Le Croquemitaine

7 minutes de lecture

« Ah ça fait du bien de poser un cul »

Rolf retira ses gants et étendit les bras vers le feu qui crépitait doucement à ses pieds. Plus de tour de garde cette nuit. Il allait enfin pouvoir passer du bon temps.

« Hé Lambert ! Amène-toi ! Elle est où ta fameuse gnole ? »

L’intéressé sort des buissons en remontant ses chausses. Pas franchement choucard à voir le Lambert avec ses sourcils rasés, sa cicatrice sur le nez et tous ses couteaux. Mais bon, comme disent les vieux : Vaut mieux boire à deux que seul.

- « Vla ta part, c’est le duc qui régale »

S’étouffant dans un rire gras, le spadassin s’assoit sur une souche moussue face à Rolf. Le mercenaire cale sa gourde entre ses jambes et commence à tailler une brochette avant de mettre sa pièce de viande sur le feu.

- « Poua ça renifle ta barbaque, c’est quoi ? »

Lambert hausse les épaules.

- « C’est Jim qui me l’a donnée. Contrepartie pour pas avoir pu aller...rendre visite au village ce soir »

Une légère brise s’est levée et agite les feuillages des chênes centenaires de la foret où la Compagnie Libre avait monté le camp. De faibles voix montent régulièrement du village, cris, pleurs, en une mélodie discordante et infernale. Avec le temps on apprend à s’y habituer. On n’y fait plus attention, où on se convainc de ne pas écouter.

Les deux hommes regardent instinctivement la haute cage de fer à leur cotés. Impossible de discerner la petite forme recroquevillée dans un recoin. Sans aimer la marmaille pour autant, Rolf avais toujours essayé d’épargner les enfants pendant les campagnes. Voilà qu’il devait se coltiner une gamine qu’avait même plus père pour payer sa rançon. Qu’avait plus de famille du tout en fait.

Le vieux mercenaire prend une rasade de sa gourde. L’alcool épicé réchauffe son corps doucement. C’est une bonne eau de vie.

- « Qu’est-ce qu’on est censé en faire ? » dit-il en opinant vers la cage

Lambert détourne le regard et commence à faire tourner la pièce de viande au-dessus des flammes. Des gouttes de graisse se forment lentement avant de s’écraser dans les braises avec un crépitement sonore. Le feu danse autour de la viande comme s’il s’en délectait.

- « On la garde. L’chef veut la filer au roi pour chez pas quelle raison. »

Rolf change d’assise, esquisse un regard vers la cage.

« T’facon qu’est-ce que ça peut bien t’foutre de c’qu’on va faire d’elle ? Pas comme si sa maison allait s’venger. Sont tous crevés. On les a tous coupés bien nets. » Il finit sa phrase en passant son doigts le long de sa gorge. Pis ce qui compte c’est qu’le roi va allonger le pognon »

- « Ouais bien sûr, le pognon ouais »

Lambert le fixe pendant ce qui semble être une éternité. Ses deux yeux bleutés luisent d’un air mauvais

- « Tu d’mande toujours trop de truc l’vieux. Un jour ça va te tuer »

Un craquement de branche brise le silence.

- « Qui va là ??? »

L’intrus avance d’un pas lourd. La torche qu’il tient à la main parvient seulement à éclairer les mailles de sa brigantine, et les poignées immaculées de deux armes.

- « C’est moi les gars, du calme »

Rolf se décontracte dès que l’homme arrive en vue. Une barbe couleur de blé mur vient encadrer ses traits chaleureux. Deux yeux bleus acier embrassent le camp de fortune alors que son visage marqués par les campagnes se feint d’un large sourire.

Lambert lance une buche dans le feu qui laisse échapper une gerbe d’étincelle dans la nuit.

- « Putain Jim tu pourrai prévenir ! J’en ai planté pour moins que ça »

Le colosse éclate de rire. Il s’accroupit devant le spadassin, sa voix passant dans l’aigu.

- « Tu me planterai moi ? Je pourrai plus te lire d’histoire si tu me plante »

- « Ni juger tes dessins Lambert »

- « OK FERMEZ LA ! On avait dit qu’on parlait pas de mes dessins…z’ètes vraiment que des crevures…et toi éloigne toi de moi avec tes deux trucs chelous là »

- « Oh ça va on rigole »

Jim se relève, la main droite posée sur le manche blanc laiteux de son sabre. Un sifflement, un déplacement d’air. Ce fut tout ce que Rolf put sentir.

Lambert tenait à présent une brochette vide. La lourde pièce de viande était embrochée sur le sabre d’os du mercenaire hilare.

- « Hé lambert, j’crois que t’a rouillé avec la pluie, ou alors le vent à emporté ta barbaque »

L’intéressé jeta sa branche dans le feu en soufflant du nez.

- « T’es qu’un abruti Jim »

Rolf bu une autre gorgée de liqueur. Jim était arrivé dans la compagnie comme ça, il s’était frayé un chemin au poing vers la tente du chef…puis il y avait eu un sacré bordel là dedans. Le fait est que 10 minutes après il se présentait comme premier capitaine de la troupe. Personne ne savait ce qui s’était passé dans la tente.

A y réfléchir, personne ne savait grand-chose sur Jim, à part son penchant pour la boisson, la nourriture et son talent au combat. Probablement un genre de chevalier étranger en quête de fortune. La vie de mercenaire promettait richesse et gloire à qui réussissait à se tailler une réputation. Enfin, ce qui compte c’est que Jim soit dans leur camp : son instinct leur avait sauvé la peau d’un paquet de coups foireux. Ses talents de capitaine, de soigneurs et de conteur avaient rendus la vie de la compagnie moins morose. C’était presque trop beau pensa Rolf en observant les flammes danser autour du sabre du colosse.

- « Dis-moi captain j’aurais bien une proposition pour savoir d’où ces trucs viennent »

Le capitaine feignit la perplexité avec un talent plus que sommaire.

- « Quoi ? Ces antiquités ? »

L’homme s’assoit dans la mousse à côté de Lambert et commence à faire tourner la pièce de viande en silence. Il écoute.

- « Err…Alors voilà, a c’qui parait vous avez pas mal baroudé, et on peut pas non plus dire que vous soyez le plus bronzé des gaillards dans l’coin…du coup j’pense que vous êtes venez des terres du nord »

Le spadassin manque de s’étouffer.

- « Un foutu bouffeur de renne ? Le captain ? T’es pas un peu con le vieux ? »

- « Effectivement, je viens de là. Continue. »

Un long silence s’ensuit. Rolf se racle la gorge avec appréhension, craignant de continuer son récit sans vraiment savoir pourquoi.

- « Ben…j’en ai pas bien souv’nir, mais ma mère parlait toujours qu’il fallait pas aller chercher la merde aux tribus du nord, qu’ils avaient de quoi se défendre même si c’tait pas vraiment des guerriers. »

Le vieux mercenaire peut sentir l’air se compacter autour d’eux. Un frisson lui parcourt l’échine alors qu’il relève les yeux vers le colosse.

- « J’ai jamais vu de ma vie un truc en os qui coupait aussi bien...vous êtes un d’ces trucs ? »

Jim relève la tête avec un grand sourire.

- « C’est bien imaginé l’ami »

Dans un furieux coup de vent, le colosse se relève et charge vers le mercenaire. La tête de rolf vole, puis disparait dans les bois alors que son corps décapité s’effondre dans le feu qui s’éteint.

- « QU’EST-CE QUE »

Lambert se relève d’un bond. Il projette un couteau dans l’épaule du capitaine mercenaire alors qu’il sort un stylet du fourreau attaché à sa cuisse.

- « POURQUOI T’A FAIT CA POURRITURE D’ENFANT DE PUTAIN ?! »

Jim sort lentement son autre sabre. Nullement importuné par la lame fichée dans son épaule, il ferme les yeux et inspire bruyamment. Son nez se dilate alors qu’il expire un air chargé de glace. Il grandit, ses membres s’allongent, les articulations. Sa chevelure vient rencontrer ses sourcils en une épaisse toison blanche. Ses vêtements, sa peau, ses muscles se déchirent et ses os cassent bruyamment en un concert contre nature.

Le spadassin lâche un de ses poignards. Pour la première fois, ses mains tremblent. Complètement paralysé, il observe avec effroi la masse de chair informe se reformer en un être long, aux membres et au visage couvert de poils. Une seconde paire de bras sort de l’abdomen de la monstruosité tandis qu’elle l’observe de tous ses yeux aveugles.

- « Tu sais Lambert… »

La voix est si profonde que le mercenaire peut sentir les ondes sonores percuter son corps. La bête s’exprime de sa gueule faite pour dévorer. Et elle bouffe les mots. Chaque syllabe est une pointe aigue crachée à la face du monde.

- « J’ai jamais pu te blairer. Au moment où t’a osé menacer la gamine ….AYRLYAK AYRLAYK ! »

La bête bondit. Le spadassin n’a pas le temps d’esquisser un geste. Il a froid, et cette douleur au ventre….Pourquoi il a les pieds mouillés ?

Lambert s’effondre dans le magma que forment ses propres entrailles. La bête se rapproche à pas feutrés. Son poil blanc ondule doucement alors qu’elle retourne d’une main le corps mourant.

- « RRRLiakorru essssleni »

Un cri suraigu retentit dans la forêt, se répercutant entre les arbres de longues minutes avant de s’éteindre.

La silhouette se dirige alors vers la cage, reprenant peu à peu forme d’homme dans la pénombre. Jim pose un genou à terre alors que ses deux bras se détachent de son abdomen pour s’écraser au sol. Essuyant la larme qui se forme au coin de son œil droit, Il allume une torche et éclaire l’intérieur de la cage.

- « Je vais te libérer petite, et ensuite on va partir »

Il déverrouille la cage alors que la petite forme qu’elle contient se tasse dans un coin en frémissant. Il lui ôte l’épais bâillon qui lui recouvrait l’intégralité du visage. La jeune fille suffoque de longues minutes. Il attend.

- « Mais …mais vous êtes qui ?? »

Sa voix s’achève en un sanglot.

- « Un ami. Tu peux marcher ? On va devoir sortir des sentiers battus quelques temps »

L’enfant tente de descendre de la cage, s’effondre dans l’herbe et recommence à pleurer.

- « Où est ma famille ? »

Il la prend doucement dans ses bras.

- « Je ne te mentirais pas. Ils ne sont plus là, je ne sais pas où ils sont. »

- « Mais… »

- « Ils vont te chercher. Allons-y »

- « Mais je peux pas marcher… j’ai mal…»

Jim regarde la fille frissonner, il récupère une cape au près du feu éteint et la place sur les épaules de la fillette.

- « Monte sur mes épaules »

Il installe l’enfant à califourchon sur ses épaules, puis commence à marcher dans la nuit.

- « Où on va ? »

- « Voir une amie »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Beleg Doriath ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0