Sécrète

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Quand je me réveillai ce matin-là, mes derniers doutes s’étaient éteints. Je savais déjà depuis plusieurs jours mais refusais d’accepter: j’interprétais les signes à contre-sens, je restais sourde aux SOS de mon corps. Mais ça n’était plus possible : les pulsions qui jusque-là ne faisaient que me narguer étaient devenues des besoins et, quand bien même je savais devoir leur résister, je cédai.

Le seul espoir qui subsistait, c’était que cela reste secret. La honte d’une exposition publique irradierait toute douleur. Jean était déjà parti au travail, ce qui me laissait un peu de répit. Je ne pensais pas qu’il eusse compris. Bien sûr, il s’étonnait de mon irritabilité et de ma peau qui rougissait si vite, mais il ne pouvait imaginer ce qui arrivait. Ce qui transperçait mon corps et mon esprit.

Je rassemblai mes affaires et montai distraitement dans la voiture, à la recherche d’une solution pour m’extirper de cette situation. J’avais eu vent de personnes confrontées au même problème par ouï-dire, à la télé… Je ne me souvenais malheureusement que du dégoût que j’avais éprouvé en les entendant et pas de leurs méthodes pour y remédier.

Une fois au bureau, ce fut l’escalade. Ce cadre contraint donnait encore plus de vigueur à mes pulsions et les maitriser méritait la béatification. J’y parvins pourtant pendant la première moitié de la matinée, passant en contrepartie pour une harpie auprès de mes collègues. Cependant, je craquai peu avant le déjeuner. Je m’échappai de l’open space pour tenter vainement de soulager ce désir insatiable à l’ombre d’un cabinet de toilettes.

À mon retour, j’eus l’impression que tous les regards étaient rivés sur moi alors même que la plupart des pupilles étaient happées par un écran d’ordinateur. Avaient-iels remarqué le temps que j’avais passé aux toilettes ? Et la frustration qui ne pouvait manquer de couler sur mon visage ?

C’est avec satisfaction que j’accueillis la pause déjeuner. Je n’avais pas d’appétit, mais c’était l’occasion de me procurer la seule chose qui pourrait me satisfaire et mettre fin à cette torture. J’esquivai le repas entre collègues et sortis dans la rue au pas de course. Une demi-heure plus tard, je rejoignis le bureau apaisée : je pourrais mettre fin à mes maux ce soir-là. Du moins essayer de me soulager.

Cette perspective m’aida à traverser l’après-midi. J’esquissai quelques sourires à mes collègues pour ne pas éveiller les soupçons. Si on découvrait la vérité, je ne m’en remettrais pas. Je ne serais aux yeux du monde plus qu’à moitié femme, un être sale et repoussant.

Pas question de faire d’heures supplémentaires ce jour-là. Je rentrai le plus vite possible pour mettre fin à ce cauchemar. Seule, dans ma chambre, je rassemblai mon courage et expérimentai cette solution, en apparence étrange mais, je l’espérais, efficace. Je ne ressentis d’abord rien, puis une brève sensation de plaisir me secoua avant de laisser place à l’impression d’être souillée. Je m’allongeai au creux des draps, attendant de voir si ce serait suffisant.

Jean entra dans la pièce et me regarda avec étonnement. Enfouie sous la couverte, fixant le plafond sans le voir, je ne pouvais plus passer pour une fille normale. Il s’inquiéta, évidemment, proposa de me réconforter avec un chocolat chaud et quelques caresses. Je me protégeai de lui à l’aide du drap et le repoussai hors du lit. Je prétextai un mal de crâne pour lui taire mon dégoût que nos corps se rapprochent. Si nous devenions trop intimes, il sentirait ce qui n’allait pas.

« Même si t’as une migraine, il va falloir que tu te lèves et que tu t’habilles. Les Guéno et les Maillard arrivent dans un quart d’heure. »

Le diner ! C’était le soir même et j’avais complètement oublié. Pas moyen d’y échapper. Auparavant, j’aurais été ravie de me détendre avec mes ami·e·s mais ce jour-là ça ne faisait qu’allonger la liste de celles et ceux qui risquaient de me démasquer.

Autour de la table, tout le monde discutait, plaisantait, se taquinait. Comment pouvaient-iels ne pas ressentir ma gêne? Je brulais, rêvant de m’éclipser mais à court d’excuses. Les voix montaient, ma température aussi. Sylvie et Louise me tançaient pour que je leur montre mes tableaux, accrochés un peu partout aux parois de la maison. C’était la première fois qu’elle venait, je leur proposai de faire le tour des lieux. Je ne pouvais m’empêcher de craindre que les dédales de mon intérieur ne révèlent ce qui m’habitait.

Elles s’élancèrent vers notre chambre et s’extasièrent devant une marine suspendue au-dessus du lit. La vue de mon paysage me détendit et je me laissai aller le temps de leur raconter l’histoire de sa création.

« Tu l’as mis quand ? »

Je baissai les yeux et vis avec effroi l’emballage de mon ovule gynécologique, secoué par la main de Louise qui l’avait prise sur la table de chevet. Trahie par un bout de carton !

« Je suis désolée, je voulais pas que vous voyiez ça. On va plutôt parler de choses moins dégoutantes. »

Sophie éclata de rire : « C’est pas dégoutant les mycoses vaginales. En tout cas pas plus que le risotto aux champignons ! »

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