CHAPITRE 37 : Honorius, Metamoto, Gilbreth.
Dans le bureau des audiences privées Honorius présidait un conseil restreint, il en était aux conclusions d’un nouveau décret.
À ses pieds divers rouleaux étaient jetés en vrac, sur l'un d'eux on pouvait lire en titre : ébauche de rapport sur la situation économique de Domina.
De l'affranchi Brunus pour le Kazar Honorius.
Que les citoyens, les affranchis clients de personne, sains de corps et qui n'ont aucuns moyens de subvenir à leurs besoins soient sans retard recensés et adressés aux entreprises de travaux publics, aux chefs des ateliers de manufactures des villes de la grande ceinture en demande. Ils seront logés dans des insulae du domaine impériale et du grand mur. Ils percevront une solde et seront nourris au frais de l'Empire. S'ils refusent, il faut les interner au Champ du Départ avant de les mener aux convois à destination des nouvelles colonies de peuplement avec interdiction de quitter les dites colonies pour une durée de cinq ans.
Les handicapés, les vieillards seront laissés en paix et entretenus par les temples. Aux autres on demandera ce qu'ils sont venus faire à Domina.
Tous les fauteurs de troubles auront le choix entre les galères ou la légion.
Se calant sur son trône, Honorius tentait encore de résoudre l'un des problèmes les plus aigu de sa capitale. Le surpeuplement, le chômage générateurs de misère, et de désordre.
Il frappa de son seau son ordonnance et la tendit au préfet du prétoire Lucius de Syrthe.
L’empereur était rempli de bonnes intentions, de projets innovants.
Ce jeune homme était soucieux de l’ordre, et du bien public, il se voulait le bienfaiteur de l'empire, et de l’immense ville grouillante où il résidait.
Dans les rues avoisinantes, au bas du palatin*, des masses de gens désœuvrés déambulaient, semant parfois le trouble. (Une des collines de Domina. La tradition y situait l’établissement fondé par les Divins Empereurs du Ciel. Les Kazars y fixèrent leurs résidences, et bientôt les constructions monumentales ont gagné toute la colline)
Il fallait leur donner à tous du travail, de quoi se loger, se nourrir.
Depuis dix ans, depuis qu’il était monté sur le trône, Honorius n’avait guère ménagé ses efforts pour relever son empire, et sa cité, cela avait fini par tourner à l’obsession. Il avait fait édifier des écoles, des bains, des théâtres, des jardins, un nouveau port, des temples et des casernes.
Il fallait occuper la plèbe. Si l’ancienne maxime du pain et des jeux était toujours valable, elle ne convenait pas aux vues et aux attentes d’Honorius qui ne voulait pas d’un peuple dolent. Maladie qu’il imputait en partie à l'abondance d’esclaves, à l'accaparement des terres cultivables par la noblesse patricienne et à l'insécurité qui régnaient aux marches de l'empire.
Aussi il avait commencé par créer un nouvel impôt sur l'esclavage, encourageant l’affranchissement. Chaque affranchi, si il n'était pas entretenu par son ancien maître appartenait à l’empire, pour une durée de dix ans avant qu’il ne soit complètement libre.
Les sénateurs, les riches propriétaires, et les prêtres, essayaient par tous les moyens de contre carrer ces lois, ne voyant que leurs propres intérêts.
D’un bout à l’autre de la capitale, et de l’empire, des chantiers s'ouvraient, on restaurait villes, et monuments.
Mais force était de reconnaître, rien n’y faisait.
Le chômage, le manque de monnaie, l'insécurité dans les campagnes, restaient de véritables fléaux, il y avait encore trop de différences entre le coût du travail entre l'esclave et le travailleur libre.
La balance quoiqu'on face penchait toujours pour l'esclavage, résultat des conquêtes, et de l'appauvrissement de la plèbe. Ce mal chronique rongeait l'empire s'avérait pour l’instant incurable.
Honorius n'aboutissait qu'à un constat d'échec, et il devait s'accommoder tant bien que mal de ces marées humaines inoccupées vivant des subsides de l’état et des loisirs gratuits. Il venait d’édicter une de ses dernières idées. Cette population que visait l'ordonnance n'avait cessé de grossir.
On aurait dit un fleuve en crue, impossible à endiguer. Les paysans des environs continuaient d'affluer à la capitale, ceux de Lakish, de Koptus, des montagnes de Garamante ou des plateaux de Syrthe. Tous attirés par les lumières de la ville, fascinés par l’opulence de la Capitale, continuaient d'y immigrer dans l'espoir de trouver un emploi lucratif, un toit et la sécurité.
Ils s'agglutinaient un peu partout, dans des logements de fortune, les bas quartiers, n'étaient plus que des cloaques fangeux, surpeuplés, où le désordre, et l'insécurité régnaient en maître.
Une foule inoccupée continuait de déambuler à longueur de jours le long de la Voie Sacrée, des ports et porteros, des bains publics, ou de la Voie Principalat.
Il fallait bien trouver une solution à ce mal endémique, Honorius pensait que l’oisiveté était la mère de tous les vices. Elle avait été à l’origine de bien des insurrections et de cela il n’en voulait plus, pas plus que des trop nombreux spectacles qui enfiévraient les esprits et provoquaient débordements et agitation.
Il se souvenait enfant avoir vue cette foule troupeau aveugle, sortir ivre de rage du circus Maximus pour tout piller sur son passage. Remontant la Voie Sacrée, bousculant les échoppes, ruinant les commerces, ravageant les riches domus.
La garde civile avait été massacrée sur place par une populace toujours plus nombreuse, animal féroce elle s’était retourné contre le Palatin.
Les Cohortes urbaines aidées d’une légion de Prétoriens avaient tout juste contenu cette multitude. Les nobles, les riches patriciens s’y étaient retranchés à l’abri de ses murailles fortes, et de ses portes de fer aux bandeaux de bronze. L’empereur Salgon terrorisé avait voulu fuir, et Evandre Premier Pontife* (Dans Domina, titre sacerdotal. Grand pontife ou premier pontife, chef du collège des pontifes de Domina. Le collège des pontifes fut institué par Mime pour organiser la religion civique. Le nombre de ses membres évolua de cinq à 10 (sous Honorius). Le président du collège, le pontifex maximus, hérita des pouvoirs religieux de l'Empereur. Tous les empereurs furent automatiquement grands pontifes à partir d'Honorius.) l’avait retrouvé tout tremblant déguisé en femme derrière la statue de Junon* (Divinité, fille de Saturne et de Rhéa, femme de Jupiter et reine du Ciel, déesse de la Femme et du Mariage. Junon a été assimilée à l’Héra) dans son temple. La plèbe et les esclaves l’en avaient empêché.
Son père Honorius l’Ancien, Maître de la cavalerie avait en pénétrant dans la Cloaca Maxima réussi à sortir de la ville. Deux jours plus tard à la tête de onze légions, il fallait bien cela, le maître de cavalerie avait noyé la révolte dans un bain de sang. Quelques quarante mille cadavres encombraient les rues. Les survivants, plusieurs dizaines de milliers, avaient été sur le front marqués au fer rouge et bannis de la ville. Un grand nombre furent à l'origine du clan des lintres. Les esclaves avaient eu moins de chance. La vengeance des patriciens avait été terrible, d’autant plus que leur peur avait été grande. On les avait crucifiés au matin et à la nuit tombée sous chaque croix on avait mis un fagot que l’on avait embrasé. L’odeur, l’horrible odeur avait stagné sur la capitale toute une semaine et seule les pluies diluviennes qui s’en suivirent avaient nettoyé les rues.
Et tout avait commencé pour une faute d’arbitrage, pour une arrivée volée par l’équipage des bleu
- Je veux voir Metamoto j’ai à lui parler.
- Il attend dans l’antichambre Empereur. Répondit un chef du protocole.
- Bien faite le entrer et sortez tous ! Qu’on me laisse seul avec lui.
Ils quittèrent le bureau après un bref salut, Honorius détestait qu’on lui fasse des courbettes. - Honneur et fierté Honorius, avait salué l'homme en frappant de son poing sa poitrine « Kazar Vous m’avez fait mander sire ? Ce n’est pourtant pas l’heure de votre leçon. Interrogea le maître d’armes, grand maître des arcanis.
C'était un homme grand, sec, aux muscles noueux comme un arbre qui aurait poussé dans les contrées froides et venteuses de l'Hyperborée. Il portait sa longue cape noire à haut col rigide, une armure à longues écailles et un masque hideux fait d’une matière étrange, qui tantôt brillait comme de l’or, tantôt devenait noire comme le fond d’un puits. Présentement le masque avait pris la couleur d’un cuir brun clair.
- Je sais mais je veux t’entretenir d’un projet. Mais auparavant il conviendrait que tu me dises qui tu es réellement.
- Tekapput Nikkeijin Metamoto sire, vous le savez bien.
- On m’a dit que tu serais Metamoto no Losheou ou Takapushe frère du Tanndou des archipels du levant ? Mais je n’en crois rien n’est-ce pas ?
Il y eut un long silence. Que savait-il de sa vie pensa Toila qu’on appelait Metamoto, il resta muet.
- Tu sais cher ami que je t’aime, et t’admire beaucoup, tu sais que si tu avais le moindre problème, tu pourrais m’en entretenir. Tu n’as toujours rien à me dire ? Sais-tu que des ambassadeurs du Tanndou sont aux palais ? Viens je vais te montrer deux petites choses qui devraient t’intéresser.
Il s’approcha d’une table sur laquelle deux bustes étaient recouverts d’étoffes. Il en dévoila un.
Metamoto reconnut son ancien maître.
- Et bien te reconnais tu ? Te voilà tel que tu étais il y a… Voyons donc 28 ans quand tu en avais 87. Tu dois donc avoir maintenant si je sais encore compter 115 ans. Je sais ce que tu vas me dire. mais laisse-moi ajouter que des masques comme le tien... un masque des ogres de guerre il n’y en a pas d’autres et te voilà tel que tu es aujourd’hui.
Il retira le dernier voile. Il reprit : - Je vois que tu es toujours aussi jeune et je trouve ta physionomie moins tourmentée, on dit que les changements d’air ont du bon, mais sur toi c’est une véritable jouvence !
- Comment ?
- Comment je connais ton visage, alors que tu as toujours ton masque ?
- Oui.
- C’est simple, j’ai tout fait pour que tu tombes sous le charme de dame Gilbreth. Oui elle est bien aveugle, elle ne fait pas semblant, mais c’est aussi un excellent sculpteur comme tu peux le constater. Alors raconte, je suis prêt à tout entendre.
- C’est une longue histoire.
- Et bien je t’écoute, j’ai tout mon temps, pour une fois que je te prends en défaut trop parfait Tekapput, pour une fois, tu seras obligé d’être plus loquace qu’à ton habitude.
Alors Toila lui révéla son secret.
Il lui conta son histoire qui commençait bien avant sa naissance, à des milliers de lieux d’ici.
Au pays où le soleil se lève, où les hommes ont la peau cuivrée, et les yeux bridés.
Cela commençait avec deux frères.
Le Tanndou, Hiroshi no Losheou ou Takapushe, et Metamoto no Losheou ou Takapushe son cadet dément et sanguinaire. Cela continuait avec les péripéties de leurs luttes contre le clan des Takkatarrete, et des Kikkensekoy. Leurs nombreux exploits entrèrent dans les annales.
Puis l’aîné assuré du pouvoir entra en campagne contre son trop cruel cadet honni de la population. Après trahison il le captura et le condamna à l’exile, sa punition fut aussi l’obligation du port du masque des Ogres de guerre cela en fit une espèce de croque mitaines. Il dut donc quitter la province dont il était le suzerain et porter en permanence ce masque d’horreur.
Devenu grand bretteur, il dut aussi changer de nom pour celui de Tekapput Nikkeijin Metamoto.
Il mena alors une vie faite d’expédients, de joutes et de tournois.
Il prit un jeune orphelin sur le lieu d’un de ses carnages, une vieille vengeance qu’il avait assouvit sur un clan des seigneurs de l'ombre qui lui avait été jadis déloyal. De ce jeune survivant, il en fit son serviteur qu’il nomma Toila, nom qu’il lui donna car il disait toujours et « toi, là » , fait ceci, « toi, là » apporte cela. Son jeune serviteur apprit les arts martiaux et l'Évangile des Astréides à son contact en le regardant, et en lui servant de souffre-douleur.
À la suite d’un sanglant duel, Tekapput se mesura à dix-sept épéistes et bien que vainqueur, il fut grièvement blessé... Ses plaies étaient trop graves... Il mourut quelques jours plus tard dans les bras de Toila. Alors le sômen, comme une coquille vide tomba.
(Masque de guerre).
Il le ramassa et ce le mit. D’abord par amusement et aussi pour échapper à la mort. Il faut savoir que dans son pays on sacrifiait le serviteur sur la tombe du maître bretteur pour qu'il le serve par delà la mort.
Il dut prendre aussi malgré lui la personnalité de Tekapput. Le masque ne voulait plus quitter son jeune visage, lui provoquant d’atroces douleurs et des visions d’horreur. Désormais il partageait les souvenirs et l’expérience de tous les anciens possédés du masque.
Il brûla le corps de son maître. Il en recueillit les cendres bien qu’il fut tyrannique et violent, bien qu’il fut un fou de guerre, mais c’était son maître et par-delà la mort, il lui devait encore bien des égards.
Le sômen comme sa renommée, lui collait maintenant à la peau. Très grand était son nom, très grande sa renommée qui inspirait terreur et envie. Détrôner pareil guerrier était devenu le but de tout duelliste désireux de se faire un nom. Aussi savait-il, qu’il serait sans cesse provoqué. Mais à l’inverse de son maître qui sabrait tous ceux qui lui faisaient face, il dut temporiser, il n’était pas Tekapput.
Ses débuts avec cette nouvelle identité, il les passa la peur au ventre, asseyant jour après jour, de se retirer le sômen sans succès.
Il devait découvrir une nouvelle méthode de combat qui lui permettrait d’impressionner ses adversaires sans les combattre. Après s’être retiré plusieurs mois dans une grotte pour méditer, pour s’entraîner, pour observer le grand caméléon des montagnes*, il découvrit ce qu’il appela l’attente ou la voie du fourreau.
Elle consistait avant le duel à déclarer qu’il ne dégainerait pas le premier. Qu'il ne porterait pas le premier coup de sabre. Mais que s’il mettait la main au fourreau, que s’il touchait le tsuka* de son sabre, alors le ha* de sa lame trancherait la gorge de son adversaire. Presque toujours, ses rivaux après un long face à face, demandaient grâce sans combattre. Sa mansuétude, sa simplicité devint légendaire, car vainqueur, souvent sa lame ne faisait que faire couler une seule goutte de sang de la gorge de l'adversaire. Il ne demandait que le gîte et le couvert.
Bientôt les seigneurs alentour se firent un honneur de le défier, non pas pour le combattre, car sa maîtrise de la lame était totale, mais pour l’avoir sous leur toit.
Il continuait cependant à se perfectionner, fréquentant toutes les salles d'armes. Il combattit pour le petit peuple. Pourfendant maints brigands, sa renommée devint immense parmi les paysans. Il n’était plus le monstre assoiffé de sang, mais le grand caméléon des montagne*, capable d'être invisible, immobile. Capable de frapper plus vite que l'éclair, capable de disparaître avant même que la tête de son ennemi ne touche le sol.
Il se savait même supérieur à son ancien maître, car seul il défit la bande des Cinquante Poignards qui ravageait la province de Konito Katufeamidi.
Devant tant d’exploits, tant de sagesse, il reçut le pardon de son Tanndou, mais il ne pouvait retourner à la capitale, il n’était pas Metamoto, alors il fit le fier, éluda la proposition, chercha une échappatoire.
Son pseudo frère se vexa pensant peut-être à une ruse subtile.
Il lui envoya des paladins pour le ramener manu militari à la capitale, en son palais des milles perfections.
Toila dit Metamoto les défit, mais il dut prendre la fuite. Tout un Clan de Seigneurs de l'Ombre* à ses trousses. C’était vrai qu’ils avaient quelques comptes à régler avec celui qu’ils prenaient pour Metamoto, mais cela était une autre histoire. Il réussit néanmoins à s’embarquer sur un navire qui fit naufrage sur une terre inconnue de lui.
Les Marches de l’Empire, là il rencontra Honorius et Ser qui étaient encore jeunes et acculés par des brigands. Il les sauva avec l'aide inattendu de Garm et il entra à leur service. Il ne pouvait retirer son masque, les fermetures étaient par on ne sait quel prodige toujours bloquées.
Sa renommée l’avait pourtant précédé jusque dans l’Empire. Il y avait ici aussi quelques comptoirs du Levant*, mais il était si loin de son Tanndou*, les mœurs étaient si différentes, à quoi bon raconter son histoire. Il ne pouvait pas prévoir qu’ Honorius deviendrai Empereur, que de nouveau son ancien titre usurpé à contre cœur rejaillirait, l’obligeant à endosser encore et toujours le rôle de Tekapput.
Après tout ce temps, le masque était devenu une seconde peau, une extension de sa personnalité.
Quelques années passèrent, il rencontra les prêtres de Janus. (L’un des anciens dieux de Domina, représenté avec deux visages opposés. Janus était le dieu des portes et plus généralement des passages, comme le passage d’une année à l’autre. Le premier mois de l’année (januarius) et le premier jour du mois lui étaient consacrés. Les portes de son sanctuaire, sur le Forum, étaient ouvertes en temps de guerre et fermées en temps de paix)
Qui mieux que ces prêtres pouvaient lui venir en aide ?
Ils lui débloquèrent les serrures contre d’obscurs services. Enfin il pouvait retirer le sômen, et le remettre à sa guise, ils lui avaient appris à le domestiquer, car ce qu’il prenait pour un masque n’était qu’une sorte de parasite ou plutôt de symbiote.
il rencontra dame Gilbreth qui heureusement était aveugle. Il ne pouvait pas deviner la perfidie de sa femme.
- N’en veut pas à ta dame, elle a fait son devoir bien à contre cœur, d’ailleurs elle t’a rendu un grand service. C’est une belle âme, tu sais.
- Je sais votre majesté. Que voulez-vous que je fasse, commandez et j’obéirai.
- Il est moins glorieux de naître noble, que de le devenir, et pour moi tu es le plus noble de mes citoyens. Tu vas simplement changer de nom. Mais tu en as l’habitude, à partir de maintenant tu es Toila Metamoto Tse Lee Thran Doo disciple du regretté Tekapput Nikkeijin Metamoto, et nous recevrons ensemble les ambassadeurs de l’archipel du levant. De plus, je pense que j’ai trop accaparé tes capacités. À partir d’aujourd’hui, je te nomme général des troupes d’élite, connétable de la jeunesse. Je veux que tu continues de leurs inculquer les voies de ton art, et de ta philosophie. Je veux aussi, que tu mettes toutes tes leçons par écrit. Tu as entière liberté pour en faire des combattants Dominiens à la mode du Levant. Tu devras éduquer toute la jeune noblesse et les meilleurs roturiers. Je veux que tu fasses des miracles, je veux créer un ordre guerrier aussi pur que l’acier de ton sabre, aussi instruit que des philosophes, et surtout tout dévoué à ma personne. D’ailleurs ne trouves-tu pas qu’il y a des points communs, entre le stoïcisme de nos philosophes et tes préceptes ? Maintenant que je te connais un peu mieux, mon admiration en est que plus grande. Tu étais caché derrière la charge de maître d’armes, maintenant c’en est fini, en plus de tes nouvelles fonctions, je te nomme mon garde du corps personnel. J’ai tant de questions à te poser. Pourquoi ai-je si longtemps attendu. Peut-être que mon intérêt s’est réveillé avec l’étrange demande des ambassadeurs du levant, ils voulaient ta tête quelle drôle d’idée Toila. Tu ne trouves pas ça amusant, demander la tête de celui qui doit protéger la mienne, je sens que nous allons bien rire. Tu ne peux pas savoir comme je suis heureux mon cher, car tu connais certains de mes secrets, maintenant nous sommes à égalité.
- Je ne vois pas à quoi vous faîtes allusion seigneur Honorius.
- Mais à l’exécution de Salamac, le frère de Salamandra voyons.
- Mais seigneur, c’est moi qui l’ai tué ! il voulait vous poignarder, en plus de déserter. La honte était sur lui, ne rien dire sur sa fin, c’est un service que nous avons rendu à sa sœur, dans mon pays pour pareille faute, toute famille de haut lignage de honte, se serait suicidée.
- Nous ne sommes pas dans ton pays, la politique ne connaît pas l'honneur. Je vais te confier un autre secret, la politique est l’assassin de l’honneur et de la vérité. Mais c’est quand même moi qui ai donné l’ordre, c’est amusant, maintenant que j’y pense, la aussi nous étions trois, ne cherche pas, tu ne peux pas comprendre. Je te ferai mander pour qu’on reçoive ensemble les ambassadeurs Levantins.
- Bien seigneur. Et Toila s’effaça.
- Kazar, l’affranchi je veux dire le sénateur Brunus demande à s’entretenir avec toi. Il dit qu’il a terminé ses études. Intervint le Grand Chambellan.
- Je sais j'ai déjà parcouru les brouillons de ses notes ! Je pourrai dire qu’il est bien trop rapide pour que cela ne soit pas bâclé, et cela me mettrait de fort méchante humeur. Mais je le sais bon intendant, et bon trésorier, il est bien rapide pour un Vergne, j’espère qu’il a mérité le laticlave dont je l’ai honoré. Qu’il entre !
Un jeune homme avec un peu d’embonpoint, le visage poupin et un je ne sais quoi de narquois dans le regard venait au-devant d’Honorius.
Sa placidité apparente cachait une intelligence vive, une grande puissance de travail, il ressemblait presque à un enfant.
D’une trentaine d’année, il était seulement vêtu de la simple tunique bleue des employés du palais.
- À quoi cela sert-il que je te fasse sénateur si tu restes habillé comme un valet ?
- Le bleu me va bien, il est assorti à mes yeux Kazar, et surtout nul ne me remarque, tu sais comme j’aime la discrétion.
- Ce n’est pas d’un bouffon dont j’ai besoin Brunus, on m’a dit que tu avais fini, alors je suis tout ouï.
- Comme tu veux Kazar, mais ce que j’ai à dire ne va pas te plaire, quoique je sache que tu as par devers toi mes brouillons. Qui d'autre fouillerait la corbeille d'un affranchi ?
- Que m’importe je veux la vérité, et si possible des solutions.
- Vous les Dominiens étiez un peuple de pécheurs, de maraîchers et de soldats. Pour dire la vérité le plus bel éloge qu'on pût faire à un homme de votre nation était de l'appeler bon laboureur.
- Je sais tout cela. Abrège.
- Je poursuis quand même, cela donne plus de crédit à ma démonstration. La sagesse agricole des premiers temps de Domina-Prime se traduisit dans pas mal proverbes. Les Divins Empereurs du Ciel labouraient eux-mêmes avec des machines célestes sous le regard des Dieux, la terre était d'une fertilité extrême. Plus tard à la disparition des Divins Empereurs du Ciel, quand la race des petits propriétaires fut dévorée par les combats et les guerres civiles, le sol devint la propriété de quelques hommes opulents. Ces sénateurs pour la plupart avides et indolents. dont les villas étaient des lieux de délices avant qu'ils ne s'établissent dans les palais de la capitale, rougiraient de se mettre nus, comme l’auraient fait les anciens, pour labourer avec leurs esclaves et leurs bœufs. La culture de ces immenses domaines est maintenant abandonnée à des esclaves enchaînés, et à des malfaiteurs condamnés au travail. Ces grands domaines ont perdu Domina et même ses provinces. En effet, Domina est devenu un vaste jardin d'agrément, vidé d'hommes libres et travailleurs. La campagne environnante est maintenant incapable de subvenir à notre subsistance, et nous tous, nous crierons famine pour peu qu'un pirate interceptât les convois de blés de Salamandragor.
- Tu abondes dans mon sens Brunus, continue.
- Dominiens. Vous êtes un peuple qui jadis fut le plus puissant de la Laurasie. Vous avez dominé le monde durant des siècles, mais vous n’avez fait que faire péricliter le commerce, appauvrir vos provinces par des taxes injustifiées et des prédations de toutes sortes, vos conquêtes sont plus encore à plaindre. Parmi toutes vos qualités, on chercherait vainement le goût des arts de la paix et de l’industrie. Vous êtes de vaillants soldats, des hommes d'État habiles quant à la destruction des nations qui vous entourent. Parmi vous, il y a parfois de sages législateurs, qui on la chance de n’être pas assassinés, des orateurs, et quelques rares savants, vous êtes même d'heureux imitateurs. Mais vous êtes de mauvais commerçants, de mauvais manufacturiers. Votre politique est jusqu’à présent exclusivement conquérante. Vous ne comprenez rien d'autre que la domination par le glaive. Vous avez peur que d'autres peuples s'enrichissent par le commerce, vous n’avez d’autres buts que de dépouiller de leurs gains, ou de leurs richesses tous vos voisins. Vous ne comprenez que la force des armes. Pour vous l'économie politique consiste entièrement dans la consommation, et non dans la production et dans l'échange des richesses. Le développement pacifique de votre puissance et le bien-être des nations n'est pas dans votre nature. Vous méprisez l'industrie et le commerce, vous les abandonnez à vos esclaves et aux affranchis comme moi. Pour vous ce sont des occupations indignes d'un citoyen Dominien. Une de vos antique lois est toujours en vigueur, elle défend aux patriciens de s'adonner au commerce et à l'industrie, c'est tout juste si vous avez droit à l'exploitation minière. Les rares opérations connues par certains de vos citoyens consistent tout juste à de l'agiotage, on est bien loin du commerce, mais bien près de l'usure. Vous êtes au mieux des spéculateurs, et encore... vous jouez sur la valeur des maisons, des terrains, des troupeaux, voir des esclaves. Regardez les Levantins ils ont créé des comptoirs commerciaux partout autour de la mer de Téthys. Vos colonies sont toutes militaires, ce sont des camps retranchés, des postes fortifiés, établis dans l'intérieur des terres, sur des ponts faciles à défendre, sans la moindre destination commerciale. j'admire les dimensions gigantesques de vos constructions, s'ils attestent une grande habileté stratégique et un déploiement de forces extraordinaire, au point de vue du commerce ils sont d'une complète inutilité. Il va sans dire que je ne parle pas ni du commerce de détail, ni de l'artisanat, qui existe chez presque tous les peuples pour la satisfaction des besoins quotidiens. Mais ce dont je parle c'est du négoce, qui anime une nation tout entière, encourage l'industrie, la navigation, et enrichit toutes les classes.
Je parle de l’acier, de la soie des Levantins, des lainages de Hyperborée, des armes et de l’outillage des cimmériens, des pêcheries et des éponges des îles de Bellos, des universités, des chars, des tonneaux et des appareils agricoles Vergnes, des chantiers navals et des poteries de la Pléiade du Couchant, des porcelaines, du bétail des fourrures, des laines de Subarnipal, des verreries, de la finance, des mines d'argent de Psionta. Et ce ne sont que quelques exemples. Je pose cette question toute bête où sont vos objets manufacturés ? Où sont vos inventions ? Je n’en vois point. Aux quatre coins du monde, on retrouve votre monnaie, mais des objets Dominiens ? Rien, ou si peu. Oui il reste le lest que vos bateaux abandonnent dans les ports étrangers. On élève le Dominien pour la guerre du moins c'était vrai jadis, vous n’êtes plus qu'un peuple dolent et parasite.
Domina est un État essentiellement militaire, mais qui s'est endormi sur ses lauriers, et il semble vouloir rester ainsi jusqu'à sa chute. A côté du métier des armes, l'agriculture seule était réputée une occupation d'hommes libres, encore que, maintenant elle est négligée. Pour ce qui nous intéresse. Nous occuperons principalement, puisque nous la subissons encore du résultat de toutes ces victoires, toutes ces conquêtes de Domina, si admirées et si célébrées. Mais elles sont à déplorer comme autant de défaites du point de vue de la prospérité matérielle du genre humain. Domina, vers laquelle affluent toutes les dépouilles des pays conquis, ne sait que consommer, et non produire. Les trésors que vous avez amassé dans votre capitale, sont les trophées des provinces pillées et frappées de mort. Partout où vous avez mis les pieds, vous avez laissé des ruines. Les colonies sont pressurées par les taxes et la corruption. Toutes ces provinces, dévastées, dépeuplées, ces cités, jadis florissantes, sont plongées dans la détresse. Leurs ports s'ensablent, leurs fabriques s'arrêtent, l'agriculture elle-même dépérit, et les contrées les plus fertiles se changent en déserts. Le commerce qui survit grâce à l'indépendance des cités marchandes de la Côte Est a perdu toute possibilité de développement, vous ne l'envisagez plus que comme un mode d'acquittement de tributs imposés par la dominatrice Domina.
Ne produisant rien, et ne faisant que consommer, Domina, dont la population s’élève à plus de trois millions, ne peut se passer des importations des provinces. Ces importations ont un double objet, assurer la subsistance du peuple et alimenter le luxe des riches et des grands. Du pain et des jeux, telle est la maxime de la politique. Sur ces deux mots reposent la tranquillité et la sûreté de l'État. Il faut que le peuple soit nourri et amusé. Voilà ce que j’ai à dire sur l’économie de l’empire. Maintenant passons à la stratégie. Cela sera plus rapide. - Je t’écoute je vais me rendre compte de ta clairvoyance ou pas.
- Les lettrés s'interrogent encore sur les raisons de la crise profonde que traverse l'Empire. Certaines causes extérieures à l'Empire peuvent l'expliquer. En Orient, l'Empire des hautes steppes déliquescent laisse la place à l'Empire de Subarnipal. Cet empire puissant, bien structuré et agressif fait peser une pression constante sur nos provinces de l'Est et du Nord. Au Nord-Ouest de l'Empire, les Hyperboréens Orientaux qui vivent dans les régions de la Mer Blanche entament une lente migration vers le Sud et le Sud-est. Ce faisant, ils chassent les autres tribus qui se trouvent sur les territoires qu'ils traversent. Celles-ci cherchent à trouver refuge dans l'Empire en espérant y trouver de nouvelles terres et un riche butin. Leurs incursions mettaient à jour la faiblesse de notre stratégie défensive. Du moins c'était vrai jusqu'à ce que ton frère y mette de l'ordre, sa stratégie semble porter ses fruits. En effet, avant les légions étaient massées aux frontières, une fois franchie la région des marches, les barbares pouvaient ravager sans presque aucune résistance les provinces. Le dispositif militaire Dominien, et l'organisation du pouvoir impérial était très peu adaptés à une guerre d'embuscades simultanées sur plusieurs fronts.
Sur l'ensemble du Haut Tibre les difficultés étaient dues à l'éloignement de plus en plus grand des militaires, au système de rotation des légions. Les civils étaient désarmés, incapables de se protéger des menaces d'invasions.
Mais ton frère à comme je l'ai dit tout changer. Seul reste le problème de la classe dominante qui accepte difficilement l'accroissement de ses charges fiscales et ne songe qu’à vivre à la capitale. Depuis que l'Imperatus-Gouvernator Ser est sur les frontières il y règne une paix inespérée. Sur le plan politique, cela se traduit par la présence de tribus barbares pacifiées et par des gouverneurs choisis par Res Ser à la place de la classe sénatoriale. Je n’ai rien à ajouter. - Tu es très perspicace. Tu honore ma confiance. Il s’agit maintenant de réunir le Consistorium des 12, le Grand Pontife, et les 10 tribuns de la Plèbe. Je n’ai pas toute confiance en mon Sénat, aussi je me passerai de leur aide, tout ce que je risque, c’est qu’il me mette des bâtons dans les roues. Je te demande encore le secret, bien sûr tu es cordialement convié aux travaux de notre commission, je suis certain que tu dois avoir de nombreuses propositions.
Pour la première fois de sa vie Metamoto se sentait libre et léger sa tristesse s’était envolée, pourtant il pressa le pas vers ses appartements.
Il avait un mauvais pressentiment.
Quelque chose lui nouait les tripes, une appréhension latente qui remplaçait le soulagement d’il y a quelques instants.
Il commença à marcher vite, puis de plus en plus vite, presque qu’à courir. Dévalant la volée de marches de l’escalier d’honneur, avec cette impression, ce sentiment étrange de voler, comme lorsque l’on fait un mauvais rêve, et cette angoisse qui grandissait, qui grandissait, ce sentiment de péril imminent.
Il courait maintenant les deux mains sur la longue poignée de son tachi comme lorsqu’il s’élançait dans la mêlée des combats.
Il traversa la cour carrée déserte à cette heure-ci, puis la grande salle d’arme... au premier ses appartements, et sa Dame, sa vie, son âme, son bien ultime, mais aussi sa traîtresse, sa déloyale compagne.
Il entra hors d’haleine dans un vaste logement digne d’un prince, mais pourtant meublé sobrement, à la manière de chez lui, et puis sa dame était aveugle, autant d’objets futiles sur lesquels elle ne se heurterait pas.
Il ne prit pas garde aux deux rangs de serviteurs, qui s'inclinèrent sur son passage, ni des servantes qui voulaient lui ôter ses chaussures pour les remplacer par des chaussons.
- Où est Madame ! cria-t-il, hurla-t-il à la première servante qu’il croisa.
- Dans son bain, madame est dans son bain.
- À cette heure si ?
- Oui seigneur. Elle a demandé à ce qu’on ne la dérange pas.
Il courut jusqu’à la salle d’eau, et sans attendre en fracassa la porte. Gilbreth baignait dans une vasque d’albâtre... d’une eau rouge... rouge de son sang, de sa vie qui s’échappait.
Par terre son cadeau, un superbe kaiken* à la lame bleue nuit, à la garde recouverte de peau de poisson qui n’était pas tressée, laissait ainsi voir les somptueuses décorations qu’on appelait menuki*. Sa dame, sa femme, son aimée, s’était faite le jigai le suicide par section des veines, qu’avait il eut besoin de lui expliquer cette coutume.
Il se maudissait.
Il hurla comme un fauve mortellement blessé.
Les servantes affolées se bousculaient auprès de lui... alors qu’il pressait sa bien-aimée sur sa poitrine rougie, comme s’il avait sur son cœur une brassée de coquelicots.
- Allez me chercher un médecin, un apothicaire vite ! Vite ! De l’eau froide et des bandages.
Dame Gilbreth écoutez-moi, restez en vie. Je vous en conjure. Il faut bien que je vous pardonne.
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