La pension.

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Après le sale coup qu’on m’avait fait, je comptais bien en tirer parti. Mes compagnons, ces faux frères, me devaient bien une soirée à la Bodéga. Ici sous les dômes de l’astroport de la lune Minor, il faisait bon, voire chaud. Surtout quand on savait qu’à l’extérieur la température pouvait varier de –80° à +110°.

De par mes origines, j’étais, comme beaucoup de ma race, ennemi du froid et assoiffé de soleil. Jadis amoureux de cet astre, qui éclairait la terre ancestrale de mes origines et de sa compagne la Lune, laquelle, était bien plus petite que celle, où malgré moi j’avais aluni. Combien de parsecs me séparaient du berceau de l’humanité ? j’aurais été bien incapable de le dire, car je n’étais ni astrophysicien, ni pilote de vaisseau monde. Je n’étais qu’un spadassin reconditionné par les Nietzschéens. Ici sous un ciel infiniment noir, la gravité était identique à celle de Mars. Son sol montagneux, était truffé de cratères souvent recouverts de coupoles de verre blindé, elles étaient toutes ou presque reliées entre elles par un réseau complexe de tunnels. Minor abritait une population hétéroclite de civils, de militaires, d’humains, de post-humains, de transhumains, de cyborgs, d’androïdes et de robots. Tout ce petit monde habitait Octopus Minor, base principale des troupes de l’UDI.

À mon arrivée, c’est vrai que j’étais endormi dans un sarcophage cellulaire. Mais si j’avais été conscient, Octopus Minor m’aurait apparu avec au premier plan, son immense dôme principal aux vitrages polarisés protégeant d'énormes constructions en régolite rougeâtre, serrées les unes contre les autres, puis derrière, dans une perspective légèrement descendante, se confondrait d'innombrables cubes d’habitations de toutes tailles constitués d’un ensemble d’alliages et d'une tonalité uniformément grisâtre, une terne monochromie se trouvant reliée par huit voies tortueuses, rayonnant à partir du dôme principal. Cela donnait à cet ensemble l’apparence d’une pieuvre avec un immense réseau de tentacules.

En règle générale, les premiers pas qu'on faisait, quand on mettait le pied sur cette lune, étaient toujours assez malaisés malgré ou à cause de sa moindre gravité.

Donc, ce gai matin de juin, je quittais solitaire, encore groggy l’état-major où on m’avait promu, sans autre forme de procès Adalid. En sortant du bâtiment militaire hérissé de drapeaux, d’antennes, de paraboles et de batteries de défense, je m'étais engagé dans une rue relativement étroite resserrée entre deux rangées de maisons pouvant rappeler deux falaises ruisselantes de condensation.

Cette rue, Petite la Tentacule Midi, bien connue par tous les Almogàvers, était encombrée de quadriges attelées de iotas, de trottinettes, de VLE, (véhicules légers électriques), elle se prolongeait jusqu’aux places de San-Burgos et de Armatas, qui étaient à l’extrémité de cette voie. Cette dernière, était agrémentée d'un square gracieux, quadrangulaire complantée d'arbres violets et de pelouses de mousse fluorescente, après, venait une chaussée qui était dure à parcourir car encore plus humide et glissante.

Cette rue "Petite la Tentacule Midi", s'étirait sur trois kilomètres en défilé vraiment rebutant. Encombrée par des quadriges aux roues caoutchoutées, ils avançaient au pas de course, il y avait aussi de rares omnibus aux roues de carbone patinant sur un pavé de régolite moulée, car trop souvent trempée à cause de la condensation des coupoles de verre. De chaque côté, les piétons n'avaient pour tout espace de passage, que deux trottoirs étroits à peine larges d’un mètre quarante, où on devait sans cesse faire attention, pour ne pas se bousculer et pour ne pas descendre sur une route qui n'avait guère d'écoulement d'eau, hormis deux petits caniveaux toujours prêts à déborder sur la chaussée, parce que les égouts s'engorgeaient trop souvent, causant des bains de pieds qui étaient le moindre de ses maux.

Pourtant aujourd'hui, elle se parcourait plus aisément, les pompes avaient dû travailler à plein régime, elle brillait de propreté. Les robots cleaner devaient y être pour beaucoup. Ce qui faisait qu’au lieu de regarder mes pieds je pouvais examiner les cubes d’habitation. Ils avaient de larges ouvertures aux vitres épaisses, à travers desquelles on devinait de beaux magasins, d'avenantes salles de restaurants aux murs colorés, où il ferait bon entrer. Mais se loger n'était pas une sinécure, surtout que j’avais refusé d’occuper une chambre à la caserne de l’UDI.

Dans cette cité lunaire, dont l'importance s'accroissait d'une année sur l'autre, ou durant cette décennie, la population avait augmenté de plus de 380,000 âmes, si l’on ne comptait que les individus plus ou moins humains. Alors, il allait sans dire, que rien n’avait été établies en proportion. Les quartiers résidentiels ainsi que les microcapsules de repos étaient toujours insuffisants. Sans doute, on y trouvait déjà quelques palaces, assez d'autres hôtels, plusieurs centaines de locations meublées, mais peu de pensions de famille dignes de ce nom, asiles tranquilles, qui sont choses si appréciables pour des gens comme moi, rescapées d’un long voyage et de nombreux combats. Le moindre logis avait des prix forts élevés : par exemple, pour un lit dans un hôtel capsule, une nuit coûtait 25 crédits. Il fallait oublier le confort et l'espace, c’était le monde de l’infiniment petit. Dans ces pseudo hôtels, qui ressemblaient à des coursives de vaisseaux, vous passiez la nuit dans une sorte de minuscule cocon, où le maître-mot était optimisation ! Dans ce logis plus ou moins étanche, plus ou moins insonorisée, vous aviez droit à un matelas de bionéoprène, un mini écran 3D, un petit coffre-fort à serrure digitale et un masque à oxygène. Vous l’aurez compris, on y dormait mal, quand on y dormait.

Pour situer le coût des choses, les gargotes infiniment plus nombreuses offraient un repas ordinaire pour à peine 2 crédits. Je parle de crédits comme unité bancaire, mais l’unification monétaire dont le besoin se faisait sentir n’était pas pour tout de suite. Encore de nos jours, une extrême confusion régnait parmi les monnaies ; des pièces d'or, d'argent, de platine, terriennes, martiennes, ou autres, circulaient à des taux si variés que c’était à en dérouter la tête ou le logiciel le plus solide.

Enfin, je m’étais enfin casé dans une pension de famille réservée aux almogávares dont je pouvais décrire l'extérieur et l'intérieur. C'était plutôt un gros cube avec un rez-de-chaussée et deux étages peints en tons beige, l’immeuble était troué de larges ouvertures pourvues de forts barreaux escamotables et de persiennes en métal blindé, douze fenêtres au rez-de chaussée, seize au premier et au deuxième étage, deux balcons qui faisaient tout le tour du bâtiment. Cette architecture courante pour ces préfabriqués cosmiques, présentait un aspect pratique, simple à transporter et à mettre en œuvre.

Toutefois l'architecture soignée comportait un avant-corps à colonnes, toutes cannelées et portant de grosses lanternes à diodes. Sur un côté, un hall d’entrée, ordinairement vide ou occupé parfois sur par une charrette ou un quadrige aux roues grêles chaussée de caoutchouc. Les anneaux scellés au mur servaient à enchainer les iotas. Passé le hall on atteignait l'intérieur proprement dit. D'abord une pièce rectangulaire, la salle à manger "menjador", avec tables et chaises. À gauche, une porte s'ouvrait sur un salon "gran saló" meublé d'une table revêtue d’un polymère vernis, de fauteuils de rotin d’Exo, d'un piano jukebox, d’un grand écran 3D, de plusieurs tableaux fait main, d’un plan d’Octopus Minor. Au premier étage, se trouvait ma chambre, "habitació", décorée d'une armoire à glace en taule de galva, d’un bureau en polymère, d’une petite table ronde, d’un fauteuil en vrai cuir et d’une chaise, d'un lit volumineux à mémoire de formes qui supportait une literie en duvet synthétique, un écran mural, une mini salle d’eau avec w.c. et cabine régénérante, d’un terminal d’intercom avec commande domotique, de deux masques à oxygène, et d’un distributeur de boissons et de protéines. Cette chambre communiquait par un couloir avec quatorze pièces identiques se succédant à la file et chacune avec porte et porte fenêtre sécurisées. Je jetai au pied de l’armoire mon sac marin. Sur le lit, j’en fis autant avec ma cape, avec mon chapeau aux larges bords ainsi qu’avec mon baudrier, ma rapière et ma dague, puis je pendis dans l’armoire mon holster contenant mon blaster. La cour, ou "pâtio", occupait un espace allongé au fond duquel était située la cuisine, "cuina". Toutes les pièces avaient des murs simples à structures en nids d’abeilles, des plafonds hauts, un pavage presque uniforme de carreaux en dalles de régolite polie.

Il était midi passé, aussi je préférai manger à la pension. J’avais demandé qu’on me serve en chambre, car je n’étais pas vraiment d’humeur et j’aurais été un bien mauvais convive.

La tables rondes nappées de linge immaculé m’attendait. Un alerte cyborg, vêtu d'un pantalon noir et d'une simple chemise blanche, vint m’offrir la carte tablette où des plats appétissants apparaissent en relief avec à la clef un odorama assez concluant, les tarifs s’affichaient sur simple pression : au menu, nombreuses soupes chaudes ou froides, viandes en sauce, excellent foie de veau, hachis de viande fraîche ou de conserve, quantité de poissons, de riz long ou rond, de légumes, de fruits, de pâtes et gelées de goyave, ananas, coco, de confitures servies en même temps que les fromages. Un bon café se donnait gratuitement ainsi qu’un cigare Newhavana.

Comme plats vraiment spéciaux, il y avait les recettes catalanes ou l’on trouvait : Patas ou ragoût de joues de porcs, pieds de veau aux pommes de terre, olives et raisins confits. Après avoir adopté la coutume générale de boire de l'eau glacée, parfois violée pour une demi-bouteille de vin noir corsé Rioja, ou de la bière Marcia, ou Minor. Je choisis quelques tapas, une bonne fritta, un poulet rôti et une bouteille de Rioja Tinto. Après je prendrai mon café sur le balcon en fumant mon cigare.

J’avais poussé sur le balcon mon fauteuil et tout en faisant des ronds de fumée, je me laissais aller à un peu d’introspection. Du plus loin que je m’en souvienne, je n’avais jamais aimé ni les décorations, ni les honneurs. Et présentement, j’en avais reçu une overdose pour plusieurs décennies à venir. Celui que je prenais pour un ami m’avait honteusement trahi, aussi je me voyais maintenant affublé du titre pompeux d’Adalid. Et comme si cela ne suffisait pas, je me devais de retrouver ce soir tous ces traitres à la Bodéga pour fêter mes nouveaux galons.

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