Chapitre 26
Les yeux écarquillés, nous regardons tous Romane, osant à peine y croire.
« C’est pas vrai, mais c’est pas vrai… » Murmure Jade
« Comment a-t-elle réussi un coup pareil ? »
La jeune femme est assise au milieu des apprentis dominants. Entièrement habillée et très sereine, elle nous contemple en souriant.
« Regarde ! » Me souffle Jade.
Je me tourne dans la direction qu’elle indique et aperçois Quentin, l’apprenti dominant plus ou moins sympathique qui m’a aidée il y a plusieurs semaines lorsque j’étais prisonnière du bloc de ciment. Sauf qu’il n’a plus rien d’un dominant. Sexe et tétons à l’air comme nous autre, il est assis près d’Alice. De là d’où je suis, je peux voir qu’il pleure.
« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Tu crois qu’ils ont échangé leur place ?
- J’en ai bien l’impression… »
Madame Possat entre dans la classe et le silence se fait.
« Avant de commencer le cours, j’ai une information à vous transmettre. Avant les vacances, lors du conseil de classe, la question de la réorientation a été abordée et comme vous avez pu le constater ce matin, deux de vos camarades ont changé de classe. Tous autant que vous êtes, je vous prierais donc de considérer et de traiter Romane comme une apprentie domina. Quand à Quentin, peu importe si certains d’entre vous ont été ses amis, il est désormais un soumis et doit être traité comme tel. »
Le principal intéressé laisse échapper un sanglot en entendant cela.
« Et bien entendu, il vous est demandé, à l’un comme à l’autre, de travailler dur pour rattraper votre retard. Vos professeurs s’occuperont de vous programmer des cours de rattrapage en fonction de vos lacunes. »
Malgré le fait qu’il ait été un apprenti dominant, je ne peux m’empêcher d’éprouver de la pitié pour le jeune homme. J’ai moi aussi eu des cours de rattrapage et je sais qu’il va beaucoup souffrir.
« Quand je pense que cette folle est désormais une apprentie domina… » Souffle Jade. « Elle qui aimait déjà nous torturer, cette fois ci elle va avoir carte blanche… »
Je hoche la tête en signe d’assentiment.
Couchée sur une branche basse d’un immense sapin, la femme observe les bâtiments devant lesquels elle se trouve. Retrouver cet endroit fut un véritable défi mais elle y est parvenue.
Après avoir pris connaissance du mail de Leïla, madame Noblet est partie en quête de l’identité des onze autres jeunes dont parle le message. Sur les onze, la femme pense en avoir identifié sept. Tous disparu dans un laps de temps très court et dans des endroits très éloignés les uns des autres. Pour chacun d’entre eux, la thèse de la fugue a été privilégiée par les enquêteurs. L’enseignante préfère croire que les kidnappeurs ont laissé derrière eux des messages convaincants. L’autre hypothèse, à savoir que la police est chaque fois complice, est trop effrayante pour être envisagée.
La femme a mené son enquête de la façon la plus discrète possible. Et après des semaines de patience et de recherches minutieuses, elle a fini par trouver. Grâce à un enregistrement vidéo. Cinq secondes à peine pendant lesquelles on aperçoit une voiture dont madame Noblet est certaine que c’est celle qui a servi à enlever un certain Fabien dans les Alpes maritimes.
La plaque d’immatriculation a permis de remonter jusque dans la Gironde. Mais la Gironde c’est vaste. Il aura fallu des semaines à l’enseignante pour trouver le bon endroit. C’est un simple article de journal qui a retenu son attention. L’agriculteur qui possède tous les champs entourant le bâtiment est le premier de France à avoir fait bâtir une installation nouvelle et très onéreuse pour garantir sa production d’électricité. Alors désespérée et sachant que l’organisation qui a enlevé les jeunes est en mesure de verser de gros pots de vin, l’enseignante s’est renseignée. Et elle pense avoir touché juste. L’agriculteur reçoit probablement de grosses sommes en échange de son silence sur ce qu’il pourrait apercevoir à travers le grillage qui entoure le bâtiment.
Se rendre dans cet arbre fut beaucoup plus simple même s’il est clair que personne ne doit approcher. Officiellement cet endroit est une base militaire: l’endroit est dans un lieu très isolé et des panneaux interdisent l’accès aux deux uniques routes qui permettent d’accéder à la zone. De plus, chaque route est barrée par deux “militaires“ armés. Mais une fois ce barrage franchi en passant par les champs, la femme n’a plus croisé le moindre garde. Il semblerait que personne ne patrouille la journée aux abords des bâtiments. Sans doute y a-t-il des caméras proches du grillage à la place, raison pour laquelle la femme ne s’est pas approchée davantage.
Mais dans cette cachette, l’enseignante est presque sûre d’être en sécurité. Et elle n’est qu’à vingt mètres des grilles.
Le plus délicat va maintenant être d’entrer en contact avec Leïla. La femme sourit en sortant de son sac l’objet dont elle compte se servir.
« Allez Leïla, montre toi… »
« Leïla, où vas-tu ? On a cours dans vingt minutes.
- Je sais, je reviens vite.
- Ne t’expose pas trop, les apprentis dominants pourraient te tomber dessus. »
Je quitte la cantine et vais m’isoler dans le parc. Chaque midi, c’est devenu une habitude pour moi de faire le tour du parc. J’ai de plus en plus peur de ne pas être en mesure de m’enfuir de cet endroit, or il ne faut pas oublier que l’école n’est qu’un passage. Et si après avoir été vendue (rien que l’idée me terrifie), mon “maître“ refuse de me laisser sortir ? Et s’il m’emprisonne dans une cave sombre pour le restant de mes jours ? Dans cette école, nous jouissons d’un semblant de liberté et nous pouvons nous promener dans le parc pendant notre temps libre. Je veux en profiter tant que je suis sûre d’avoir ce droit.
Je longe le grillage tout en restant hors de vue des caméras par peur qu’en m’approchant des grilles, on me soupçonne de chercher un nouveau moyen de m’enfuir.
Je suis tellement absorbée par mes sombres pensées que je n’ai pas vu le petit éclair noir me passer sous le nez. En revanche, je l’ai entendu se ficher dans un tronc proche. Prudemment, je m’approche de l’objet. Mon cœur rate un battement en reconnaissant une fléchette de sarbacane. Un minuscule papier y est attaché.
Je prends bien le temps de vérifier que les caméras ne peuvent pas me voir et qu’il n’y a personnes dans les environs avant de m’emparer de l’objet et de déplier le message.
Les mains tremblantes d’émotions, je contemple une écriture que je pensais ne jamais revoir :
C’est Madame Noblet. Je compte vous faire sortir de cet endroit. J’ai besoin d’aide et d’informations
J’observe les champs au-delà du treillage. Un sapin immense se dresse à une vingtaine de mètres de là. Il n’y a que dans cet arbre qu’elle puisse être.
Savoir un visage ami si proche me procure un mélange de sensations indescriptibles : joie, soulagement, espoir de quitter enfin cet endroit mais aussi terreur à l’idée de ce qui pourrait lui arriver. A-t-elle été vue par les caméras ? A-t-elle déjà prévenu des flics corrompus qui attendent de pouvoir la tuer comme ils ont tué monsieur Vernet ?
Il me faut un moment avant de comprendre que je ne peux pas me contenter de regarder bêtement le sapin. Je dois trouver un moyen de communiquer avec madame Noblet. Elle est probablement assez proche pour me voir mais comment lui faire parvenir un message ? Inutile de tenter de lui lancer quelque chose, c’est voué à l’échec. Le morse également, je n’ai aucun instrument qui me permettrais de faire de la lumière. Je cherche dans ma mémoire tous les films et toutes les séries d’espionnage que j’ai pu voir. Puis, la révélation, une idée vue dans un épisode de Flash.
Je vérifie une fois de plus qu’il n’y a personne dans les environs avant d’écrire rapidement l’alphabet dans la terre devant moi. Puis je me place bien face à l’arbre de madame Noblet. Je lève le pouce de ma main gauche puis, un instant plus tard, celui de ma main droite. Puis je montre quatre doigts de ma main gauche et, un instant plus tard quatre de ma main droite.
En vérifiant à intervalle régulier que personne ne vient dans le coin, je transmets mon message de la sorte.
Puis, sachant que l’heure tourne et priant pour retrouver madame Noblet au même endroit demain, je quitte les lieux sans oublier d’effacer mon alphabet dans la terre et d’enterrer la fléchette sous un arbre.
La femme a pris en note chacun des gestes de la jeune fille, d’abord le chiffre donné avec la main gauche puis celui donné avec la main droite.
Désormais, elle contemple sa feuille avec étonnement :
1-1 4-4 4-4 1-5 3-4 4-4 2-4 3-5 3-4 2-1 3-2 2-4 1-3 4-3 4-1 3-5 4-5 4-2 4-2 2-4 4-3 3-3 1-5 3-3 1-5 2-3 1-5 4-5 4-2 1-5 4-4 4-3 3-2 1-5 4-3 2-5 3-5 4-5 4-2 4-3
L’enseignante tente de trouver un sens logique à tout cela mais son esprit reste trop choqué par ce qu’elle a vu. Son soulagement en voyant Leïla saine et sauve a rapidement laissé place à l’horreur. Qu’est-ce que c’est que cette tenue bon sang ! La jeune fille est seins nus et le sexe à l’air ! Le pire est qu’elle ne tente pas de se cacher. Cela signifie probablement qu’on l’oblige à s’habiller de la sorte depuis un bon moment déjà.
Mais pire que cela, c’est le visage de son ancienne élève qui l’a choquée. Certes la jeune femme n’est pas blessée mais quelque chose dans son expression a changé. Son regard témoigne des atrocités qui se déroulent dans cet endroit…
Il devient urgent qu’elle fasse sortir les jeunes de cet enfer.
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