Mon vieux

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"Dans son vieux pardessus râpé, il s'en allait l'hiver, l'été, mon vieux....." chantait Daniel Guichard dans les années 70.

Le mien n'avait pas de pardessus, mais une cotte de travail, bleu délavé, un mètre métallique dépassant d'une poche et un crayon sur l'oreille. Je le revois encore rentrer de ses chantiers, les cheveux couleur de poussière et les doigts déchirés. Chaque soir, la maison était envahie de l'odeur d'éther et on suivait les pansements à la trace. Le soir il s'endormait sur la table, ivre de fatigue. Il a failli en mourir d'épuisement. Enfin c'est ce que je croyais, du haut de mes quelques années !

Pourtant, il aurait pu être poète. Passionné de peinture, de musique, d'histoire mais pas seulement...il m'a initiée très jeune à l'analyse des phénomènes de société. Par les livres, les films, les journaux télévisés. C'était l'ère du noir et blanc. Alors Freaks, M. le Maudit, La Strada, les films de Renoir et Marcel Carné. Plus tard ce sera Costa-Gavras. Mais surtout, les premiers attentats : les J.O. de Munich, avec cet homme sur une terrasse, le visage dissimulé sous un bas et armé jusqu'aux dents. Le Vietnam, les famines, la mort du général De Gaulle puis de Pompidou. Mai 68 aussi...Quelle épopée !

Les airs d'accordéon à l'heure du midi, les chansons de Brassens à la guitare. Les matchs de volley le Dimanche ou les parties de pêche sous la pluie. Les concours de pétanque et de bouquets de fleurs des champs. Les départs en vacances, avec comme il disait " le bateau qui nous poussait au cul ". Sa première voiture, la même que le président de la République, celle qui décollait comme un avion malgré ses allures de grenouille. Les soirées tarot, les éclats de rire et la bière qui coule à flot.

Les drames aussi. Trop.

De ceux dont on reste meurtri à jamais. Comment peut-on survivre à l'innommable...

Le rideau tombe alors sur une vie à mi-course.

On y aura perdu le goût du perlimpinpin.

Pourtant, comme il le dit lui-même, il faut bien s'accrocher aux branches. Pour les autres.

Alors il reste les tout petits plaisirs : regarder la vie continuer sans vous, les fleurs qui poussent, les nuages qui se courent après, les gens heureux, les années qui passent.

Parfois, on se tirerait bien une balle dans la tête. Parce que bon. Tout de même.

Mais il est là. Il est toujours là mon papa. Croûlant sous son vieil accordéon. Et c'est le coeur serré que je regarde ses doigts déformés entamer "la chanson pour Ninette". Il me jette un oeil complice. Ecoute celle-là ! C'était pour ta mère autrefois... Et au milieu des fausses notes et des couacs, il rigole tout seul. Comme un vieux clown déchu prêt à sortir de scène... Tu te souviens ?

Un jour j'espère, même l'air résonnera de ces mélodies d'antan. Et je pourrai à mon tour scruter les nuages en me disant que j'ai tenu jusqu'au bout.

Ce jour-là, comme lui et à l'image de la chèvre de M. Seguin j'irai m'allonger dans un champ de coquelicots. De ceux dont on faisait des bouquets autrefois.

Et je me dirai juste ...non seulement qu'il m'a tout appris, mais surtout qu'il avait raison.

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