La fuite.  (partie 2)

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Je conduisis les filles à mon gavon, là Anne leur fit une très rapide toilette pendant que Chiendri allait chercher le capitaine.

  • Capitaine, vous savez que j’ai des dons qui dépassent le commun des mortels. Votre route était la bonne jusqu’à ce que j’apprenne qu’un autre cyclone allait naitre ici ! Devant ses yeux éberlués, je lui montrai un point sur mon holocarte. Et je repris, nous on est là et la tempête que l’on fuit est juste là-haut.
  • Vous en êtes certain ?
  • Aussi certain que je suis un Hors-Loi.
  • Bordel de merde !!! puis regardant Yumi et Saavati. Vous les avez sorties de la cage ?
  • Oui, c’est mon affaire d’ailleurs elles ne sortiront pas de ma cabine, je tiens à les présenter à Samaël.
  • Ce sont vos esclaves, mais vous avez raison, il ne vaut mieux pas qu’elles sortent de votre gavon*. Je vous laisse j’ai des ordres à donner. Mais j’y songe… vu votre âge, et vos artéfacts vous avez dû en essuyer des tempêtes ?
  • Oui, et pas qu’un peu.
  • Je n’ai aucune honte à vous entendre, je m’en veux déjà terriblement de ne pas vous avoir écouté à Rascase. Et je vous remercie de ne pas y aller comme d’aucuns du couplet : je vous l’avais bien dit.
  • Je donne ici quelques ordres et je vous rejoins sur le tabernacle*.
  • Bien, à tout de suite, je passe d’abord par la timonerie* pour changer de cap.

La porte fermée je m’adressai à mes troupes.

  • Chiendri tu me les décrasses à fond et tu les soignes, tu trouveras un démanilleur dans le petit coffre, tu leur retires le plus de chaines possibles.
  • Anne, tu prépares un repas froid pour vous toutes. Après, vous attachez, vous sécurisez, tout ce qui peut l’être. Vous fermez aussi tous les sabords. Dans quelques heures cela va être les montagnes Russes.
  • Maitre, c’est quoi les montagnes Russes ?
  • Demande à Anne, elle t’expliquera. Moi je n’ai pas le temps. Anne… bon courage.

Je sortis sans me retourner et sans entendre la réponse. Je pressais le pas jusqu’à la timonerie*. Un homme trapu quasi chauve à la barbe grisonnante était à la barre, et gouvernait, sous sa main habile, la galère évoluait comme une chaloupe. Le Capitaine près de lui, fumait sa pipe tranquillement et moi le cigare aux lèvres j’admirais, en connaisseur, la manœuvre de virement de bord. Un beau 180° sur tribord pour que l’antenne* reste du bon côté de l’arbre de mestre* et ne fasse pas bruta*, j’entendais le fisquet* strident s’époumoner à qui mieux mieux. La gîte* fut aussi sévère que brusque, je dû m’agripper à un madrier pour ne pas tomber. Les Pavesades* de tribord faisaient office de brise lame. Durant la manœuvre le faux pont* avait dû embarquer une quantité d’eau invraisemblable. Les pompes tournaient à fond. Le rostre*, un instant sortit de son élément, pointa l’horizon d’un doigt vengeur avant de plonger dans une gerbe d’écume qui passa au-dessus de la rambade* pour pleuvoir sur la chiourme* éreintée. Toute la palamente* de bâbord et tribord était en l’air comme une rangée de piquiers prêt à recevoir une charge. La méjane* flotta, au vent qui forçait, claqua un instant avant de gonfler. Depuis quelques instants le bosco* nous avait rejoint, il considérait le ciel avec un semblant d'inquiétude. Enfin, il dit :

  • Capitaine !...
  • Quoi, vieux ?
  • Regarde donc un peu le petit grain qui nous vient dessus.

Tranquillement, Arcadi regarda le ciel. Dans le nord-ouest une masse grise presque noire, très visible maintenant, allait s'élargissant, un joli cône pointe en bas se pavanait pour encore un instant sur l’horizon.

  • Oh ! oh ! oh ! dit-il, tu appelles ça un petit grain ? c'est une jolie tempête que nous allons essuyer. Heureusement que notre coque est solide, car c’est un sacré coup de tabac qui va nous donner la chasse. Puis prenant au bosco son porte-voix : Attention mes couillus ! cria-t-il. Et les commandements se succédèrent avec rapidité. Répété à l’envie par les fisquets* et le Taiko*. Rentrer les avirons ! assourdissait* les ! libérer les cadènes* ! les iŭga dans l'entrepont !
  • Entendu, capitaine !

Le vent faisait déjà craquer la mâture et vibrer câbles et aussières*, la méjane* respirait par bouffées délirantes ; les poulies fatiguaient, avec de sinistres grincements se confondaient aux cris des oiseaux de mer qui venaient de leurs ailes nous frôler. La situation resta la même pendant toute une heure.

  • Carguer la méjane !

Un moment la Magistrale-Ihomie resta à sec de toile. Balloté sur une houle capricieuse.

  • Envoyez le Mangeovent* ! trois costauds au timon ! Le corbeau ! les catapultes et les scorpions là la mer ! hurlai-je.

Puis en un instant, le vent forcit, le ciel noir l’instant d’avant, prenait cette teinte cuivrée si particulière. De houleuse qu'elle était, les vagues devinrent déchaînées. Bientôt le cyclone nous lécherait le cul. Les lames plus Courtes, plus serrées, bondissaient autour du navire, l'enveloppaient de leurs étreintes moussues, faisaient craquer sa membrure, le fouettaient de leurs chocs répétés. Des montagnes d'écume s'élevaient puis croulaient sur le pont, balayant tout. Dans le ciel bas, livide, de gros nuages noirs couraient vers nous comme d'énormes oiseaux affolés.

Dans l'escalier. Un coup de roulis plus violent faillit renverser Anne qui sortait du gavon*.

J’étais en haut de la descente et je lui criais :

  • Bordel, Antje ! ne monte pas sur le pont.

Anne releva la tête, et me montra un visage si courroucé que je ne pus que

Balbutier :

  • Je t’en prie... Anne...
  • Et s'il me plaît, à moi ! répliqua la jeune fille avec violence. Suis-je une enfant pour que vous soyez toujours à me surveiller, à épier chacune de mes actions !
  • Tu es mon esclave !

Elle éclata de rire, et gravit les derniers degrés de l'escalier. Puis sa tête où déjà le duvet faisait place à un début de chevelure apparut dans la timonerie. Elle me parla en français une langue qu’elle aimait.

  • Je pense être plus que ça Maitre ? Maitre mon père avait un grand voilier et j’ai souvent navigué par gros temps au large du Cap. Elle me regarda et pouffa. Maintenant dites-moi, ajouta-t-elle sur un ton mi amusé, mi ironique, on est à contre-bord * et je suppose qu’on a mis en fuite* ?
  • Oui effectivement. J’interpelais un sous comite : Et toi ! donne à mon esclave ton ciré elle reste ici.

J’avais à peine fini ma phrase que Yumi déboucha aussi dans la timonerie. Elle rejoignit Anne, qui d’une main était cramponnée à la rambarde, et de l’autre tenait le ciré de toile toutes deux contemplaient la mer. L'écume et le vent fouettaient leurs corps nus leurs visages radieux. C'était avec une sorte de joie sauvage qu'elles recevaient les brutales caresses de l'ouragan.

Les grondements sauvages, le tumulte assourdissant, le désordre furieux des flots semblait les ravir. Il semblait à Yumi qu'elle respirait mieux dans la tempête. C'était bien à l'image de son âme tourmentée, tant de choses lui était arrivées. Mais toutes deux les trouvaient belles, ces vagues énormes, qui s'écrasaient, bondissaient sur le pont, se relevaient écumantes, échevelées et hurlantes, semblables à des furies. Aucune crainte dans leurs yeux, juste la chair de poule qui les rendaient encore plus belle plus désirables... Ils ne pouvaient rien contre elles, Ces éléments déchaînés.

  • Combien de nœuds filons-nous ? cria dans le vent Anne.
  • Qu’est-ce qu’elle veut dire ? demanda Arcadi.
  • C’est une unité de vitesse. Dis-je à l’oreille du capitaine.
  • Va chercher Saavati ! hurla Anne. Qu’elle remonte avec toi la grosse bobine de bout*, celle avec le triangle de bois.

Pas deux minutes c’étaient écoulées que les filles remontaient, avec une bobine qu’elles portaient à deux.

  • Prend un gueulard et court à la poupe ! lui cria Anne.
  • Permets-moi de l’accompagner !

Les lames balayaient le pont et la poupe en grand...

  • Saavati ! de toute façon il faut au moins être deux ! Et je serai avec vous, avec le sablier.
  • Qu’est-ce qu’elles font ? me demanda le capitaine.
  • Oh, c’est simple Mon esclave Anne essaye de déterminer notre vitesse.
  • On peut le faire ?
  • Evidement. J’ai de bonnes esclaves.
  • Comment ?
  • C’est simple, le bout* porte des nœuds c’est une unité de mesure de la vitesse du bateau. Un nœud correspond à une mesure que je t’expliquerai plus tard. C’est une solution pour mesurer la vitesse. Elle va jeter la planche reliée par le cordage à l'arrière du bateau. La planche lestée sur un des bords, tiendra verticalement dans l'eau. Le cordage est marqué de nœuds, régulièrement espacés. La planche est jetée à l'eau et le temps d'un sablier, on laisse filer la ficelle. Puis quand le sablier est vide. On remonte la ficelle en comptant le nombre de nœuds. Je comprends maintenant pourquoi Anne a calibré le sablier sur l’Oracle que j’ai au bras. Bref, ce nombre de nœuds donne la vitesse instantanée du bateau.
  • Laissez-nous passer ! cria Anne.

Et les trois filles disparurent derrière la grande guerite.

La Magistrale-Ihomie ne naviguait plus qu'avec le Mangeovent*, et était emportée dans un maelström.

J’entendis les hurlements d’Anne dans le gueulard :

  • Plus de vingt et un nœuds !

Comme, j’étais placés à côté de lui, j’étais forcé de crier à cause du fracas de la tourmente.

  • Eh bien ! Capitaine, si nous continuions de ce train-là, nous serons avant trois jours bien loin de notre mouillage.
  • Et alors ?
  • Cela ne suffira pas pour nous échapper. Il faudra mettre à la cape*.
  • A la cape c’est chaud !

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