Chapitre 2
Joséphine
- Tom. Maintenant, on passe à l'action. D'abord, il faut définir nos objectifs. Avoir une bonne connaissance du terrain. Faire de la prospection. Utiliser les outils modernes. Etre innovant et inventif. Tu crois qu'on peut l'être ?
Tom semble d'accord.
- Alors, ok, on y va.
Je quitte mon lit et ma chambre pour me glisser, petite souris discrète, dans celle de papa. Etendu de tout son long sur le ventre, la couette lui couvrant le milieu du dos, une jambe sortie sur le côté, il dort profondément.
Je jette un œil vers le réveil. 9H26. Je juge cela correct pour un samedi matin. Qui plus est, il a promis de m'emmener sur la côte pour voir la mer. A deux pas. Enfin, presque à deux pas.
Je soulève la couette, viens me blottir sur son oreiller.
- Papa ?
Silence.
- Papa !
- Hum... quoi ?
- Papa, est-ce que je peux regarder un dessin animé ?
- Joséphine... c'est samedi... pas école... pas bureau... laisse-moi dormir...
- Papa. T'avais promis qu'on irait à la plage.
- Il pleut.
- Non, il fait beau. J'ai ouvert mes volets. Il y a du soleil et le ciel est bleu. On pourrait faire un petit déjeuner au lit en regardant un dessin animé. Et puis on irait au marché après et puis on ferait des sandwichs et on les mangerait sur la plage.
- Super programme...
- Allez, papa. Tu m'allumes l'ordinateur ?
- Pff... Comme si tu ne savais pas le faire toi-même.
- Non. Tu as encore changé le mot de passe.
- C'est MON PC. Ce n'est pas un jeu. Bon...
Il se redresse, passe la main dans ses cheveux ébouriffés, bâille, s'étire puis demande :
- Tu veux regarder quoi ?
- Dis papa, tu préfères qui entre la "Belle au bois dormant" et "Cendrillon" ?
- La Belle au bois dormant.
- Pourquoi ?
- Parce qu'elle dort.
Je jette un regard anxieux à Tom. C'est mal parti.
- Je voudrais regarder La fée Clochette.
- Encore ? On l'a déjà regardé deux fois le week-end dernier.
- Toi, tu ne l'as vu qu'une fois. Au petit déjeuner. L'autre, c'était quand tu prenais ta douche et te rasais. Et que tu faisais le repassage, en bas, en écoutant les Red Hot Chili Peppers trop fort que j'entendais rien.
- De toute façon, tu le connais par cœur. Tu veux pas regarder Shrek pour changer ?
- Non.
- Bon, ok, La fée Clochette, soupire-t-il en sortant du lit en caleçon et en se dirigeant vers la commode où il pose son ordinateur portable. Il devrait plutôt dire "notre" ordinateur, puisque plus de la moitié du disque dur est chargé avec des dessins animés et des films pour Joséphine, plus les photos de Joséphine. Y compris celles de Mimizan les Pins.
- Papa ?
- Oui.
- En fait, je veux bien regarder autre chose.
- Ah, et quoi ?
- La Guerre des Etoiles.
- Je n'ai pas vérifié que c'était pour ton âge.
- Oui, mais à l'école, Théo et Arthur, ils les ont vus !
- Théo et Arthur, ce sont des garçons, ils ont presque un an de plus que toi et...
- C'est sexiste ce que tu dis là, papa. Pourquoi les filles n'auraient pas le droit de regarder La Guerre des Etoiles, hein ?
- Bon, ok. Mais les vieux d'abord, ils sont mieux. Et pour commencer, tu vas m'aider à préparer le petit déjeuner.
Bastien
On descend à la cuisine, le chat miaule, je lui ouvre la porte pour sortir. Le chat ne veut pas. "Trop con, ce chat. Un chien, ça se serait précipité dehors, trop content. Je déteste les chats. Je veux un chien. Cadeau de Noël numéro 1 pour l'année prochaine : un chien. Et le chat, à la SPA."
Joséphine a déjà déposé le plateau sur la table alors que je lui chauffe du lait et me prépare un café. Tartines grillées, yaourt ou compote ? Les deux, mon général... Deux grands bols, un avec du chocolat en poudre, l'autre avec deux sucres.
- Dis papa, on pourrait faire des crêpes demain ?
- Bonne idée. S'il fait mauvais. Car s'il fait beau... On ira se promener.
- On pourrait faire la pâte le matin, et les faire en rentrant, pour le goûter.
- Deuxième bonne idée. Ok. Faudra racheter des œufs au marché...
Bastien
- Il est beau Han Solo, hein, papa ?
- Heu, oui, peut-être. Il était jeune encore à l'époque... mais c'est un bon acteur.
- Qu'est-ce que tu penses de la princesse ?
- Elle est pas mal. Mais sa chevelure, non, franchement... trop sophistiquée. J'aime mieux sa coiffure à la fin.
- Ca fait peur, là... Il va lui faire du mal, le méchant ?
- Mais non. Et Han et Luke vont venir la sauver à temps, ne t'inquiète pas. De toute façon, on va faire pause. On regardera la suite plus tard. Il est temps qu'on aille au marché si on veut trouver des œufs pour les crêpes.
Elle bondit du lit, se précipite dans sa chambre, s'habille en moins de cinq minutes - brossage de dents, compris - et vient se camper devant moi. Mais je n'ai pas réagi assez vite.
- Ca dit quoi au chrono de l'arrêt au stand ?
- J'ai pas pris le début...
- Papa ! T'es trop nul...
- Je sais... Je sais.
Si j'ai dit les premiers mots avec amusement, les deux derniers ont été prononcés avec fatalisme et un soupçon de tristesse. Oui, je sais. Je suis nul. C'est d'ailleurs pour cela qu'Alice est partie et que Mylène n'est pas restée. Ni même Valérie. Et que je suis père célibataire depuis que Joséphine a quatre mois. Que je ne suis qu'un petit fonctionnaire des services de la Préfecture du Calvados, que nous habitons dans la banlieue de Caen, pas loin de la mer, et que nous allons tous les ans passer les trois semaines de vacances estivales que je peux m'octroyer au Camping des Flots Bleus à Mimizan les Pins. Et que nous avons un chat et pas un chien.
Mais Joséphine est un trésor et ça vaut tout. Vraiment tout.
Bastien
Le marché. Un moment de bonheur. Quel que soit le temps. Un moment à partager avec Joséphine. A réfléchir aux menus de la semaine. Soupe aux légumes (et aux lardons), purée de potirons et de pommes de terre, épinards à la crème, escalopes de dinde, saucisses frites. Croque-monsieur. Et si on faisait une raclette ? Une raclette pour deux ? Ben, pourquoi t'invites pas des amis ? Oui, oui, bon, on verra...
Sur le chemin du retour, Joséphine poursuit sa petite idée.
- Dis, papa, la femme idéale, c'est quoi pour toi ?
- J'ai déjà une fille idéale et cela me suffit, pourquoi tu me demandes ça ?
- Comme ça. Pour savoir ce qu'il faut faire pour être grande et devenir une femme idéale.
Je me gratte la tête. "Pourvu qu'elle ne rencontre pas un zozo de la même espèce que moi..."
Retour à la maison. Confection des sandwichs. Un au camembert, bien crémeux. Un fruit. O-bli-ga-toire. Ou une compote. Et des pépitos ? On prend le paquet de pépitos ? Oui, si tu veux... Faut pas oublier la bouteille d'eau comme l'autre fois !
Sortir la voiture. Prendre la route jusqu'à la côte, la grande plage.
- Dis papa, pourquoi on n'a pas un chien ?
Et merde.
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