais. Mais que dois-je faire ?
- Vos prédécesseurs les auraient arrêtés.
- Mais vous ? Si vous étiez à ma place ?
- Je ne sais si je dois ?
- Osez sinon je ne vous aurai rien demandé.
- Le divin Kazar* était moqué par ses légions, pourtant, elles le respectaient. Faites comme lui, faite mieux, récompensez les auteurs créez un jury avec des prix, du coup plus personne ne prendra au sérieux ces libelles.
- Je dois admettre que votre proposition est originale et tentante, je vois aussi tout ce que je peux en retirer. Je vous nomme présidente du jury.
- Honorius, c’est un grand honneur, mais je ne puis accepter et ce ne serait pas une bonne idée, prenez plutôt le plus virulent de vos contradicteurs.
- Chère Dame Lupus, mon père, a eu de la chance de vous avoir pour odalisque. J’ai l’homme qu’il me faut et vous le connaissez. Si vous voulez me faire plaisir soyez au moins dans le jury et tenez plus souvent compagnie à dame Igfride, je n’aime pas la savoir seule même si c’est son choix. Ha au fait ! Je dois vous gronder ma mère et vous ; tous les proxénètes se plaignent de la concurrence de vos écoles, mais continuez, je vous soutiens, mais que cela reste entre nous. Votre idée de phalanstère pour jeune fille n’a point d’égale dans tout l’empire et le monde connu.
Et tandis qu’ils se dirigeaient vers la sortie, il riait, mais c’était un rire de façade, car lui aussi avait reçu des messages qui parlez de Téobulus et Périantos.
Dame Lupus ébauchait un léger sourire, elle était à moitié rassurée, elle ne connaissait son fils que trop bien.
Échauguette* : guérite de guet généralement placée en surplomb sur une muraille fortifiée, une tour, etc.
Bretèche* : sorte de guérite souvent rectangulaire en saillie sur la muraille et construite sur mâchicoulis pour battre verticalement un point faible, porte, angle mort.
Kazar* : Nom du premier Empereur après la disparition des Empereurs du Ciel.
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