Hélium.
En début de matinée, le dirigeable Samaëlien « Hélium » avait quitté son mât d’amarrage d’Aquilata et se dirigeait Sud-Sud-Est vers Yuchekha. L’allure était modérée. Le ciel d'un bleu léger, était parsemé de petits nuages s'enfuyant vers le Sud en troupeaux épars. Déjà les hautes constructions d’Aquilata se perdaient au loin, ainsi que ses interminables lignes des fortifications, mangées par les taches colorées des cultures ou les enchevêtrements des canaux. Le Tibre, par endroit, disparaissait masqué par un large bourrelet de verdure.
En milieu de matinée, après une traversée sans incident, ils avaient franchi les forêts de Caltallighanys* à une altitude constante de 2 300 pieds.
Garm se promenait sur la passerelle d’osier et de bambous tressés. Xanthie était restée couchée sous un édredon. Il la savait probablement nue, qui l’attendait.
Il sifflotait, heureux d’offrir à sa jeune épousée un voyage de noce en dirigeable. Une idée originale et bien moderne sur cette planète et pour sa femme. Ce furent pour eux deux des heures inoubliables.
- Viens je t’emmène voir les Chanys Yamatas*, avait-il-dit. J’en profiterai pour cueillir des Chardons de feu*. Tu verras, un bain avec de la sève de cette plante… tu ne trouveras rien de plus divin.
- A part toi, mon maitre ?
- Petite idiote ! Combien de fois faudra-t-il te dire que tu es ma femme ?
- Pourquoi ? parce que tu l’as décidé pour moi maiiitreee. Susurra-t-elle en s’étirant.
- A peine mariés que tu veux déjà divorcer ?
- Cela dépendra de votre ardeur au lit.
- Petite chipie !
- A vrai dire monsieur mon mari… je vous préférais comme mon leno*. Vous m’avez tant fait changer que je ne me reconnais plus. Je m’entends dire des mots, utiliser des phrases…
- Tu le dois aux leçons de Valerinus. Et il est vrai que maintenant, on comprend ce que tu dis.
- Vous êtes un mufle ! Vous ne me méritez pas. Pour un peu, je demanderai au capitaine de me débarquer de ce navire céleste. Vous, les Hors-Loi, ne faites rien comme personne. Pourtant ma mère m’avait prévenue : « Ne te marie pas avec Garm, c’est un Roi Démon, il est du même bois que ce coquin de Teixó. »
Garm était parti d’un grand rire.
- Ta mère la reine Igfride ? Pourtant tu as soutenu mordicus que tu n’étais pas sa fille.
- Il le fallait bien, sinon j’aurai dû rester à Domina, à devoir subir les cours assommants de Valerinus. Sans compter les attentions, que dis-je la cour, d’un nombre non négligeable de prétendants. J’ai pour une fois choisi, j’ai même été voir une sorcière pour qu'elle me vende quelques philtres d’amour afin qu’ils vous enchainent à moi.
- C’est bien ce que je dis. Tu es une petite chipie qui mérite la fessée.
- Et vous n’avez rien de plus corsé ? Sans quoi je vous quitte tout de go.
- Nous verrons cela à mon retour. Je vais faire un tour à la nacelle de manœuvre*.
- Cher mari, peut être que je te rejoindrai plus tard.
Garm croisa sur la passerelle Marielle, une officière qui venait d’être relevée de son quart. Elle arpentait les caillebotis de la passerelle d'une allure agitée, l'œil vague et la tête surchargée de préoccupations.
- Un problème ? demanda-t-il.
- Nous accusons une fuite sur une des chaudières, mais les mécanos sont sur le coup.
- Rien de grave ?
- Non. Tant que la météo est bonne et tant que les vents nous sont favorables.
- Bien, bien, je suis tout de même heureux de cette expérience. J'ai vu toutes les épures de ce dirigeable. Je viens d'en commander dix pour les Dominiens.
Marielle s’appuya au bastingage et rit aux éclats.
- N’est-ce pas beau tout cela ? Il y a moins de deux ans, j’étais une iŭga attelée à un chariot. Maintenant par la grâce de Samaël prophète du Blob, je suis officier et je vole comme un oiseau.
- Et vous portez un bien bel uniforme.
- C’est Dame Ashka qui les a dessinés.
- Dame Ashka, l’ancienne intendante du Dépotoir de Yuchekha ?
- Elle-même, une des femmes de Reg Teixó. Vous vous connaissez je pense.
- Oh que oui ! Et vous n’avez pas froid dans cet uniforme minimaliste ?
- Non il est bien pensé, notre robe est très courte, mais nous portons des bas en néo-soie*, d’ailleurs c’est plus une vareuse à manches courtes qu’une robe. Vous voyez elle peut se déboutonner entièrement sur le devant avec cette double rangée de boutons en nacre noires, c’est du plus bel effet sur notre uniforme blanc à liseré bleu. Il n’y a pas à dire Dame Ashka a bon goût et un superbe coup de crayon. Il faut voir la tête des hommes quand nous débarquons. Gloussa-t-elle.
- Et votre problème de chaudière ?
- Une peccadille… je vous laisse Reg Garm je suis pressée de rejoindre ma compagne, j’espère seulement qu’elle dort encore. J’ai hâte de retrouver notre couchette.
- Alors, reposez-vous bien Res Marielle. Je vais faire le tour du propriétaire.
- Vous voulez que je vous appelle quelqu’un ?
- Non merci, j’ai les plans pliés dans mon aokuu*, fit Garm. Allez vite vous coucher. Puis marmonnant pour lui-même… voyons voir, passerelle supérieure, vestibule, chambre cabines de l’équipage, nacelle de service, magasins, cuisines et salon, c'est très grand, et cela c’est juste pour le pont supérieur. A l'avant, mat de beaupré et sur les côtés les mats, pour les voiles d’étais, de grands mats et d’artimons. Voici la logette de direction des gabiers. Ah oui ! Maintenant le dernier pont inférieur la nacelle de commandement… c’est là que je dois aller. C’est vrai qu’avec une longueur d’un stade* et demi et un diamètre de 30 toises dominienne*. Et ça c’est sans compter les mats qui dépassent de chaque côté. Un truc comme ça, ça peut pas être l’idée de ce fameux Samaël, il y a du Teixó là-dessous, il doit bien être sûr de son coup pour ne pas craindre la Guilde ou d’Avalon.
Il arriva enfin à la nacelle de manœuvre. La commandante majore Yumi l’accueillit en compagnie de l’Ambassadrice Saavati.
- S_ Bonjours Reg Garm, je pense que nous nous sommes rencontrés à Salamandragor, à l’époque j’étais Nonce.
- G_ Oui, je m’en souviens j’étais avec Res Ser. Et vous Commandante Majore Yumi, votre tête me dit quelque chose.
- Y_ C’est normal comme mon nom l’indique je suis une Yumi. Maitre Teixó m’a éclairé sur mon passé.
- G_ Vous êtes donc une unité type : XYUMI ?
- Y_ Oui tout à fait je suis le sujet : GHG479HHXT56KGKGU899966, mais vous pouvez m’appeler Yajirushi ou Yumi.
- G_ Commandant Yumi, vous avez dit Maitre en parlant de Reg Teixó ?
- Y_ Oui, Saavati et moi-même, nous sommes toujours ses esclaves. Tout le monde ne peut pas proposer le mariage comme vous l’avez fait.
- G_ Et ?
- Y_ Rien, il serait plutôt notre employeur et un peu notre père.
- S_ Sauf qu’on ne couche pas avec son père, intervint Saavati.
- Y_ C’est pour cela que j’ai dit un peu, pouffa-t-elle.
- S_ D’ailleurs il nous voit et nous écoute en ce moment même.
- G_ Je vois, il vous a équipées d’un collier de transmission. Je dois dire que c’est de la belle ouvrage, c’est un beau bijou.
- Y_ Vous voyez quand je vous disais que nous étions ses esclaves, je ne mentais pas. Nous devons le porter en permanence car nous n’avons pas toujours été sages. Mais en attendant nous faisons à peu près ce que nous voulons. Nous sommes passées du statut d’iŭga à celui de capitaine de galère et maintenant je suis Commandante Majore du plus grand dirigeable de la nation Samaëlienne et donc du plus grand vaisseau qui puisse voler sur cette planète.
- S_ Et ce n’est qu’un début à ce que nous a dit notre maitre. Moi-même, je suis ambassadrice de la nation Samaëlienne.
- G_ Il a donc fait alliance avec Samaël ?
- S_ Le Prophète le considère comme son mentor, tous deux affirment servir le même Dieu.
- Y_ Maintenant si vous le voulez bien nous allons vous expliquer les commandes de « Hélium ».
***
Plus tard dans sa cabine au luxe relatif, car sur ce genre de vaisseau, il savait que l’on faisait la chasse au poids. Il s’entretint amoureusement avec sa compagne. La paix sur l’oreiller, "il n’y a que ça de vrai" pensa-t-il alors que Xanthie lui murmurait à l’oreille :
- Mon mari, j’ai une prière à vous faire.
- Si je peux l’exaucer pourquoi pas.
- Vous pouvez, mais jurez-moi de ne pas vous moquer et de respecter ma demande.
- Tu commences à me faire peur et pourquoi encore ce vouvoiement ?
- Justement, je ne désire qu’une chose, redevenir votre esclave.
- Mais tu es folle ! C’est l’altitude, ma femme est folle… le mal des montagnes sans doute ?
- Que nenni ! je veux redevenir votre esclave. C’est trop ennuyeux d’être respecté et même d’être crainte. Pour tous, je suis devenue une princesse, une quasi-reine, pire la femme d’un Roi Démon.
- Mais c’est ce que tu es. Et je ne suis ni un roi, ni un démon.
- Vous vous moquez de moi, je n’ai pas oublié la visite de ce que vous appelez votre bunker, de toutes ces machines étranges. J’ai vu ce que vous appelez les écrans. Vous êtes plus puissant que l’Empereur et toutes ses légions. Pour nous petites gens, les Hors-Loi, comme vous, les Régénérés comme vous vous appelez entre vous, et bien pour le reste de l’humanité vous êtes des Roi Démons. Vous ne vieillissez pas, ou si peu. Moi, je vais vieillir, devenir laide, impotente qui sait. Que diront les gens ? Alors que si je reste Chienne, je trouverais normal que vous me chassiez ou même me vendiez. Je suis un petit chiot que vous avez ramassé sur le bord de la route. Un jouet amusant qui ne vous amusera qu’un temps. Et bien, je ne le veux pas ou plus. Je ne serai jamais votre égale, alors autant formaliser la chose. En m’obligeant à m’instruire vous m’avez obligé à réfléchir. Valerinus m’a raconté l’histoire d’une certaine Pandore, mais dans ma boite, il ne reste même plus l’espoir. Être le jouet d’un Roi Démon a ses avantages, je ne le nie pas, mais c’est aussi entrer dans une spirale, celle du désespoir. Ici ce n’est pas ma place. Et disant cela elle pleurait.
- Depuis quand de telles pensées te hantent elles ?
- Que vous importe Reg Garm !
- Mais il m’importe justement. Je me suis promis de te rendre heureuse.
- Dans ce cas faites-vous haïr ! J’aimerai tant vous haïr.
- Décidément, c’est de famille. Tu es comme ta mère, elle a tout fait pour refouler ses sentiments envers Honorius ! Et pour quel résultat ?
- La liberté, sa liberté !
- Mais tu es libre, Xanthie…
- Vous voyez ! Même mon prénom, vous me l’avez choisi.
- Je ne peux tout de même pas t’appeler Chienne ?
- Et pourquoi non ?
- Mais c’est celui d’une esclave.
- Mais c’est ce que je veux… être une esclave et ne plus penser à vous comme à mon mari.
- Il n’est pas question que tu redeviennes une esclave. Et cela que tu le veuilles ou non ! Jamais plus tu ne porteras les fers et cela sous aucune latitude. Dans aucun Empire, dans aucun royaume.
- Et il n’est pas question que je reste votre femme. C’était une folie, un mariage contre nature.
- Tu parles d’un voyage de noce ! c’est un naufrage.
***
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