"Je sais pas pourquoi ils me font ça... Moi je suis là, je veux les rendre heureux et ils font n'importe quoi ! Ils me mettent en cage pour s'assurer de me garder éternellement. Sauf qu'ils se mettent en cage eux aussi. Jusqu'à ce qu'ils en puissent plus l'un de l'autre et là au lieu de me relâcher il me déchirent, me piétinent et me jettent dans le caniveau. Evidemment que ça finit mal. Pourquoi ils se sont mis en tête que je pouvais être qu'à un endroit à la fois? Ils invoquent Possession et Jalousie en faisant ça. Je sais pas, je pense que c'est leurs religions qui leur ont mis ça dans la tête. Oh je sais, y en a qui en ont pas mais c'est imprimé dans leur culture maintenant. Je sais pas comment ça leur est venu, aux religions. C'est sûrement pour les histoires d'héritage. Je me fous des héritages moi. La monogamie c'est peut être bien pour le commerce mais moi ça me tue... Alors oui, au début je leur donne envie de se voir tout le temps et du coup c'est un peu moi qui l'impose... Mais c'est naturel, c'est pas des règles contractuelles! Ils m'imposent des règles... J'ai mal au ventre... D'ailleurs on dit la monogamie mais... enfin le sexe. Pareil, ça me regarde pas ça. Ils m'ont collé des attributs bien lourds. Le sexe, la jalousie, l'éternité. N'importe quoi. Je veux juste me balader moi. Vous imaginez la pression sur mes épaules? L'éternité, rien que ça. Drama queens là !

-Revenez en arrière. Vous disiez que vous imposiez la monogamie?

-Oui un peu au début... Enfin quand ils apprennent à me connaître ils veulent rester qu'avec moi et l'autre. Ils ont pas envie de me faire connaître d'autres personnes. Mais ça je comprends, ça me dérange pas, c'est intéressant de découvrir les gens quand on les connaît pas et du coup on a pas besoin d'en voir d'autres. Mais une fois qu'on se connait tous on s'ennuie. C'est là qu'ils m'enferment.

-Pourquoi pensez-vous qu'ils vous enferment quand ils éprouvent moins d'intérêt à rester à trois avec vous et l'autre?

-Je sais pas... Peut être qu'ils voudraient rester dans le même état qu'au début, quand tout ce qui importe, c'est eux et moi. Mais c'est la découverte qui fait ça, ils mélangent tout. Et pour ressentir la légèreté de la découverte le mieux c'est... la découverte. Eux ils choisissent la séquestration. Pour la fidélité. La fidélité c'est encore un truc commercial. Le mariage. L'éternité.

-On tourne en rond. Finalement, ce que vous leur reprochez, c'est d'avoir voulu vous adapter à leur mode de vie, non? Pourquoi vous pensez qu'ils tiennent tant à la monogamie? Les religions, d'accord, mais elles ont bien dû être inspirées par une réalité, un besoin...

-L'héritage je vous dit! Qui est le fils de qui, à qui va la fortune... L'argent...

-L'argent ça leur apporte quoi?

-Du matériel, du confort. En cas de coup dûr c'est bien d'en avoir...

...

Elle me regardait, son bloc note à la main, dans l'attente que je tire mes propores conclusions. Elle disait "ils" mais elle était comme les autres. Attirance, découverte, enfermement, jalousie, haine. En ce moment elle était en phase de jalousie. Comme tous les autres au début, elle pensait qu'elle avait tout compris et que tout serait différent cette fois. Mais elle avait fait comme d'habitude quand la découverte fut terminée: s'enfermer et souffrir en silence. Cela durerait jusqu'au point de non retour. Les seuls qui ne suivaient pas ce chemin là étaient montrés du doigts. De moins en moins ces temps-ci cela dit. C'était toujours anormal, dans le sens ou la majorité était monogame ou recherchait la monogamie. Les autres formes étaient de plus en plus reconnues par la jeune génération mais toujours qualifiées "d'alternatives". Ils souffraient quand-même mais pas des mêmes maux.

Soudain je me risquai:

-Oh vous voulez dire la sécurité? Ou la peur de la solitude?

-Je ne peux pas parler pour eux mais ça me semble cohérent.

-Vous êtes l'une d'eux pourtant.

Déstabilisée, je la sentit rougir, son coeur s'accélérer.

-Vous faîtes l'innocent, vous prétendez n'être que légèreté, musique douce et papillons, mais la jalousie, elle est rarement sans vous. Alors oui, c'est peut-être nous qui l'invoquons mais on peut pas se permettre de courir dans les prairies et sentir le parfum des fleurs tout le temps comme vous. On a d'autres facteurs, d'autres relations, d'autres émotions à gérer. Vous agissez comme si vous étiez seul. Vous avez l'arrogance de débarquer dans nos vies et tout bousculer, tout nous faire oublier... Et vous voudriez qu'on se laisse faire tous les deux mois? C'est épuisant.

-Galvanisant.

-Instable. Et si on ne se battait pas pour nos couples, si on arrêtait tout au premier obstacle, vous l'avez dit, on serait seul.

-Vocabulaire de guerre, vous salissez tout. Vous êtes seuls. Avec ou sans moi, avec ou sans l'autre vous êtes seuls. Qu'est-ce qui vous fait si peur là dedans?

Je l'avais touchée. Elle était vexée, elle se sentait piégée, dos au mur. Elle eut un petit rire et dit d'un air sarcastique:

-Essaieriez-vous d'échanger les rôles?

-Je dis juste que j'apporte chaleur, excitation et renouveau dans la vie des gens et ils me tordent le cou. Ils seraient plus heureux s'ils lâchaient prise et écoutaient leur coeur.

Elle riait franchement à présent.

-Vous pouvez prendre un air supérieur, tenter de nous faire croire que vous êtes le bien incarné, des pailettes et de la douceur mais quand on vous connaît c'en est risible. On vit dans le vrai monde, nous.

-Je vous parle de moi, vous riez."