Aniqa (9)

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Arrivée devant les portes de l’école, accusant vingt minutes de retard, je sonnai à l’interphone, anxieuse. Monsieur Carlupel jeta un œil par la fenêtre et aperçut une jeune fille sur la pointe des pieds. Il se leva, sortit du bâtiment, vint vers moi et me demanda ma carte du collège. Je l’avais égarée depuis la rentrée, probablement en sortant un livre de mon sac…

Il me dévisagea, prit connaissance de mon nom et partit s’informer auprès du principal. J’ai attendu son retour au moins une bonne dizaine de minutes dans la rue en compagnie des cris aigus d’un choucas perché sur la branche d’un platane. Nous traversâmes la cour sous un ciel gris de février. La crainte d’affronter une classe pleine d’élèves aux regards curieux, aux sourires moqueurs, me faisait traîner les pieds.

Monsieur Carlupel en me précédant tapa à la porte de ma prof, entra, marcha jusqu’à madame Lefrançois et lui glissa un mot à l’oreille ; elle acquiesçait de la tête à tous les mots que le gardien lui disait, ainsi fait, il sortit à grande enjambée de la classe, sans me voir.

Après que je me fus justifiée, mon regard croisa celui d’Aniqa, assise sur ma propre chaise. Notre professeur de français avait dû l’installer à ma place, soucieuse de parfaire son enseignement ou peut-être était-ce Aniqa qui avait pris elle-même cette initiative. Madame Lefrançois m’envoya à mon pupitre sans soulever d’autre questionnement que le contre-coup de mon évanouissement ; c’était faux bien entendu. Je progressais pour atteindre ma place auprès d’Aniqa, en percevant, au cœur d’un bourdonnement de voix chuchotées, une multitude de regards braqués sur moi ; la crainte éprouvée un peu plus tôt dans la cour, me servit de tremplin pour accélérer la cadence de mes pas.

J’arrivai enfin à ma place. Aniqa se décala sur l’autre chaise et tapota de la main sur celle qu’elle avait libérée, tout heureuse de me voir. Il se produisit alors un acte déroutant voire imprévisible. – Enfin, jusqu’à présent personne n’avait exprimé un tel geste sur ma personne et de surcroit devant les autres. Aniqa déposa un baiser sur la commissure de mes lèvres. Elle osa m’embrasser, là, dans cette classe, à la vue de tous. Son effet fut instantané ; mon visage passa du blanc au rouge. J’ai manqué lui dire qu’elle était folle, qu’il ne fallait pas faire ça ici, que c’était interdit et que ça pourrait aussi me mettre en colère. Mais, mon regard, malgré moi, plongé dans le creux de ses seins, balaya toute la gêne et je lui répondis finalement par un sourire. Si ce geste d’affection était passé inaperçu pour quelques-uns, en revanche, derrière nous, certains émiettaient des murmures. J’étais partagée entre le désir de me retourner pour leur jeter un regard foudroyant, comme l’avait fait ma future amie sur Natacha, car me sentant protégée à ses côtés ou les laisser à leur moquerie. Ce fut Aniqa qui planta ses yeux noirs pleins de haine sur les merlettes moqueuses.

Ce baiser inattendu qui m’avait prise au dépourvu avait fini par, au fil des jours, me contrarier, au point que j’aie pensé briser notre amitié récente. Je sentais en permanence tous les regards, même les plus sournois, converger sur nous. Ils avaient tous l’image d’un doigt accusateur qui vous désignait responsable d’un évènement curieux.

La nuit, je ne pouvais me défaire, dans mes rêves, de ces amours charnelles, où je prenais plaisir à sucer les tétons d’Aniqa. Ces songes, parfois, me réveillèrent ou m’envoyaient dans des lieux consolider mon amour avec cette créature ébènique. Ces débauches oniriques s’arrêtaient au seuil de l’inconcevable, où je me refusais la suite du rêve. Mais étais-je dans le droit de dénaturer une des réalités de l’amour ? Une évidence non admise par les pensées modelées d’une société, qui pensent que l’homme et la femme doivent se rapprocher par souci de moralité ? Notre relation se voulait immorale à toute époque.

Aniqa perçut mon mal être et mon attitude à m’éloigner d’elle, alors elle multiplia les caresses dans mon dos, sur mes bras ou remettait dans le bon ordre des mèches invisibles derrière mes oreilles… Je la regardais de temps à autres, persuadée que ce comportement contribuait à se faire pardonner. Aniqa tentait de revoir cet amour incompréhensible qui ne l’avait pas abandonnée. L’ignorance de ma propre personnalité, bien que ma culture livresque fût poussée, ne distinguait pas le sens profond d’un amour. Il eût fallu que je fusse sociable et non associable pour connaître l’amour.

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