Joséphine

Je me demande si je dois relancer la conversation ou s'il faut que je les laisse parler. Avec papa, il vaut mieux parfois que je m'en mêle. Je regarde à nouveau vers la maison. Ca y'est, Gérald est à la fenêtre. Je le dis à papa qui regarde par terre. Non, il ne regarde pas par terre, il est en train de regarder les jambes de Chloé. Je n'avais pas fait attention, mais elle a de jolies jambes. Si elle fait de la course à pied, ce n'est pas étonnant.

- Tu disais, ma puce ?

Je déteste quand il m'appelle sa puce. Ce sont les chats qui ont des puces. Moi, je ne suis pas une puce. Mais bon, je ne vais pas le montrer que je n'aime pas ça. Et puis, s'il ne m'a pas entendue, c'était qu'il avait la tête ailleurs. Peut-être sur les jambes de Chloé.

- Je disais que Gérald est à la fenêtre.

- Oh, bien. Désolé, Chloé, on s'absente juste pour une minute. Mais on revient. Il va y avoir de la surprise !

Et il lui fait un clin d'œil. Là, j'en reste sur le c... heu, pardon. J'en reste comme deux ronds de flan. Papa lui a fait un clin d'œil ! Dingue. C'est con, pardon, c'est bête que je doive participer à la surprise et papa aussi, parce que ça les interrompt en pleine connaissance. Mais on va tenter de garder ce petit intermède à notre avantage.

On se dirige vers la maison. Soudain, je crains un truc. Qu'Hippolyte en profite pour revenir discuter avec Chloé. Mais quand on entre dans la maison, je le vois qui raconte ses malheurs à qui veut bien l'écouter, dans la cuisine. On grimpe vite à l'étage, et là, Gérald me tend un grand drap.

- Tu vas faire peur à Stéphane ! Tu vas te déguiser en fantôme ! T'es d'accord, pitchoune ?

- Heu oui... Et je peux lui donner un cadeau aussi ?

- Bien sûr... Le tien ?

- Ou le tien ?

- Non, le tien, ce sera mieux, dit-il en regardant papa d'un air un peu bizarre.

Puis ils m'habillent. Papa descend l'escalier le premier, pour occuper Stéphane. Mais de toute façon, Stéphane est occupé devant le barbecue. Gérald et moi, on attend à la porte de la maison. Il m'a fait des trous grossiers pour que je voie quelque chose, mais il y a des fils qui s'effilochent et le drap a glissé un peu. Et puis, il fait chaud là-dessous. Heureusement que je ne vais pas y rester longtemps. Tom pourrait étouffer. N'oubliez pas que je l'ai toujours sur le dos, dans mon petit sac.

- Là, tu vois... Tu avances maintenant et tu lui fais un grand bouh ! me murmure Gérald à l'oreille (à travers le drap).

Je fais comme il me dit. Ca va que Stéphane ne se tourne pas juste à ce moment-là. J'ai mon cadeau dans les mains. J'espère qu'il n'y a pas de pièges devant moi contre lesquels je risquerais de me cogner.

- BOUHHHHHHHHHHHHHHHHHHH !!!!!!

- AHHHHHHHHHHHHHHHH !!!! Qu'est-ce que c'est ? Ah ! Un fantôme !!!

Ce sont de grands enfants, les adultes. Je soulève un peu le drap et je tends mon cadeau. Stéphane le prend avec précaution. Un peu comme s'il craignait que je ne le pétrifie sur place.

- Oh, heu... Merci, mademoiselle la gentille fantôme... Qu'est-ce que c'est que ce cadeau... Un carnet ? Oh, et c'est toi qui as dessiné et écrit tout ça ?

- Oui. Je peux enlever le drap, maintenant, papa ?

Papa m'aide à me débarrasser de mon déguisement. Ouf, je respire mieux. Et Tom aussi. Stéphane a croisé une jambe devant l'autre et commence à lire mon cadeau avec beaucoup d'attention.

- Ca a l'air passionnant, Joséphine. Un jour, tu écriras de grandes histoires. Tu seras une grande écrivain.

- Qu'est-ce que ça raconte ? vient demander Jean-Vincent.

- Une histoire de chiens. Mais, d'abord, c'est MON cadeau ! Tu le liras APRES moi !

Bon, ok. Et maintenant, si on retournait voir Chloé ?

Mais seulement, le gâteau arrive, avec les bougies. Stéphane les souffle. Deux fois parce que certains n'étaient pas prêts pour la photo. Puis papa aide à faire le service. Il aurait pu filer ça à quelqu'un d'autre. Enfin, on part avec trois assiettes. Seulement, quand on revient près de notre banc improvisé, Chloé en a déjà une sur les genoux.

- Ah, tu as été servie, dit papa. On t'amenait ta part.

- C'est gentil, merci, sourit-elle.

Elle a vraiment un beau sourire. J'espère que papa s'en rend compte.

**

Après... Si je vous dis que papa a passé tout le reste de la soirée avec Chloé, j'espère que vous allez me croire. On a mangé le gâteau, puis Gérald a mis la musique plus forte. Ca a commencé à danser. Comme je sentais que papa ne savait pas trop quoi dire, j'ai fini par les entraîner sur la piste improvisée. Et là, on s'est déchaîné. Papa, quand il veut, il danse aussi bien que Travolta. Enfin, presque.

Il paraît que les enfants sont increvables, mais à un moment, je ne tenais plus debout. Je suis allée m'asseoir, j'ai sorti Tom du sac et je lui ai fait un petit câlin. Il m'a dit qu'il commençait à être fatigué. Je regardais sur le côté. Papa était en train de parler avec Chloé en lui servant un verre. J'osais espérer que ce n'était pas de l'alcool, sinon, papa allait se mettre à raconter n'importe quoi.

De temps en temps, quand même, papa jetait un regard vers moi. Et il a vu que je m'endormais. Il a abandonné Chloé, puis il m'a prise dans ses bras en me disant :

- Au dodo, ma puce. Il est plus d'une heure du matin.

Je n'ai même pas protesté quand il m'a appelée "ma puce", je me suis appuyée sur son épaule, Tom sur l'autre et on a traversé le jardin et la cour. Je tentais de garder les yeux ouverts et j'ai croisé le regard de Chloé. Je crois que papa a fait exprès de passer près d'elle. Je lui ai souri et je lui ai dit "bonne nuit". Elle m'a souri aussi et m'a envoyé un petit bisou de la main. Je l'adore. J'espère que papa aussi. Et qu'elle nous adore aussi.